Game of thrones : tous pareils ?

Anaëlle de Araujo, Gaël Flaugère, Fanny Guyomard et Imen Mellaz

Game of thrones : tous pareils ?

Game of thrones : tous pareils ?

Anaëlle de Araujo, Gaël Flaugère, Fanny Guyomard et Imen Mellaz
24 mai 2019
La série de la mondialisation culturelle

C’est la série de tous les records. Après 8 ans de succès, Game of Thrones tire sa révérence, en ayant conquis le foyer de millions de spectateurs à travers le monde entier. Car cette fiction fantasy produite aux États-Unis  a atteint une hégémonie redoutable. Si son succès planétaire est redevable à ses qualités narratives,  les stratégies de marketing, de diffusion et de production adaptées à un schéma mondial y sont aussi pour quelque chose. La série de HBO semble avoir trouvé la formule magique pour imposer ses programmes dans le monde entier. Mais si nous regardons tous les même séries, en gardons-nous tous les mêmes références culturelles ? Game of Thrones, un symbole de la mondialisation de la culture ?

 

 

Le phénomène Game of thrones

 

Qui regarde précisément Game of Thrones dans le monde ?

Impossible d’avoir un décompte précis des spectateurs de la série dans le monde. Les audiences ne sont pas mesurées partout ou pas communiquées par tous les diffuseurs. Ce que l’on sait, c’est que là où la série passe, elle bat des records. Avec la saison 7, HBO revendique un total de 30 millions de spectateurs sur la chaine câblée et sa plateforme en ligne, HBO GO. Pour avoir un chiffre parlant à l’échelle mondiale, un chiffre : 150 millions. Le nombre de spectateurs qui la téléchargent illégalement.

Dans les différents classements des contenus les plus téléchargés, comme celui de TorrentFreak qui fait référence, la série n’a pas quitté son trône depuis 2011. Seule exception : 2017, année sans nouvelle saison de Game of Thrones… mais qui offre tout de même la deuxième place des téléchargements dans l’année. Médaille d’argent, sans même s’être inscrite à la course.

Et côté diffusions, le record est tout aussi parlant: 183 Pays ont diffusé la dernière saison de la série dans le monde. Des épisodes « adaptés » pour certains publics, comme en Chine, ou l’épisode passe par la censure avant publication. Game of Thrones n’a pas encore brisé tous les murs.

Et en France ?

S’il est réel, le succès de la série et à nuancer à l’échelle de la France. Elle a d’abord été diffusée sur Canal+ pour les saisons 1 et 2, avant qu’Orange Cinéma Series (OCS) en achète en 2013 les droits de diffusion. Le service d’Orange approche alors la barre des 3 millions d’abonnés, soit une augmentation de 700 000 personnes en six ans.

Mais impossible de donner les chiffres d’audience en France, puisque OCS refuse de les communiquer. Néanmoins, on peut s’intéresser au « bruit » autour de la série : celui des recherches Google, qui indique le taux d’intérêt des Français pour un univers particulier.


On voit bien que le succès de la série est certain. Mais fédère-t-il par rapport aux séries les plus populaires en France ? Game of Thrones n’arrive pas à fédérer autant que Plus belle la vie qui réunit chaque jour 3 à 4 millions de spectateurs devant leurs postes. Mais Game of thrones est plus souvent « googlisée » que la série hebdomadaire « CLEM », ou la mensuelle « Joséphine Ange Gardien » diffusées sur TF1.

Contrairement à ces séries qui reposent sur un cadre français, la série d’HBO rayonne à l’international.

Comment expliquer ce succès ?

Mais comment expliquer que Game Of Thrones parle à autant de personnes à travers la planète ? Il y aurait une culture commune à nombre de spectateurs : l’heroic fantasy. « C’est en train de devenir un genre populaire majeur au niveau mondial« , note l’historien et médiévaliste William Blanc. « Game of Thrones entre aussi en résonance avec la fascination de notre société pour le Moyen-Age, et nos angoisses contemporaines par rapport à l’environnement« . La série a depuis longtemps dépassé le cercle des amateurs de livres d’heroic fantasy et a su s’ouvrir en-dehors des frontières de ce genre littéraire.

Parmi les 2 500 fans présents au Grand Rex le soir de la diffusion du dernier épisode pour le regarder sur grand écran, les profils étaient divers, allant de l’amatrice de cosplay habillée en Daenerys, à des employées d’un grand groupe de téléphonie. Pourtant, tous se sont réunis devant les portes du plus grand cinéma d’Europe, parfois deux heures avant le début de la projection.

 

Game of Thrones, c’est aussi une série qui relie les générations. Les 25-34 ans représenteraient 43% des spectateurs, mais ceux qui ont dépassé la cinquantaine se taillent 15% de part d’audience. C’est aussi une série qui relie les fans par-delà les frontières, à travers la création d’une communauté transnationale. Les habitants de 186 pays ont ainsi pu assister à l’épilogue de la saga de manière simultanée, faisant fi des fuseaux horaires.

Abdelghani Ouali, 34 ans, vit en Algérie. « La série est très très suivie, ici« , observe celui qui l’a regardée sur internet. Au Liban, ceux qui suivent le phénomène sont « à fond », rit Mona, étudiante franco-libanaise.

Pour Anne Sweet Fédé, spécialiste des séries télévisées américaines, une partie de l’intérêt pour la série repose sur la « valeur choc » : « C’est une série hyper-violente. Les producteurs de Game of Thrones dépeignent des choses dont beaucoup de producteurs de télévision proscrivent par risque de dégoûter le public et de perdre des spectateurs… Il y a des viols, beaucoup du sang, de la torture, de l’inceste et des personnages principaux qui sont tués. Toutes ces choses peuvent rendre une série impopulaire« .

C’est violent, et pourtant ça marche. Peut-être parce que la série s’est trouvé un terrain bien fertile : internet. « Il y a des fans partout dans le monde qui partagent « la culture » de Game of Thrones, un phénomène qui est facilité, voire galvanisé, par le développement des réseaux sociaux et la diffusion simultanée de la série dans des pays différents« , indique Anne Sweet. Des millions de téléspectateurs sont donc prêts à s’abonner à une chaîne payante pour accéder au contenu. Depuis le 1er janvier 2019, plus de 8 millions d’épisodes des saisons 1 à 7 ont été (re)visionnés sur OCS, la plateforme française ! L’abonnement s’élève à dix euros par mois, pour un public pourtant habitué à la gratuité. La série sait se vendre.

Diffusion à la pointe

C’est que la stratégie marketing de Game of Thrones est de fer, et beaucoup l’érige en exemple. Plusieurs raisons à cela : la personnalisation de la publicité par les acteurs eux-même, un investissement faramineux dans les produits dérivés, une politique de teasing très développée. Même plus besoin de dépenser des sommes astronomiques dans l’achat d’espace publicitaire : la série est parvenue à créer un réseau qui s’auto-alimente, et permet aux diffuseurs de réaliser des économies colossales.

 

 

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La série mise également sur les réseaux sociaux, avec d’un côté, un compte Twitter officiel, et très actif. Entre la diffusion du dernier épisode de la saison 7 (le 27 août 2017) et le début de la diffusion de l’ultime saison, le compte Twitter s’est fendu de pas moins de 1200 tweets, alors même que la série était en tournage.

La diffusion régulière de teasers et de visuels reprenant des scènes et des devises emblématiques de la série, permet de maintenir le public captif. Ainsi, la devise des Stark, « Winter is coming », est devenue l’emblème de la série elle-même. De même, l’investissement des acteurs dans la promotion de la série via le réseau social Instagram notamment n’est pas négligeable. L’actrice Emilia Clarke, qui incarne la célèbre reine Daenerys, peut compter sur une audience de 272 000 abonnés lorsqu’elle relaye coulisses de tournage ou affiches promotionnelles. HBO a particulièrement soigné la communication du retour de la série après un an et demi d’absence, annonçant la saison 8. Quatre teasers ont été diffusés progressivement entre décembre 2018 et avril 2019. Les diffuseurs ont fait une campagne de promotion active en inondant leur site et les boites mails de leurs clients avec des visuels de la série Cette campagne a porté ses fruits puisque chaque teaser a fait augmenter la consommation de la série.

Soulignons également l’existence d’une multitude de produits dérivés (DVD, livres, jeux vidéos, de plateau, de carte, figurines, vêtements…), qui auraient généré la coquette somme d’1 milliard de dollars par an. Enfin, les producteurs et diffuseurs ont su miser sur de nombreux happenings pour consolider la communauté de fans. La série a également eu le luxe de se voir consacrer deux expositions itinérantes, qui ont posé leurs valises à Paris au Louvre en 2015, et au parc des expositions de la porte de Versailles en 2018. Autant d’événements qui n’ont fait qu’augmenter une couverture médiatique déjà colossale, et exponentielle.

GoT: Une bulle médiatique ?

Alors, les médias mordent à l’hameçon. Une fois la vitesse de croisière atteinte, Game of Thrones n’a plus qu’à recueillir en chemin les regards intrigués des journalistes, qui y ont trouvé un sujet à clics. En France, 260 articles ont été consacrés à la 8e saison (66 en print, 194 sur le web), contre 46 pour la saison 6.

Bref, les médias  entérinent la série comme phénomène de société. « Game of Thrones est devenue l’équivalent télévisuel de ce que furent les Beatles, les Rolling Stones ou Madonna et ses codes, son univers et son langage sont partout« , observe Marc Weitzmann, journaliste de la très sérieuse radio France Culture. Il a dédié une de ses émissions Signe des temps à cette production comme « succès planétaire« , suivi par Raphaël Bourgeois, pour une émission de La Grande Table. Quand Les chemins de la philosophie lui ont consacré quatre « épisodes » pour le lancement de la dernière saison, avec un net pic d’audiences sur l’iTunes Store…

Un pic d’audiences pour les quatre épisodes des Chemins de la philosophie dédiés à la série phénomène.

Bref, les médias ont alimenté la bulle Game of Thrones.

Pour toucher l’audience la plus large, les acteurs du secteur ont revu leurs techniques de production. Ainsi, depuis la saison 5, la série est transmise au même moment partout dans le monde. Dans les premières saisons, il fallait attendre des semaines voire plusieurs mois pour mondialiser son visionnage ! Les délais se sont ensuite raccourcis à 24 heures pour recevoir l’épisode directement doublé en français, puis à 0 secondes pour la dernière saison, ce qui permet de lutter contre le piratage et le « divulgachage ». Un moyen aussi pour satisfaire un maximum de spectateurs réfractaires à la version originale, comme la majorité des Français.

Le visionnage de séries sur internet a raccourci les délais de diffusion des plateformes, donc le travail de doublage.

Pour réussir cette prouesse, les sociétés de postproduction ont mis sur pieds une véritable industrie du doublage, un système hyper productif et rationalisé qui s’est généralisé chez toutes les grosses plateformes de vidéo à la demande. Le modèle ? Le « flux tendu » : « Le processus de doublage et de sous-titrage commence deux ou trois semaines avant la diffusion, sur un montage qui n’est pas terminé. La veille, les studios nous envoient la vidéo définitive, avec des scènes ajoutées, des répliques modifiées, et on ajuste notre travail« , explique Anthony Panetto, traducteur et dialoguiste-adaptateur pour divers médias. Une technique qui permet d’uniformiser le visionnage, donc de maximiser les profits contre les fuites de spectateurs vers des plateformes de piratage ou des sites de doublage amateur.

Un système qui a fait ses preuves

Pour expliquer ce succès, il faut regarder les secrets de fabrication de la série. Car la machine HBO a un fonctionnement rodé, et Games of Thrones n’est pas son coup d’essai. Cela fait plus de vingt ans que le diffuseur américain produit des séries à succès : les Soprano, Six Feet Under, The Wire. Au fil des plus de vingt ans d’existence, les budgets moyens des séries d’HBO ont augmenté. Et lorsque Game of Thrones arrive en 2011 avec un budget de 55 millions d’euros pour la saison une, il ne fait pas figure d’ogre pour un HBO qui sort de deux saisons de Rome, péplum antique qui aura coûté près de 200 millions d’euros pour deux saisons.

Seulement voilà, neuf ans plus tard, La huitième saison est annoncée comme la plus chère de l’histoire des séries en coût par épisode, avec 15 millions de dollars par épisode, soit 90 millions pour les 6 épisodes. Trois fois plus par épisode qu’au début.

Entre les effets spéciaux, les aléas des décors naturels et le cachet des acteurs (plus d’1,1 million de dollars par épisode pour les cinq principaux), les compteurs s’affolent, d’autant que les épisodes de cette dernière saison sont plus longs, 1 h 20 pour les trois derniers.

Un investissement rentable : selon le New York Times, la franchise rapporte 1 milliard de dollars par an à HBO. C’est aussi la série la plus récompensée des Emmy Awards avec au total 38 prix.

Dans l’économie des séries, le jeu en vaut la chandelle car HBO, en tant que producteur et diffuseur capitalise sur son succès, sur la vente des droits de diffusions et sur tout le merchandising.

Un modèle qu’a accompli HBO pour la TV, et qu’ont poussé les acteurs digitaux de la VOD: Netflix, Hulu, Amazon Prime…

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Tous partagent ce double statut de producteurs et diffuseurs. Et tous, on le voit sur le graphique ci-dessus, sont prêts à engager des sommes importantes pour la production, la diffusion et le marketing liés à leurs séries phares. Quitte à échouer. Inspiré par la veine médiévale de Game of Thrones, Netflix sort en 2014 la première saison de Marco Polo, série qui retrace les aventures de l’explorateur italien. Une première saison à 90 millions de dollars, suivie d’une deuxième à 110 millions de budget. L’audience n’est pas au rendez-vous et la série est arrêtée. Mais cela n’empêchera pas Netflix de renchérir avec une nouvelle série, dès l’année d’après, The get down, qui retrace la genèse de la culture hip-hop à New-York… Une saison, 130 millions de budget, un échec tout aussi retentissant.
La tendance est à l’augmentation des budgets, les producteurs étant attirés par la perspective d’une diffusion à toujours plus grande échelle. Amazon prime Vidéo vient d’acheter les droit d’adaptation du Seigneur des anneaux pour près de 250 millions de dollars. Selon les dernières rumeurs, le GAFA le plus impliqué dans la vidéo serait prêt à investir 500 millions d’euros pour deux saison de l’adaptation en série du roman de Tolkien.

Produire plus cher pour gagner plus ?

Si HBO a bouleversé le système de production, Netflix a révolutionné la consommation culturelle. Créée en 1997 aux Etats-Unis, Netflix compte désormais 110 millions d’abonnés dans près de 160 pays. Grâce à la délinéarisation de la télévision, il est désormais possible de regarder des contenus quand on le souhaite et sur de nombreux supports : télévision, tablette, ordinateur, téléphone portable…

Aujourd’hui, chaque GAFA a lancé sa propre plateforme vidéo. Une quarantaine de créations originales ont été annoncées par YouTube, filiale de Google. Apple veut investir un milliard de dollars dans ce domaine et Facebook a lancé la plateforme gratuite baptisée Watch. L’augmentation des budgets est alors une conséquence de l’augmentation de la concurrence dans ce domaine.

La stratégie que l’on peut qualifier d’omnicanale des grands groupes du divertissement y contribue aussi. L’un des objectifs de l’américain Amazon ou du français OCS qui appartient à Orange est d’attirer par le biais des séries de nouveaux clients vers les autres produits proposés. C’est pourquoi ils mettent sur le marché des offres réunissant les divers services qu’ils proposent, avec en produit d’appel une série à grand budget. L’augmentation du coût de production des contenus originaux est alors compensée par l’accroissement du profit générés dans les autres secteurs.

 

La mutation du secteur des plateformes numériques va vers toujours plus de concurrence, donc vers une augmentation des budgets de production. Nous pouvons donc nous attendre à la multiplication de ce type de super-productions. Encore faudra-t-il susciter la passion du public comme l’a fait la course pour le Trône de fer. Le défi de créer une communauté qui s’identifie à des valeurs fortes reste l’enjeu de tout diffuseur, condition nécessaire de leur rentabilité. Game of Thrones, par la rareté de son succès, montre qu’il est difficile de s’adresser à ce public mondialisé. Tous pareils, pas pour demain.

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