« À COUP DE VERSETS  » : LORSQUE LES DÉRIVES RELIGIEUSES VEULENT « GUÉRIR » L’HOMOSEXUALITÉ

Jeanne Seignol & Fanny Rocher

« À COUP DE VERSETS  » : LORSQUE LES DÉRIVES RELIGIEUSES VEULENT « GUÉRIR » L’HOMOSEXUALITÉ

« À COUP DE VERSETS  » : LORSQUE LES DÉRIVES RELIGIEUSES VEULENT « GUÉRIR » L’HOMOSEXUALITÉ

Jeanne Seignol & Fanny Rocher
7 juin 2020

 

 

 

 

 

« A 15 ans, on ne peut pas le comprendre. C’est avec le recul que je me suis dit que c’était fou l’atteinte psychologique que ça a eu sur moi, sur mon identité personnelle », confie Benoit Berthe. Quand il était adolescent, il a été victime pendant plusieurs années de thérapies dites de conversion. Sous couvert d’apporter une aide spirituelle aux jeunes homosexuels, ces pratiques auraient en réalité pour but de « guérir l’homosexualité ».

Aujourd’hui, ces « thérapies », prônées par certains groupes religieux, profitent d’un vide juridique et d’une absence de législation en France. Importées des Etats-Unis dans les années 1990, elles n’ont cessé de s’étendre sur le territoire national au cours de ces vingt dernières années. Pour les victimes de ces « thérapies », c’est une violence qui peut parfois pousser au suicide et pour les autres, le début d’un cycle dévastateur : celui d’un embrigadement, d’une destruction et enfin d’une tentative de reconstruction. 

 

 

CHAPITRE I : L’EMBRIGADEMENT OU LA CHUTE

Source : Freepics

A l’origine, il y a souvent le même sentiment : la détestation de soi et de son homosexualité, vue comme étant incompatible avec sa foi. C’est ce qui conduit de nombreuses victimes de thérapies de conversion à rencontrer les groupes religieux qui les pratiquent, dans une tentative désespérée pour essayer de se libérer de ce « mal » qui les ronge. « Ce sont dans la plupart des cas des personnes en questionnement, voire en difficulté extrême par rapport à leur orientation sexuelle, leur identité de genre et leur foi. Ils sont désespérés et se tournent vers les premières personnes sur qui elles tombent avec une autorité spirituelle comme des prêtres ou des pasteurs et s’enfoncent dans un phénomène d’emprise et de détestation de soi », regrette Cyrille de Compiègne, vice-président de David et Jonathan, une association LGBT chrétienne. 

Un « espoir de guérison »

 

Il y a également ceux qui ont été contraints à subir de telles pratiques par leur entourage ou leurs parents, notamment car ils étaient mineurs et issus de familles très pratiquantes. C’est ce qu’a vécu Benoit Berthe qui a grandi dans une petite ville du Loiret (45), au sein d’une famille très catholique. « C’était une éducation proche du dogme. On allait à la messe tous les dimanches, ne pas y aller était considéré comme péché mortel. On priait tous les soirs en famille et ma mère me disait souvent qu’elle était catholique avant d’être mère, l’épouse de mon père ou même Française », se souvient Benoit qui a été enfant de chœur pendant des années. Pour Ruben, qui a grandi à Aix-en-Provence, cette éducation religieuse a été dure à supporter : « J’ai été éduqué dans le milieu protestant évangélique, tourné vers le pentecôtisme. J’en garde des mauvais souvenirs. Il y avait beaucoup d’écoles du dimanche. Et avec toute cette éducation, on savait ce qu’il fallait faire et ne pas faire. Ce qui était bien et pas bien. Et je me sentais prisonnier de tout ça », soupire le jeune homme.


Cette éducation très conservatrice va souvent de pair avec une vision dépassée de l’homosexualité, considérée comme une «
maladie », notamment par les groupes religieux pratiquant des « thérapies » de conversion. En France, il est difficile d’en estimer le nombre, mais deux ont été identifiés et infiltrés par les journalistes Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre lors d’une longue enquête, racontée dans un livre et un documentaire Arte, Homothérapies. Il s’agit de Torrents de vie, un groupe évangélique et Courage France, de tendance catholique. Selon les journalistes, le premier, présent dans une quinzaine de villes en France, n’hésite pas à parler de « guérison » de l’homosexualité. Quant à Courage, « l’idée est de s’encourager dans la chasteté » même si il y a un « espoir de guérison ». Père Louis-Marie Guitton, co-fondateur de Courage France, nie catégoriquement ces accusations : « Courage un groupe de partage qui aide et accueille les personnes homosexuelles dans l’Eglise, pour que tout le monde y trouve sa place », explique-t-il. « A aucun moment il n’est question de cela [les « thérapies »] dans Courage. C’est un apostolat lié à l’Eglise catholique, donc allez demander au diocèse de Paris s‘ils font de la conversion, ils vous diront que non »

 

La « peur » du coming-out

 

Au sein de sa famille, Benoit a également subi cette stigmatisation de l’homosexualité. « Quand on allumait la télé et qu’il y avait des gens ouvertement homosexuels, les insultes fusaient, il y avait des remarques désobligeantes qui montraient que mes parents trouvaient que c’était anormal », explique-t-il, et avoue avoir eu « peur » de révéler son homosexualité. « Petit, je ne comprenais pas trop cette attirance pour les garçons et quand j’ai vu que ça restait fort à l’adolescence, ça m’a beaucoup perturbé. Je me suis dit “les parents vont me tuer donc je vais leur cacher” ». Ce n’est qu’à l’adolescence, vers ses 15 ans, qu’il fait son coming-out à ses parents. « Ma mère m’a demandé si j’avais été touché par le prêtre quand j’étais enfant de chœur et si j’avais déjà eu des rapports sexuels auparavant », raconte-t-il. 

Pour Ruben aussi, le moment du coming-out a été douloureux : « Je l’ai dit à mes parents autour de mes 18 ans. Et j’avais très peur. Pour eux, c’était une abomination, le péché mortel. Quand je leur ai dit, j’étais en sanglots », explique-t-il. Le coming-out est un moment de bascule chez les victimes de « thérapies » de conversion, celui de l’admission d’un « problème » qui va pouvoir être « soigné ». « Mes parents m’ont dit : ce n’est peut-être qu’une passade, on va t’aider. Ça a été le début de la descente aux enfers. Ils ont commencé à faire des recherches et puis les thérapies sont arrivées », raconte Benoit.

CHAPITRE II : LA DESTRUCTION

Source : Flickr

« Ils partent de positions complètement fausses, en disant que l’homosexualité est un péché. C’est quelque chose de très complexe, de très pervers, avec plein de bonnes intentions affichées. Ça touche à la manipulation psychologique et ça fait beaucoup de mal car ces pratiques avancent masquées », détaille Jean-Philippe Cavroy, président de l’association Devenir Un En Christ qui aide à concilier foi et homosexualité, à propos des « thérapies » de conversion. 

Jean-Michel Dunand, fondateur et prieur de la communion Béthanie, une fraternité œcuménique ouverte aux personnes homosexuelles et transgenres, a été victime de cette manipulation. Depuis son enfance, il se sait homosexuel et a été frappé par l’« amour du Christ » très tôt. Quand il a 19 ans, il entre au séminaire et en sort avant son ordination pour rejoindre une « communauté » dont il tait le nom. « C’est là que tout a dérivé, on m’a proposé des prières de guérison et ensuite des exorcismes. J’ai subi 8 exorcismes en un an et demi », se souvient-il. Il est parfois ligoté au lit. Un des prêtres déclare alors qu’il est « possédé par le démon de l’homosexualité » et demande au Seigneur de le « libérer ».  « Ça paraissait simple donc je me suis complètement laissé faire et j’ai mis du temps à vraiment me considérer comme victime. J’ai vraiment été pris dedans, comme dans un tourbillon », poursuit-il.

 

 

Jean-Michel arrête alors de manger et de dormir, et va même jusqu’à contempler l’idée du suicide. « Il y avait autour de moi des gens à qui j’avais donné ma confiance et qui sont en grande partie responsables de ce que j’ai vécu. Personne ne m’a mis une corde autour du cou, j’ai toujours dit oui, mais c’est ça le phénomène de l’emprise », regrette-t-il. 

« Bourrage de crâne »

 

Benoit Berthe, lui, a subi plusieurs sessions de « thérapies » réparties pendant des vacances scolaires ou des week-end, entre ses 15 et 18 ans, encadrées par les Béatitudes, un mouvement évangélique. « On était avec des personnes de tous âges, pas forcément homosexuels mais avec d’autres soucis à régler », explique-t-il. De ces sessions, Benoit ne garde que des « flash de souvenirs ». « Il me reste des souvenirs désagréables et d’autres pas forcément, car j’essayais de tourner les choses à mon avantage. Un soir, je me suis échappé avec deux filles et on a écouté de la musique et fait une nuit blanche », sourit-il. Les journées sont composées de moments de lecture de la Bible, d’enseignement, « de bourrage de crâne » , de moments de silence ou d’adoration. Aux repas, frugaux, se succèdent des ateliers et des suivis psychologiques « où on devait raconter sa vie en détails »

Pendant deux ans, Ruben assiste à des « entretiens » similaires, avec une connaissance de ses parents qui appartient au milieu évangélique protestant. La conversation dérive rapidement sur son orientation sexuelle. « Il me disait que par rapport à la Bible, mon mode de vie était déviant et qu’il fallait se réformer. D’après lui, c’était condamnable », raconte le jeune homme. Les prières se succèdent durant les sessions : « Il voulait me faire changer à coups de versets », résume-t-il.

Benoit a perçu lui aussi cette « manipulation psychologique ». « On n’a pas mis en cause mon intégrité physique, la menace était beaucoup plus insidieuse et pernicieuse car ils ont vraiment l’impression d’aider les gens et ont donc une attitude bienveillante à ton égard. Et on le ressent donc on ne se dit pas qu’on est en danger mais il y a un sentiment de malaise. Avant, après et pendant, j’ai eu un instinct de survie qui m’a permis d’en sortir », résume-t-il. 

Séquelles psychologiques

 

L’aspect psychologique et parfois physique de ces pratiques laissent de nombreuses séquelles, même des années après. Benoit a traversé des « périodes de dépression assez fortes avec des pensées noires, voires suicidaires ». De son côté, Jean-Michel Dunand a fait plusieurs « tentatives de suicides ». Il développe « une très grande haine de [son] corps et de [sa] sexualité ». « Je n’ai pas pu découvrir tout ça dans la tendresse et l’épanouissement », regrette-t-il. « Les sessions laissent une trace d’homophobie induite, t’as pas envie de devenir pervers comme ces gens qu’on voit à la télé sur les chars de la Gay Pride », renchérit Benoit. « Les thérapies induisent l’idée de ce qu’est vraiment l’homosexualité ou même les homosexualités. Encore aujourd’hui, je ne me sens pas encore pleinement faisant partie de la communauté LGBT, j’ai l’impression bizarre d’être en dehors de cette bulle ».

Après cette lente destruction psychologique et parfois physique, il faut essayer de se reconstruire. Jean-Michel a su que le moment était venu quand il a échappé de peu à une tentative de placement en hôpital psychiatrique, suggérée par un prêtre. « Je me souviens de me tenir devant les grilles [de l’hôpital], et d’avoir fuit. Je me suis dit que l’on ne m’aurait pas. Je me suis senti libéré mais il a ensuite fallu ensuite une longue période de reconstruction ».

CHAPITRE III : LA TENTATIVE DE RECONSTRUCTION

La haine de soi n'est pas une thérapie. Source : Daniel Tobias

Jean-Michel et Benoit ont tous deux rencontré l’amour et ont commencé à se libérer du passé. A 18 ans, Benoit a pu alors prendre son « indépendance » en montant à Paris pour ses études, malgré les craintes de sa famille. « Ma mère était anxieuse donc on m’a mis dans un couvent de bonnes soeurs. Je pense qu’il y avait la crainte de ce milieu de la grande ville, où on rencontre tous types de personnes », raconte-t-il. Le jeune homme fait des recherches et trouve un site où des gens de la communautés LBGT+ discutent, via lequel il va rencontrer son petit copain, avec qui il va rester six ans. « Je me suis reconstruis petit à petit mais ça a pris du temps », résume le trentenaire. 

Un « vide juridique »

 

Il y a peu de victimes de thérapies de conversion qui prennent publiquement la parole en France. Si Benoit, Jean-Michel et Ruben témoignent, c’est pour « faire une différence », et pour que ce qu’ils ont vécu soit reconnu, notamment par la justice et les pouvoirs publics. Entre septembre et novembre 2019, une mission parlementaire flash co-dirigée par les députés Bastien Lachaud (LFI) et Laurence Vanceunebrock-Mialon (LREM) s’intéresse aux pratiques prétendant modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne. Un projet de loi réprimant ces procédés de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende a été déposé début juin 2020 et doit être débattu prochainement à l’Assemblée. Pour Laurence Vauceunebrock-Mialon, c’est une première étape vers la reconnaissance des victimes. « Même si l’impact dans le Code pénal ne sera pas à la hauteur de ce qu’on attend, le fait qu’on communique sur le sujet est le plus important et qu’on s’en serve pour alerter les jeunes », explique-t-elle. 

 

 

Certaines associations, comme David et Jonathan, soulignent cependant la difficulté de faire reconnaître en France les victimes de « thérapies » de conversion, notamment à cause d’une méconnaissance du sujet. « Ce qui est compliqué vis-à-vis du contexte français, c’est qu’il faut arriver à caractériser exactement ce qui se passe et que le niveau d’informations est relativement faible. Le terme “thérapies de conversion” est encore beaucoup rattaché à un imaginaire américain et la plupart des gens en France pense que ça n’existe pas ici », regrette Cyrille de Compiègne. 

Les associations pointent notamment du doigt un « vide juridique », qui rend difficile la lutte contre certaines pratiques : « On a cherché à alerter sur le fait qu’il y avait une zone grise : des personnes qui exerçaient leur autorité et influence sur d’autres pour les détourner de leur orientation sexuelle et les convaincre que c’était de l’ordre du pathologique. C’est très difficile à identifier et donc ce n’est pas évident de lutter contre », résume le vice-président de David et Jonathan, qui reste sceptique quant à l’efficacité de la loi à venir. « Aujourd’hui, malheureusement, la victime est un peu seule dans son combat. Il faudrait qu’il y ait un travail d’enquête, d’information et qu’il y ait un organisme qui ait les moyens d’aller chercher et identifier ce qui se passe. Sinon, on aura beau faire une loi, elle ne servira probablement pas à grand chose », soupire-t-il.

« C’est difficile d’en vouloir à ses parents »

 

Du côté des victimes, la reconstruction passe également par le pardon, et souvent celui de son entourage proche, de ses parents. « Je leur en ai voulu car j’ai eu le sentiment de ne pas avoir été accepté tel que j’étais. Mais vu leur vision de l-homosexualité, c’était évident. Au fond, ils ont eu une attitude bienveillante envers moi, ils pensaient faire ça pour profondément m’aider. Donc c’est très difficile d’en vouloir pleinement à ses parents. Mais ça reste une violence de dire à son enfant de changer. Ils sont tombés dans le panneau trop rapidement », confie Benoit. Les parents de Ruben, eux, ont quitté la branche pentecôtiste, mais restent très religieux et peinent à accepter l’homosexualité de leur fils. « C’est encore un peu tendu et les choses ne sont pas réparées entre nous. Plusieurs fois, ma mère m’a donné une pile de livres et dedans, il y a toujours un livre qui explique comment guérir de l’homosexualité. Et ce genre de lecture, c’est destructeur. Mais ils ont bien évolué, ils sont plus dans le dialogue. Je leur ai déjà présenté des copains, c’est toujours compliqué, mais ça se fait », explique-t-il. 

Quant à la relation avec leur foi, il est parfois compliqué de renouer avec. Quand on lui demande s’il croit toujours en Dieu, Benoit explique: « J’ai du mal à répondre à cette question parce que j’ai l’impression qu’ils ont tellement piétiné ma spiritualité avec des méthodes ignobles que j’ai dû mal à croire en quoi que ce soit ». Mais d’autres, comme Jean-Michel, s’y accrochent et y trouvent de l’espoir. « J’ai eu des doutes et des questionnements mais ça fait partie de mon chemin. Il y a des gens très dangereux à fuir dans le système religieux, et des groupes dont il faut se protéger mais il y a beaucoup de personnes bienveillantes. Je ne peux pas réduire l’Eglise à ce que j’ai vécu de négatif, je continue de voir tellement de belles choses », conclut-il.


Photo de couverture : Flickr 

 

Fanny Rocher & Jeanne Seignol

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