Verdir les villes: promesse climatique ou mirage urbain ?

Verdir les villes: promesse climatique ou mirage urbain ?

Verdir les villes: promesse climatique ou mirage urbain ?

Rémy Videau, Emma Launé-Téreygeol, Simon Kremer, Noémie Julien
Photos : Simon Kremer
20 mai 2025
Ces dernières années, les villes françaises accélèrent la végétalisation de leurs espaces pour intégrer davantage de nature en milieu urbain. Objectif affiché : atténuer les effets du réchauffement climatique. Mais les scientifiques continuent d’analyser ces pratiques pour en mesurer l’efficacité réelle et améliorer leur impact.

Cinq à quinze jours de vague de chaleur supplémentaires, nombre de nuits tropicales multiplié par quatre, les estimations de Météo France pour 2050 affirment que le réchauffement du pays est inéluctable pour les prochaines années. Il peut être atténué selon les actions mises en place mais il aura bien lieu. Les Français auront plus chaud dans 30 ans et la végétalisation se présente comme une réponse à la hausse du mercure à venir. Des arbres dans les rues, des façades vertes, des toits fleuris… tous les moyens sont bons pour remettre la nature au centre des villes et des préoccupations. Ainsi, selon France Stratégie, 20 000 nouveaux hectares d’espaces naturels sont installés en ville chaque année, symbole que la France en a fait un pilier de sa stratégie pour lutter contre la chaleur urbaine.

L’Agence de la Transition Écologique (Ademe) prône elle-même dans ses rapports la végétalisation des villes. Elle rappelle que l’installation de végétaux dans une rue peut faire chuter la température de 2°C dans le meilleur des cas. Pour l’Ademe, faire chuter les températures permet également de diminuer l’utilisation des climatisations, et donc d’économiser de l’énergie. Cette démarche suscite donc un fort intérêt. 

D’ailleurs, la végétalisation peut se matérialiser autrement. « Les formes sont multiples. La végétalisation des villes passe aussi par celles des toitures et des façades de bâtiment, explique Hicham En Nakhla, fondateur de 420 arbres, une entreprise dédiée à la transformation des environnements urbains par la végétalisation. On peut également citer le fait d’avoir des plantes en pot et la desimperméabilisation des sols. » Préférer l’herbe et la terre au bitume permet à l’eau de pluie d’accéder plus facilement aux sols, et donc d’irriguer davantage les végétaux existants.

Paris et Utrecht comme fers de lance de la végétalisation urbaine

Les arbres offrent de l'ombre, ce qui permet de lutter contre la chaleur en ville en créant des îlots de fraîcheur. ©NJ

Autour du monde, les politiques d’urbanisme s’accumulent. Les villes de demain doivent être vertes pour rester respirables en été. « Il y a de bonnes choses partout mais Utrecht est un excellent exemple de végétalisation, note Hicham En Nakhla. Paris est également très bien vu à l’international sur ce plan même si les Parisiens sont souvent insatisfaits. »

À Utrecht, la municipalité a lancé en 2016 un projet visant à végétaliser l’intégralité des toits de la ville. Tous les nouveaux bâtiments construits ont également l’obligation d’inclure des façades vertes laissant une place aux plantes. La ville hollandaise de 300 000 habitants a également mis en place la végétalisation des arrêts de bus, une première mondiale. L’objectif était alors de faire revenir les différents pollinisateurs. Depuis 2019, la population d’abeilles a doublé, ce qui a poussé plusieurs villes européennes à faire de même. Cette politique s’est accompagnée d’un déploiement massif de plus de 8 000 panneaux photovoltaïques. 

Dans la Ville Lumière, Anne Hidalgo mène une intense politique de végétalisation depuis plusieurs années. Selon les chiffres de l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR), 31% du territoire de Paris est végétalisé. Ce chiffre inclut les bois de Boulogne, de Vincennes et les jardins publics. Le bilan fait également état de 145 hectares de toits et de murs végétalisés. « La politique menée à Paris est un exemple de ce que les grandes villes peuvent faire de mieux au niveau de la végétalisation, » affirme Hicham En Nakhla.

En juin 2015, la Ville de Paris a lancé le premier permis de végétalisation. Ce dernier permet aux citoyens de jardiner sur l’espace public s’ils en font la demande. D’après la municipalité, cette initiative a contribué à rendre plus de 200 rues encore plus vertes depuis l’année 2020. L’implication des citoyens est essentielle pour que la végétalisation urbaine soit réussie, estime Hicham En Nakhla. « En ville, 30% du bâti appartient au domaine public, ce qui laisse 70% pour le domaine privé. Tout ne peut pas reposer sur les pouvoirs publics, il faut inciter chacun à végétaliser. »

Le 20e arrondissement : une nouvelle porte vers la végétalisation de Paris

Parmi les projets portés par la ville de Paris, celui du réaménagement de la Porte de Montreuil est l’un des plus massif, surtout en ce qui concerne les espaces verts. Les travaux ont débuté au cours de l’année passée, et devraient se poursuivre jusqu’en 2031.

Sur cette place de 3,5 hectares, créée à l’emplacement du rond-point actuel, près 1,5 hectares sont dédiés à une future surface verte. En tout, ce sont 704 arbres qui doivent être plantés, 241 arbres déjà existants sont maintenus, et 36 vont être transplantés dans le 20e et le 12e arrondissement de Paris. Cette pratique constitue une véritable nouveauté pour la ville, qui compte se servir de ce réaménagement comme de laboratoire expérimental pour de futurs projets. Pour se faire, ils vont « prélever l’aère de sa motte et le déplacer aussitôt dans son nouveau site », comme l’explique la ville de Paris.

Bien que ce projet ait reçu un accueil positif au sein des élus, il a créé le débat autour de ces transplantations et de l’abattage de certains arbres matures. Les élus écologistes du 20e arrondissement étaient contre car selon eux, compenser l’abattage d’arbres en les remplaçant par de jeunes arbres ne sera pas suffisant.

Actuellement, 19 arbres doivent être abattus. Pour ce qui est des 704 arbres, ils seront plantés d’ici au printemps 2026. 51% d’entre eux sont d’essences indigènes, c’est-à-dire qu’il s’agit d’espèces naturellement présentes en Île-de-France, comme le chêne, l’hêtre, ou le tilleul. Planter cette essence permet une meilleure adaptation au milieu local, un équilibre écologique et un moindre impact environnemental.

Un cadre juridique qui facilite le recours à la végétalisation

Les travaux de végétalisation de la place de l'Hôtel de Ville de Paris ont été lancé en octobre 2024. ©SK

Le permis de végétaliser est une autorisation donnée par une municipalité. Depuis sa mise en place par Paris, plusieurs autres villes de tailles diverses comme Clermont, Périgueux, Blois ou encore Bordeaux l’ont mis en place. « Je pense qu’il s’agit surtout de sensibiliser les personnes. Dans l’absolu, rien ne s’oppose à une généralisation du permis de végétaliser, commente Fouad Eddazi, maître de conférences en droit public spécialiste des politiques locales d’urbanisme. Les collectivités locales ont tout à fait la possibilité de le mettre en œuvre, sans changement légal. Les règles classiques du droit des propriétés publiques, du droit de l’urbanisme ou du droit du patrimoine s’appliqueront alors. »

Recommandée par plusieurs rapports du GIEC, la végétalisation s’est progressivement insérée dans le droit français. La loi d’orientation foncière de 1967 et la loi SRU de 2000 présagent la végétalisation en codifiant de manière claire la protection de l’environnement, notamment en préservant les espaces boisés des sites naturels. Le terme est revenu avec insistance ces dernières années, jusqu’à devenir un défi politique. Lors des élections municipales de 2020, la végétalisation était un sujet majeur dans plusieurs villes comme Paris et Lyon. Dans la capitale, Anne Hidalgo affirmait vouloir planter 170 000 arbres pendant son mandat contre les 100 000 du candidat écologique David Belliard. À l’inverse, Rachida Dati préférait ne pas faire d’estimations, en choisissant de parler de la sécurité dans les bois de Vincennes et de Boulogne.

Le législateur a logiquement suivi la tendance et la végétalisation a été codifiée dans la loi Climat et résilience du 22 août 2021. Cette loi peut faciliter la mise en place de politiques de verdissement. « Elle introduit un article L. 152-5-1 du code de l’urbanisme, permettant à l’autorité compétente pour délivrer les autorisations d’urbanisme de déroger aux règles des plans locaux d’urbanisme relatives à la hauteur et à l’aspect extérieur des constructions afin d’autoriser l’installation de dispositifs de végétalisation des façades et des toitures en zones urbaines et à urbaniser, » commente Fouad Eddazi.

En décembre 2022, le décret d’application de cette loi est venu renforcer encore la place de la végétalisation. Les bâtiments à usage tertiaires doivent, lors de leur construction ou rénovation, avoir un toit végétalisé à 30%. L’obligation évolue chaque année et atteindra 50% en 2027. « Le cadre juridique cherche à faciliter le recours à cette solution, en particulier en permettant qu’il soit dérogé à des règles préexistantes pour développer la végétalisation, conclut Fouad Eddazi. Au-delà du cadre juridique, il s’agit également d’accompagner l’acculturation des collectivités compétentes, ainsi que des porteurs de projets, côté secteur immobilier. »

Des études scientifiques qui nuancent les bienfaits de la végétalisation

Près de 50 arbres et 20 000 végétaux doivent être planté devant l'Hôtel de Ville. ©SK

Certains scientifiques nuancent toutefois les effets positifs attendus. C’est par exemple le cas d’Alice Maison, docteure à l’École Nationale des Ponts et Chaussées. En juillet 2024, elle a publié une étude intitulée « En ville, les arbres ont des effets mitigés sur la qualité de l’air ». La chercheuse s’est concentrée sur les données de pollution à Paris pendant l’été 2022, particulièrement chaud et sec. La ville dispose d’une base de données répertoriant tous ses arbres, un outil essentiel pour étudier les variations de pollution à proximité. Mais il est difficile d’en conclure que les arbres pourraient avoir des effets négatifs sur la santé.

« Les arbres et les végétaux émettent des gaz semi-volatiles qui ne sont pas polluants, explicite Alice Maison. Lorsqu’ils réagissent avec les émissions urbaines, ils deviennent polluants et c’est un phénomène chimique très naturel qu’on observe par exemple au moment des pics de pollution. Quand les arbres sont en ville, il est normal que la réaction avec les émissions soit plus rapide. » Ainsi, la végétalisation urbaine ne peut être tenue comme responsable d’une pollution supplémentaire. L’autre facteur important dans l’étude d’Alice Maison est la différence d’état de santé des arbres entre la ville et la forêt. 

« Il y a énormément de différences notamment à cause du sol, les arbres sont souvent plantés dans des fosses avec de la terre pleine de gravats ce qui les rend plus fragiles, développe la chercheuse. Les sols sont pauvres en nutriments et parfois contaminés, l’air est pollué et la température plus élevée. Ce sont des facteurs déterminants dans la santé des arbres. » Dans ce contexte différent des forêts, l’étude montre que les arbres ont un impact légèrement inférieur, notamment en termes de rafraîchissement. Ce constat pose des questions quant à la stratégie de planter des arbres en ville s’ils n’ont pas l’effet souhaité.

Une autre étude scientifique menée par Florence Fournet révèle que la végétalisation pourrait engendrer des risques sanitaires. La chercheuse indique que « les modifications de biodiversité urbaine engendrées par la végétalisation peuvent augmenter le risque de circulation de pathologie. » Elle attire notamment l’attention sur le nombre de moustiques en constante augmentation dans les environnements végétalisés. Elle cite comme exemple une épidémie de dengue à Tokyo en 2014, où le moustique tigre s’était développé dans le parc Yoyogi, et ses 54 hectares de végétation. De fait, la végétalisation pose question.

Difficulté à verdir les villes : arguments politiques et économiques

Les arbres plantés sur cette place ont été cultivés pendant quinze à vingt ans afin que leurs racines soient prêtes à être implantés dans cet environnement. ©SK

Ces interrogations scientifiques trouvent un écho chez certains responsables politiques. Depuis plusieurs années, des élus de l’opposition contestent la mise en œuvre de ces politiques de végétalisation en France. À Paris, la maire Anne Hidalgo est régulièrement attaquée sur son bilan dans l’aménagement urbain. Lors des élections municipales de 2020, Rachida Dati, candidate Les Républicains, dénonçait déjà « la maire qui a le plus bétonné Paris », en pointant notamment des aménagements jugés inadaptés face à la chaleur urbaine comme ceux de la place de la République, « très minérale ». « Vous ne pouvez pas la traverser en période de canicule », fustige alors  l’actuelle ministre de la Culture sur RTL. 

Le mouvement citoyen #SaccageParis, très actif sur les réseaux sociaux, fustige de son côté la dégradation esthétique de la capitale, s’en prenant notamment aux fosses végétalisées aux pieds des arbres qualifiées de « parcs à cochons ». En réponse, Emmanuel Grégoire, premier adjoint (PS) à la maire de Paris, a fini par reconnaître : « Nous n’aurons plus de fosses d’arbre à Paris (…) parce que ce n’est pas satisfaisant sur le plan esthétique », a déclaré l’adjoint. Avant d’ajouter : “nous reviendrons à un aménagement provisoire avec du pavage”, méthode “historique” à Paris.

Face aux critiques, la majorité municipale parisienne défend fermement ses choix. Anne Hidalgo assume une stratégie ambitieuse pour « adapter Paris au réchauffement climatique », avec un objectif de 170 000 arbres plantés sur son mandat. Pour David Belliard, adjoint EELV à la transformation de l’espace public, la végétalisation est « un levier fondamental de justice environnementale », soulignant que les quartiers populaires sont souvent les plus exposés aux îlots de chaleur. 

Les oppositions politiques ne constituent pas le seul frein aux politiques vertes. Le coût des travaux et de la réorganisation de l’espace public oblige les municipalités à faire des choix et à penser durablement la végétalisation. Le budget alloué à ces postes de dépense est ponctionné ailleurs. Ainsi, chaque nouvelle infrastructure doit être vraiment nécessaire pour les habitants, ce qui limite les projets. Réduire la place de la voiture en piétonnisant des rues et plantant des arbres  à des répercussions sur les commerçants et l’activité économique d’une ville. Pour ne pas faire mourir des commerces qui perdraient leur clientèle, certains élus font le choix de ne pas engager de travaux.

« Le cadre juridique cherche à faciliter le recours à la végétalisation »

Trois questions à Fouad Eddazi, docteur en droit public à l’Université d’Orléans.

À quand remontent les premières mentions de la végétalisation dans le droit de l’urbanisme ?

C’est assez récent. Pendant longtemps, le droit de l’urbanisme a été tourné vers la protection de l’existant, notamment des espaces boisés et des sites naturels. Ensuite, à travers la loi SRU de 2000, il a été utilisé pour freiner le développement urbain, notamment pour préserver les espaces naturels extérieurs aux zones urbaines. Le mot de « végétalisation » témoigne d’une évolution visant à mobiliser le droit de l’urbanisme pour créer un nouvel existant, donnant plus de place au végétal, au sein même des espaces urbains.

Aujourd’hui, comment la végétalisation est encadrée par le droit ?

L’accélérateur évident de la référence à la végétalisation dans le droit de l’urbanisme est la loi Climat et Résilience du 22 août 2021. Par exemple, cette loi introduit un article L. 152-5-1 du code de l’urbanisme, permettant à l’autorité compétente pour délivrer les autorisations d’urbanisme de déroger aux règles des plans locaux d’urbanisme relatives à la hauteur et à l’aspect extérieur des constructions afin d’autoriser l’installation de dispositifs de végétalisation des façades et des toitures en zones urbaines et à urbaniser.

Peut-on dire que la végétalisation est suffisamment encadrée par le droit en l’état ? Ou au contraire certains vides subsistent, bloquant cette pratique. 

La végétalisation n’est pas, en soi, un objectif du droit de l’urbanisme. C’est un moyen d’atteindre les objectifs du droit de l’urbanisme fixés par le législateur et applicables aux collectivités publiques intervenant en matière d’urbanisme. En particulier, la végétalisation sert deux objectifs qui sont la protection des milieux naturels et la lutte contre le changement climatique. De fait, le cadre juridique cherche à faciliter le recours à cette solution, en particulier en permettant qu’il soit dérogé à des règles préexistantes pour développer la végétalisation.

« Planter des arbres en ville reste une bonne chose pour le climat »

Les trottoirs aux abords de l'Hôtel de Ville bénéficient eux-aussi de ce projet de végétalisation, afin de créer une forêt urbaine. ©SK

Les travaux de Florence Fournet sont nuancés et contiennent aussi des données contraires. « Des travaux à São Paulo montrent, à l’inverse de Tokyo, une diminution de la contamination par la dengue dans les quartiers végétalisés de la ville, plus frais. », écrit la chercheuse pour nuancer son propos. De fait, il est actuellement impossible de tirer des conclusions négatives sur la végétalisation. « L’écologie urbaine est une discipline scientifique qui cumule beaucoup de travaux, termine Florence Fournet. Pourtant, les connaissances sont parcellaires : on ne comprend pas encore bien les retombées de la végétalisation sur la diversité. » L’un des principaux axes de la recherche sur la végétalisation est de limiter les risques évoqués dans ces études.

« Il est important de savoir que planter des arbres en ville reste une bonne chose pour le climat et l’environnement, rappelle Alice Maison. Ces études permettent de faire avancer la végétalisation en trouvant des solutions pour résoudre ces problèmes. » Parmi les solutions évoquées par l’experte, faire interagir des espèces végétales complémentaires. Certains arbres sont attaqués par des moustiques qui peuvent être rejetés par d’autres plantes. L’association de certaines espèces peut donc les aider à prospérer dans cet environnement urbain qui n’est pas naturel pour les végétaux. De même, le choix des espèces à intégrer en ville fait l’objet de recherches. « Les arbres plantés en ville vont avoir tendance à pousser en hauteur pour chercher la lumière, constate Alice Maison. Il faut maîtriser l’orientation de la rue mais aussi l’espacement entre les arbres pour qu’ils disposent de suffisamment de ressources. »

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