Un monde sous la ville
Sous Paris, s’étendent les catacombes, un réseau de souterrains dont la longueur atteint près de 250 kilomètres. Ce monde sous la ville, officiellement interdit aux visiteurs, possède pourtant une société en miniature avec ses codes et son histoire.
En file indienne, notre petit groupe de sept s’empresse de descendre l’échelle découverte par une plaque d’égout soulevée. Vite, disparaître de la surface pour ne pas se faire repérer. Les yeux peinent à s’habituer à la soudaine lumière des lampes frontales. Il est 22 heures un mercredi soir et nous voilà sous Paris dans une galerie technique emplie d’énormes câbles. Pour accéder aux catacombes, il faut la parcourir puis emprunter un passage secret indétectable pour le non-initié. Sur les murs, la trace de l’IGC, Inspection générale des carrières qui gère le réseau et en vérifie l’état au quotidien.
Aymeric, le guide de 21 ans, très sûr de lui, n’a même pas besoin d’une carte pour se repérer. En T-shirt maculé de boue et cuissardes de pêcheur, il mène le groupe avec entrain. C’est aujourd’hui sa centième descente et il a eu tout le temps d’apprendre par coeur le moindre recoin du réseau, long pourtant de près de 250 kilomètres. Lui, comme les autres sont des élèves de l’école des Mines, une école dont la tradition est d’effectuer un baptême de chaque nouvelle promotion dans les catacombes.
Nous voici donc deux journalistes perdus au milieu de cette bande de copains. Enceintes bluetooth accrochées aux sacs à dos diffusant à fond des musiques épiques, qui ne sont pas sans évoquer le Seigneur des Anneaux, il faut tracer. Victor, un de nos accompagnateurs nous encourage à sa manière « Vous perdez pas sinon vous allez mourir ! ». Au détour des couloirs, le petit groupe guette des bruits suspects. Car se trouver ici est interdit depuis 1955 et le service de surveillance des carrières, les cataflics, n’hésite pas à distribuer des amendes de près de 60 euros.
Pas le temps de s’habituer, de prendre ses repères, notre groupe est attendu plus loin. Les pieds s’enfoncent dans un sol spongieux et glissant, chaque pas devient périlleux. Il est trop tard pour espérer sauver ses chaussures. Et puis, la « Piscine » se profile. Un endroit précis des catacombes où le sol n’est jamais sec, l’eau pouvant atteindre les genoux ou la taille en fonction des précipitations extérieures.
Tout en marchant, on nous explique l’histoire des catacombes, les différentes inscriptions sur les murs ou encore les anecdotes partagées par tous les mineurs, nom que se donnent les élèves de l’école des Mines. Nous passons d’ailleurs par une partie du trajet effectué chaque année le jour du baptême. La tradition en remonte aux années 1920. La fresque, elle, est venue plus tard. Selon la légende c’est la promo de 1945, qui la première a laissé sa trace sur les murs. Au début simple encadré contenant le numéro de la promo, la fresque s’est peu à peu transformée en véritable oeuvre d’art réalisée chaque année par plusieurs volontaires.
Nos compagnons marquent soudain un arrêt pour nous montrer la salle dite de l’Apéro, très réputée pour sa table et ses bancs permettant…de prendre l’apéro. Une tradition bien établie puisqu’en 1777 déjà, un mathématicien signalait à l’Inspecteur général des Carrières l’organisation de fêtes dans les sous-sols parisiens. Ce n’est pourtant pas la destination finale. Car les mineurs aiment la tranquillité et cette salle est bien trop fréquentée par les cataphiles.
Passez votre souris sur les points de la carte
Direction les Bermudes, un espace au nord du réseau peu cartographié et mystérieux. Une arche en pierre, « L’Arche perdue », en marque le début. Au fin fond des Bermudes nous voici enfin arrivés dans une toute petite salle peinant à nous contenir. Nous avons retrouvé en chemin deux autres personnes.
Une fois installés tant bien que mal, il est l’heure d’allumer les bougies, de sortir le champagne et de fêter la 100ème descente d’Aymeric, le guide. Ce dernier, peu doué pour les discours se contente de remercier ses camarades avant de sabrer la bouteille. Comme par magie, chips et saucisson sortent des sacs et un pique-nique s’improvise, 20 mètres sous terre. Cela fait déjà deux heures que nous visitons Paris en sous-sol.
Alors que la soirée bat son plein, un couple arrive. Doc comme il se surnomme et son amie sont parvenus ici par hasard. À vrai dire, ils se sont égarés, fait inhabituel pour cet habitué des catacombes qui ne compte plus ses descentes.
« Le petit frisson du ‘oh merde où est-ce que je suis’ ça m’avait manqué un peu. Quand tu te perds plus c’est plus très marrant. Là ça faisait longtemps, je me suis dit allez on va aller se paumer un peu. »
Les nouveaux venus sont bien accueillis et se retrouvent vite avec une bouteille entre les mains. Et lorsque deux groupes de cataphiles se rencontrent, de quoi parlent-ils ? Des catacombes évidemment. Tout y passe, de l’anecdote de descente au fait divers de fin d’année qui a perturbé le petit monde cataphile : le décès d’un quadragénaire victime d’un arrêt cardiaque après une soirée alcoolisée dans les carrières. « ça a fait une polémique, il y a eu un mort, mais le gars était cardiaque, c’est pas les catacombes qui l’ont tué ! », commente Maxence.
1h30 du matin, les bouteilles finies, certains élèves des Mines commencent à penser à remonter. Ils ont cours le jour-même à 8h. D’autres préfèrent poursuivre leur exploration. Nous suivons sagement le premier groupe. Le chemin en sens inverse se fait au pas de course.
Il est près de 3h quand enfin nous émergeons des catacombes. Un rapide au revoir aux mineurs, il ne faut pas rester trop longtemps près de la plaque d’égout et c’est parti pour la dernière partie de cette épopée, le retour à pieds, couverts de boue et encore mouillés à travers tout Paris.