Sportifs précaires : ces médaillés qui ne roulent pas sur l’or

Arthur Delacquis et Florian Cazeres

Sportifs précaires : ces médaillés qui ne roulent pas sur l’or

Sportifs précaires : ces médaillés qui ne roulent pas sur l’or

Arthur Delacquis et Florian Cazeres
19 mai 2017

Ils sont médaillés olympiques. Vous avez vibré devant leurs exploits lors des jeux de Rio. Pourtant leur situation financière n’a pas de quoi faire rêver. Loin des Ronaldo et Messi, la vie de nombreux sportifs de haut niveau est faite de galères et de précarité.

Jean-Charles Valladont est LE champion du tir à l’arc français. Médaillé d’argent à Rio, il a aussi remporté une Coupe du monde. Comme beaucoup d’autres sportifs de haut niveau, ses revenus sont loin d’être mirobolants. Aujourd’hui sa situation financière s’est stabilisée, mais il a connu la précarité.

La corde se tend, le regard se fixe. Jean-Charles retient sa respiration, il tente de réduire au maximum son rythme cardiaque. Il est parfaitement immobile, le regard braqué sur la cible. D’un coup, il relâche la corde. La flèche part et vient se nicher en plein coeur du rond jaune. Au centre de tir à l’arc de l’Insep à Vincennes, la concentration est totale pendant les séances. Pendant l’hiver, les archers s’entraînent à l’intérieur, sur des cibles à 25 mètres de distance. Quand les beaux jours reviendront, il faudra tirer à 80 mètres de la cible avec pour objectif le rond jaune synonyme de dix points, large de 3 centimètres.

Sur le pas de tir, Jean-Charles est silencieux. Mais le reste du temps, l’ambiance est détendue avec les autres membres de l’équipe de France de tir à l’arc. Chacun peaufine son matériel, effectue des réglages tout en discutant de chasse à l’arc, un sport récent populaire auprès d’archers de si haute volée. Dans l’équipe de France, Jean-Charles Valladont est la figure de proue. “D’ailleurs, c’est le seul d’entre nous qui arrive à vivre uniquement du tir à l’arc” confirme Daniel Lucas, un de ses coéquipiers. Tous les autres membres de l’équipe de France ont un emploi, au moins à temps partiel pour s’assurer des revenus. Ancien professeur de sport, son coach est l’un des seuls salariés de la Fédération française de tir à l’arc.

Avoir les moyens de la performance

Pour assurer la régularité à haut niveau en tir à l’arc, il faut s’entraîner dur, mais surtout longtemps.

“Contrairement à d’autres sports où les entraînements sont très intenses mais ne durent pas très longtemps, le tir à l’arc requiert des plages d’entraînement longues, explique Jean-Charles. Il n’est pas possible d’avoir un emploi à côté”.

Pour avoir le temps de s’entraîner, Jean-Charles Valladont a d’abord bénéficié de l’aide de ses parents. Nîmois d’origine, il a passé le début de sa carrière à l’Insep de Vincennes, logé sur place dans une chambre payée par sa famille.

“Quand j’ai commencé à être performant, on a élaboré un système avec la fédération, ma région et un magasin de tir à l’arc pour me permettre d’avoir des revenus suffisants”.

Ce système, c’est un CIP (Contrat d’Insertion Professionnelle). Jean-Charles travaille 20% du temps dans un magasin de tir à l’arc de la Porte de Vincennes. Il touche un salaire équivalent au Smic dont les 80% restant sont assurés par la région Languedoc-Midi-Pyrénées et la Fédération française de tir à l’arc.

Au magasin France Archerie, Jean-Charles est un peu l’enfant prodigue. “Souvent les clients sont étonnés, ils se disent “mais je l’ai déjà vu à la télé lui?”. Alors je vais les voir et je leurs dis “Oui, oui c’est Jean-Charles Valladont, médaillé olympique”” raconte amusé Michel Ibello, le patron de Jean-Charles Valladont.

Les 20 000 euros empochés par Jean-Charles avec sa médaille olympique lui permettront d’améliorer ses revenus et de trouver de nouveaux contrats de sponsoring. “Mais je vais aussi réinvestir une partie des gains pour participer à des tournois pour lesquels la Fédération ne nous défraye pas, pour m’acheter du matériel. De toute façon, je ne fais pas du tir à l’arc pour gagner de l’argent” rappelle Jean-Charles. Quelque soit sa réussite lors des prochaines compétitions futures, Jean-Charles Valladont ne roulera jamais sur l’or, mais il a eu la chance d’échapper à la précarité.

Cette chance, tous les sportifs ne l’ont pas eue. En France, sur 6000 sportifs de haut niveau, 40% gagnent moins de 500 euros par mois, selon des chiffres du Ministère des Sports. À cela s’ajoute un recours massif aux contrats courts. Une situation qui fragilise la carrière des sportifs de haut niveau. Pour Nicolas Weisz, avocat en droit du sport au barreau de Paris, la précarité est inhérente à ce secteur. “C’est une évidence dans ce monde là, il n’y a que les stars du football et du tennis qui ne connaissent pas cette situation”, explique-t-il.

Ancien basketteur professionnel, Nicolas Weisz a rapidement abandonné sa carrière lorsqu’il s’est rendu compte de la précarité de son sport.

À l’époque, j’ai joué avec de grands joueurs, qui sont maintenant en NBA. Mais je n’étais pas aussi fort qu’eux. Mon père a été entraîneur pendant trente ans, il m’a parlé de cette situation. C’est pour ça que j’ai rapidement repris mes études de droit”, se souvient-il.

Dans le sport de haut niveau, le contrat de travail utilisé en principe est le CDD. Il peut être prolongé cinq ans, contre 18 mois en droit du travail classique.

Seule protection pour le sportif : lors d’un arrêt maladie, le sportif est indemnisé par son employeur de façon illimitée, tant qu’il n’est pas guéri. Résultat : lorsque le CDD n’est pas prolongé, le sportif se retrouve sans perspective. “Souvent, ils n’ont aucune formation car ils ont commencé leur carrière très tôt. Il suffit de se blesser, ou être lâché par son employeur pour se retrouver dans la nature, sans rien”, déplore Nicolas Weisz. Dans la carrière d’un sportif, c’est en effet la reconversion qui pose le plus problème.

Pour y remédier, le législateur est intervenu en 2015, avec une loi ayant pour but “d’assurer le suivi socioprofessionnel des licenciés, en lien avec l’Etat, les entreprises et les collectivités territoriales”. L’idée : accompagner les sportifs dans leur reconversion. Malgré ces dispositions, la situation n’est pas réglée pour Nicolas Weisz : “ ce qui est fait n’est pas suffisant, la plupart du temps, les sportifs sont obligés de faire appel à des sociétés de reconversion, très chères”.

Pour Jean-Pierre Karaquillo, juriste, fondateur du centre de droit et d’économie du sport, et rédacteur d’un rapport sur le sujet en 2015, ce point est pourtant central. “La formation professionnelle est indispensable après la carrière, mais aussi pendant le parcours sportif, pour anticiper la reconversion : c’est ce qui n’est pas assez développé, explique-t-il. Car le problème n’est pas tant le recours au CDD,  le CDI étant totalement inadapté au secteur, mais le suivi des personnes pendant et après leur carrière”.

Pour certains, comme Jean-Charles Valladont, la solution réside dans les contrats d’insertion professionnelles, élaborés en collaboration avec les collectivités territoriales. “Les collectivités ont un rôle fondamental et très positif grâce à ces contrats aménagés. Mais cela reste de la tambouille et des solutions individuelles pour un problème global. Ce n’est surtout pas adapté aux sports collectifs”, déplore Nicolas Weisz.