Le tourisme français surfe sur la vague Taylor Swift

Nina Clément, Shad de Bary, Elena Gillet

Le tourisme français surfe sur la vague Taylor Swift

Le tourisme français surfe sur la vague Taylor Swift

Nina Clément, Shad de Bary, Elena Gillet
24 mai 2024
En concert à Paris au début du mois de mai, Taylor Swift a provoqué un boom économique autour de Paris la Défense Arena qu’elle a rempli quatre soirs de suite. Hôtels pleins, prix des Airbnb en augmentation, Américains à Paris… L’effet Taylor Swift a-t-il encore frappé?

ILfait 24°C le samedi 11 mai, sur le parvis de la Défense, à Paris. Dès 14h, des centaines de personnes font déjà la queue, en plein soleil. Ce soir, Taylor Swift jouera sa troisième date parisienne, l’avant-dernière. Dans la file de Paris La Défense Arena, on patiente sagement, s’échangeant quelques bracelets de perles, aux messages inspirés par les chansons de la pop-star. 

De quoi ouvrir la discussion, et souvent en anglais. Jules est canadienne, Jelena serbe et Juliette américaine. Elles ont fait le déplacement depuis Reims, où elles étudient à Sciences-Po: « L’année scolaire est terminée, c’est notre détour avant de rentrer. » Elles ont prévu d’en profiter, et prévoient trois jours supplémentaires pour visiter la Tour Eiffel, les jardins de Monet et, pour Jelena, Disneyland Paris.

Certains ont même prévu un aller-retour, pour les beaux yeux de l’interprète de « Shake it Off ». Susan et son mari Kevin viennent du New Jersey. Le couple de quinquagénaire a retrouvé, dans la file d’attente, un autre couple originaire de la même ville. « On a découvert par hasard qu’on serait tous les quatre à Paris en même temps pour le concert de Taylor Swift », plaisante Susan. C’est sa première fois à Paris, et elle a prévu tout un programme « J’ai particulièrement hâte de visiter les catacombes ! ». C’est son voyage d’anniversaire, offert par son mari, Kevin, qui aurait dépensé près de 2.300 dollars en transports et logement, sans compter plus de 1.000 dollars pour les tickets. 

Un tel engouement pourrait étonner, si on se réfère à la dernière fois que Taylor Swift a foulé les scènes françaises. C’était il y a plus de dix ans, en 2011, dans un Zénith « à moitié vide », selon Le Parisien. Pourtant, depuis quelques mois, Taylor Swift est partout. Sur scène, dans les médias, sur les réseaux sociaux… Si la France a longtemps résisté, elle aurait finalement « succombé au culte Taylor Swift ».

Une belle revanche

Dimitar Dilkoff/AFP

Ils sont loin désormais les tickets invendus et les salles à moitié remplies. À Paris du 9 au 12 mai, l’ancienne country girl a rempli quatre soirs de suite Paris La Défense Arena, dont la jauge est passée de 42.000 à 45.000 personnes. 180.000 fans ont donc assisté au voyage de 3h30 au sein de sa discographie, depuis ses débuts en 2006 jusqu’à son dernier album « The Tortured Poets Department », sorti en avril dernier. Il avait battu un record en accumulant plus de 300 millions d’écoutes sur Spotify, vingt-quatre heures après sa sortie.

Et si les Américains sont prêts à faire le déplacement jusqu’à la capitale française, c’est que le voyage reste rentable malgré tout. L’avion, l’hôtel et les billets (voire les packs VIP pour certains) coûtent moins cher que le billet moyen aux États-Unis, autour de 1.004 euros. Les sites non-officiels de revente de billets étant légaux dans le pays de l’oncle Sam, les prix explosent et peuvent atteindre les 10.000 euros. Outre-Atlantique, la vente et revente de tickets auraient ainsi généré 2,2 milliards de dollars. En France, les reventes sont soigneusement contrôlées par les plateformes officielles (Ticketmaster dans le cas de Taylor Swift). Les prix sont donc plafonnés et oscillent entre 69,50 euros et 245,50 euros.

Selon Laurent Dupont, directeur de la communication Paris la Défense Arena, les concerts parisiens de la chanteuse ont attiré environ 30% d’étrangers. Parmi eux, 12% d’Européens (sans compter les Français), et 18% d’Américains. Ces derniers seraient cinq fois plus nombreux que le nombre prévu pour les Jeux olympiques, affirme l’agence new-yorkaise de voyages de luxe Embark Beyond.

Les sites non-officiels de revente de billets étant légaux dans le pays de l’oncle Sam, les prix explosent et peuvent atteindre les 10.000 euros.

L’influence de la chanteuse est telle qu’un terme a même été créé sur les réseaux sociaux pour évoquer son impact économique: « #Taylonomics ». À une échelle plus académique, les professeures américaines Gwendolyn Nisbett et Stephanie Dunn, ont publié en décembre 2019 une étude sur le « Taylor Swift Effect » (l’effet Taylor Swift) aux échelles économique, politique et culturelle. La vague Taylor Swift brise tous les records avec ses 152 dates de concert: c’est la première tournée de l’histoire à écouler un stock de billets équivalent à plus d’un milliard de dollars, alors qu’elle se poursuit encore jusqu’en décembre prochain.

Le boom de l'activité touristique

Alexander Kagan/Unsplash

En France, les places sont parties en quelques minutes. Deux dates ont été ajoutées à Paris pour un total de quatre dans la capitale et deux à Lyon. C’est plus que d’autres artistes internationaux venus récemment dans l’Hexagone comme Harry Styles, Beyoncé ou encore Billie Eilish qui n’en ont fait que deux. 

La venue des Swifties s’est faite sentir à Paris, malgré son statut de ville la plus touristique du monde avec plus de 7,4 millions de visiteurs l’été dernier. Les réservations Airbnb ont augmenté de 30% par rapport à la même période l’an dernier. Et les prix aussi, de 35%, selon l’agence statistique française AirDNA. La ville de Lyon n’est pas en reste puisque les réservations sont en hausse de 282% sur un an, à l’approche des deux concerts de l’artiste. Selon l’office du tourisme de Paris, la clientèle américaine dans les commerces parisiens devrait progresser de 12,5% en mai 2024 par rapport à l’année dernière. Un effet ressenti plus particulièrement sur les jours précédant les concerts avec une augmentation de 43,5%. Au niveau des hébergements, « nous notons +5 points de taux d’occupation par rapport à 2023 à la même période », explique Inès de Ferran, porte-parole de l’office de tourisme de Paris.

Autour du quartier de La Défense, l’arrivée de la chanteuse a bouleversé les habitudes en termes de transport. « Entre 7.500 et 9.000 billets ont été vendus en lien avec ces concerts, révèle Charles Billiard, porte-parole de Flixbus avant d’ajouter, pas mal de lignes du Nord et de la Normandie passent par la Défense, les fans arrivent directement sur place. »

Les hôtels lyonnais ne sont pas en reste puisque les réservations sont en hausse de 282% sur un an, à l’approche des deux concerts de l’artiste.

Au niveau des hôtels parisiens, les prix auraient augmenté de 5% selon Lighthouse. Un chiffre qui reste très bas par rapport à Varsovie où les hôtels de la capitale polonaise enregistrent en moyenne une hausse de 150% de leur prix. Les hôtels du groupe Marriott Bonvoy, comme le Renaissance Paris La Défense Hôtel situé juste à côté de l’Arena, étaient complets du 9 au 12 mai affirme Céline Cola, directrice des ventes et du marketing. Il y avait « une majorité de réservations individuelles alors que La Défense affiche un taux d’occupation généralement plus modeste sur les week-ends, étant essentiellement une zone affaires. » Aux dates des concerts, environ 40% de la clientèle totale de l’hôtel était américaine. 

Pour l’occasion, le groupe avait organisé un concours permettant aux fans, uniquement ceux membres du programme de fidélité, de gagner des places pour des dates européennes. Un partenariat inédit pour le groupe. « Ces concerts nous ont apporté une forte visibilité et une nouvelle clientèle », assure Arnaud Hioutte, responsable relation presse Europe et Maghreb au sein de Marriott International. Les fans ont donc clairement répondu présent sur la scène européenne.

« C’est un booster d’économie »

Roslan Rahman/AFP

Si Taylor Swift est devenue la première artiste à devenir milliardaire grâce à sa musique, les produits dérivés rencontrent également un franc succès aurpès des fans. Selon Laurent Dupont, « c’est la première fois que Paris La Défense Arena ouvre deux jours avant un concert. Il y avait une énorme attente en France, particulièrement avec la sortie du nouvel album entre temps. On savait qu’il y aurait du monde. »

L’Arena avait même prévu d’ouvrir les stands de merchandising une semaine à l’avance mais les produits sont arrivés trop tard. Avec la vente de sacs, pulls, tee-shirts et autres porte-clés, « on n’a jamais vendu autant de merchandising sur un concert, confie Laurent Dupont, on a fait un très gros chiffre ». Et ce n’est pas anodin. Pour Julie Escurignan, enseignante-chercheure qui a étudié les dynamiques des fans, c’est aussi un acte identitaire : « C’est une manière de montrer qu’on est fan, au-delà de la communauté. » Un phénomène particulièrement marqué chez les Swifites : « Elle a des fans très loyaux, qui la suivent depuis des dizaines d’années. C’est une communauté très engagée et très fidèle. »

Pour faire face à cette demande exceptionnelle, le nombre d’employés a également dû être augmenté. 150 personnes s’occupaient du merchandising, dont 20 dédiées uniquement au réassort des différents points de vente, un record pour l’Arena. Pompiers, employés de la préfecture, policiers, serveurs… 2.000 à 2.500 personnes étaient mobilisées sur chaque date. « C’est un booster d’économie », conclut Laurent Dupont. 

Un « booster » qui dépasse le cadre direct du concert. Charles Decant, responsable du disquaire parisien spécialisé en pop-stars Lucky Records a noté une « vraie hausse de la fréquentation ». Il estime même avoir doublé son chiffre d’affaires et a ouvert exceptionnellement le lundi soir, après la dernière date parisienne de la star. Pendant qu’il répond à nos questions, Julia, une touriste allemande de 16 ans, fait la queue dans la petite boutique. Elle achète deux vinyles de Taylor Swift et s’extasie sur un des disques dédicacés par la chanteuse, fièrement exposé derrière la caisse. « Il est à 249 euros », l’informe le disquaire. Hors budget pour la jeune femme, elle repart sans.

« Du jamais vu » à Lyon

Ronald Woan/Wikimedia Commons

Si le raz-de-marée Taylor Swift a tenu ses promesses en déferlant sur la capitale en mai, il repassera en France, à Lyon, les 2 et 3 juin prochain. La pop-star foulera la scène du Groupama Stadium, plus connu pour être le fief de l’Olympique Lyonnais. Un porte-parole de l’hôtellerie locale confie à 20 minutes: « Un tel engouement pour une artiste, c’est du jamais vu. Taylor Swift, c’est un cran au-dessus de tous les événements. » Pourtant, Lyon n’en est pas à ses premiers grands noms, mais « elle fait plus fort que les Rolling Stones ou que Coldplay. » Les recherches sur internet de vols à destination de Lyon ont augmenté de 49% ces derniers mois, d’après Opodo France. Des recherches provenant de Londres, Lisbonne, Madrid ou encore Montréal. À Lyon comme à Paris, le passage de Taylor Swift, c’est l’assurance d’un rayonnement international.

Face à cette vague touristique, les hôtels lyonnais ne sont pas en reste. Ils affichent un taux de remplissage moyen de 80%. À la même période, ils oscillent habituellement entre 30% et 50%. Les prix des chambres s’envolent, selon une étude Lighthouse, puisqu’ils ont augmenté de 54%. La ville espère que les touristes mélomanes « en profiteront pour rester un peu sur place », selon l’Office de Tourisme.

Pour la première fois, le concert ne sera pas le seul événement dédié à une star de passage dans la Ville Lumière qui organise « des activités encore jamais vues pour d’autres communautés de fans. » Par exemple, Caroline Fazeli, est présentée par Le Bonbon comme « la reine incontstée des festivités Taylor-made à Lyon » . L’américaine y organise un dîner spécial dans un bouchon, deux brunch et une grande fête dans un château. Les prix oscillent entre 55€ et 300€, selon les événements. À Lyon, on se tient donc prêt pour l’arrivée des Swifties.

À Paris, on a déjà balayé les confettis, les quelques perles et souliers abandonnés, derniers vestiges du grand show à l’américaine de Taylor Swift. « Maintenant, on passe aux Jeux olympiques », confie Laurent Dupont, représentant de Paris La Défense Arena. La salle accueillera bientôt d’autres événements de grande ampleur : les épreuves de natation, water-polo et para-natation, entre le 27 juillet et le 7 septembre prochain. Une vague d’un tout autre genre…

Nina Clément, Shad de Bary, Elena Gillet

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