Comment attrape t-on le virus du tir ? Par un oncle chasseur ? Par des parties endiablées de Call of Duty ou de Battlefield ? Claire est licenciée dans un club de tir sportif dans le 13e arrondissement de Paris, tout vient d’un souvenir d’enfance. De longs étés dans la campagne lyonnaise où « on se faisait chier comme des rats ». Elle tire alors en compagnie de sa grand-mère avec une petite carabine à plombs « qui traînait là et qui devait appartenir à mon grand-père ». Freelance dans l’événementiel, la presque trentenaire s’inscrit au stand en septembre 2019 et vide son Glock Slimline 48 une fois par semaine, pistolet qu’elle loue à chaque séance.
Comme Claire, de plus en plus de Français franchissent le pas et s’inscrivent dans un club de tir. La Fédération française de tir comptait en 2020 plus de 220 000 licenciés, un chiffre en constante augmentation. Entre 2011 et 2020, le nombre de licenciés dans un club de tir sportif a augmenté de 57%, preuve de l’intérêt des Français pour la discipline. Au total, entre les adeptes des stands de tir, les chasseurs et les collectionneurs, près de 1 500 000 français conservent au moins une arme à feu dans leur coffre-fort.
Pourtant, mettre la main sur une arme en France n’est pas chose aisée. Le port d’armes est interdit sauf pour les forces de l’ordre en service, quand la détention est autorisée sous certaines conditions. Quatre catégories sont encadrées par la loi. Les armes de guerre de catégorie A, strictement interdites à la vente sauf dérogation. La catégorie B rassemble les armes de poing et d’épaule destinées au tir sportif et nécessite une autorisation. La catégorie C regroupe les armes de chasse seulement soumises à déclaration, quand la catégorie D désigne les armes libres d’acquisition et de détention pour les majeurs, à savoir les armes à poudre noire et les armes blanches. Des contraintes qui n’effraient pas les nouveaux et les jeunes acquéreurs.
Youtubeurs et tireurs
« Touché ! » Allongé dans l’herbe, Victor n’est pas peu fier du tir qu’il vient de réaliser. L’œil derrière le viseur de sa carabine Remington 700, une arme de classe C, il vient de toucher une cible à plus d’un kilomètre de distance. Pourtant le jeune homme de 21 ans, casquette de camouflage vissée sur le crâne, n’est ni un soldat, ni un chasseur, mais un youtubeur. Derrière sa jumelle de tir, son ami Benjamin, 22 ans, l’aide à ajuster son tir. Les deux camarades de lycée ont ouvert leur chaîne « La Gauloiserie » en avril dernier et croulent déjà sur les vues : 31 000 vues sur l’une de leurs dernières vidéos, et plus de 8 000 abonnés au compteur. Un départ canon pour les deux Picards.
« Jamais vraiment intéressé par les armes en général », Victor tient sa passion pour le tir lors d’un voyage au Canada dans le cadre de son BTS agricole. Il y découvre un rapport à l’arme particulier.
« Là bas, quasiment tout le monde a une arme, et depuis très jeune. Au Canada les gens voient les armes davantage comme un bouclier, alors qu’ici, en France, on a tendance à les voir comme une épée. »
Très vite, le vidéaste-agriculteur à la moustache fournie convertit « Benjam » au plaisir grisant du tir. Depuis, les deux cartonnent des cibles sur l’exploitation de Victor. Plateaux d’argile, cible métallique, tout y passe. Surtout, ils découvrent les exigences d’une pratique singulière.
La sécurité avant tout
Loin du survivalisme et du cliché de l’américain surarmé, les deux youtubeurs sont obsédés par la performance sportive. Le plus grand exploit de Victor ? Une cible de 50 centimètres touchée avec sa carabine Remington 700 à 1 360 mètres. Une recherche des records qui se rapproche de l’idéal olympique. Lors de l’édition 2016 à Rio de Janeiro, pas moins de 15 épreuves de tir mêlant carabine et pistolet ont permis à la France de rafler deux médailles. En août, à Tokyo, neuf tireurs tricolores seront sur le pas de tir et tenteront de faire un carton.
Les deux amis recherchent la performance mais jamais au détriment de la sécurité. Lors des séances de tir sur la propriété de Victor, pas de place pour les novices. « Je n’invite personne qui n’ait jamais déjà tiré. Et puis, mon terrain est isolé et sécurisé, sans nuisance sonore possible », se réjouit l’agriculteur.
Dans les stands de tir, les règles sont encore plus strictes. « J’installe ma cible avec mon chargeur dans la main, l’arme et les munitions restent sur mon pas de tir, explique Claire, qui ne se verrait pas tirer ailleurs qu’au stand. On est surveillés par un responsable présent dans la pièce et scruté de près sur les caméras de surveillance, on tire en autonomie mais on n’est jamais seuls pour autant. »