Clara Gilles
Ce matin, Matthieu Prieur, parisien, est réveillé par un bruit sourd, lancinant. Ce ne sont pas les livraisons du supermarché d’en face qui l’ont tiré de son sommeil, ni les klaxons des voitures bloquées à l’arrière de la cargaison et encore moins la course effrénée des Parisiens pour se rendre à leur travail en heure de pointe. Le coupable, est un tracteur.
Matthieu 33 ans, sa femme Virginie et leurs deux enfants ont changé de vie, pour un temps. Le 17 mars dernier, alors que les Français se préparent au confinement, la petite famille prend la route pour rejoindre sa résidence secondaire à Arcanbail dans le Lot 46), laissant derrière eux leur appartement de Rueil-Malmaison (92). « C’était une évidence. Entre notre appartement et une grande maison à la campagne le choix est vite fait ».
Comme eux, 200 000 Parisiens ont préféré se mettre au vert pendant ces deux mois. Aujourd’hui, la majorité sont revenus, mais pour combien de temps ? D’après une récente étude du média « Paris je te quitte », 54% des franciliens » (sur les 866 interrogés) souhaitent quitter Paris le plus vite possible.
Depuis la fin du confinement, le 11 mai dernier, le marché de l’immobilier repart, en effet, à la hausse. Le téléphone de Jean-François Cerusier, agent immobilier à Persan dans le Val-d’Oise (95) n’arrête pas de sonner: « On avait peur que la reprise soit lente mais dès que le déconfinement a été annoncé les acheteurs se sont multipliés ». Deux catégories se dessinent avec d’un côté les Parisiens désireux de quitter la capitale et les habitants de grandes villes en région parisienne, comme Cergy-Pontoise, en quête de campagne. Le mot d’ordre reste le même: de l’espace et de la nature. « Pourquoi payer autant ici alors qu’on pourrait avoir plus de superficie et un extérieur ailleurs? Voilà ce qu’ils se disent tous en ce moment« , résume Jean-François.
Après avoir passé deux mois dans son appartement parisien, Eric Ouzounian, 50ans, étouffe. « J’aurais préféré être ailleurs, pouvoir me balader autrement que pour aller faire mes courses. A Paris on avait pas la possibilité de se rendre en forêt ». Pour ce documentariste et producteur de film le confinement a donc été synonyme de remise en question. « Habiter ici c’est bien quand tu sors beaucoup. J’ai passé beaucoup de temps en concert, au cinéma, en festival. Mais je me rends compte que j’y vais de moins en moins. C’est sûrement l’âge, la fatigue n’est plus la même ».
« On a l’impression que tout se passe à Paris. C’est faux ».
La liste des désagréments de Paris s’allonge également pour ceux qui ont pu se mettre au vert. Armonie, 28 ans, a passé les deux mois avec sa petite fille et son mari dans la maison des parents de ce dernier à Saint-Nom-la Bretèche dans les Yvelines (78). « Les modes de garde pour notre fille sont trop compliqués à Paris. Il faut se battre pour obtenir une place à la crèche. Et puis on a l’impression que tout se passe ici, qu’on va rater quelque chose, mais c’est faux, il n’y a pas que Paris en France ». En parallèle, le couple découvre les petits plaisirs de la vie à la campagne. « Les petits-déjeuners sur la terrasse ensoleillée, les promenades dans de grands espaces verts, l’air pur », énumère Armonie.
Même son de cloche pour Matthieu Prieur. Malgré les mesures restrictives du confinement le couple se rend compte des possibilités qu’offre la vie dans un environnement naturel. Tous deux sont passionnés de sport, ils en ont d’ailleurs fait leur métier: Virginie est professeure d’EPS et Matthieu est à la tête d’une entreprise de cordiste dans le bâtiment. Les jours passent et chacun découvre une nouvelle perspective d’avenir. « Ici c’est plus facile de vraiment prendre le temps de faire les choses. On a commencé à repenser notre manière de consommer, à avoir envie de nous nourrir avec nos propres légumes ».
Le couple a toujours voulu partir de Paris. Virginie est originaire des Pyrénées. Quand on lui propose un poste en région parisienne, elle accepte, mais avec la ferme intention de repartir un jour. Deux enfants après, la petite famille habite toujours Rueil-Malmaison mais a investi dans une résidence secondaire. Une grande maison dans un hameau d’une trentaine de maisons dans le Lot pour s’échapper de temps en temps de Paris. Ils espéraient déjà y emménager mais sans se fixer de date précise. Le confinement a accéléré leur projet. « On a commencé à faire des travaux. Plus le temps passait, plus on avait tout ce qu’il nous fallait ici. Alors pourquoi pas rester ? ». A l’inverse, Armonie et son conjoint, eux, ont préféré ralentir. Leur déménagement à Bali, leur grand rêve, n’est plus d’actualité depuis la crise du coronavirus. Alors quitte à rester en France, ils ont choisi de le faire en dehors de Paris.
« Une fois l’expertise réalisée, ils sont déçus et décident de ne pas vendre. »
Mais où ? Tous n’ont pas la chance d’avoir une résidence secondaire qui leur tend les bras. Pour ne pas aider, très peu d’offres sont disponibles sur le marché, comparé à la forte demande. « On sort d’une année 2019 où les taux d’emprunts étaient très intéressants. Les acquisitions sont donc récentes, les gens ne veulent pas partir tout de suite », explique Jean-François. Pour autant, les estimations de biens ont fortement augmentées. L’agent immobilier en réalise environ cinq par semaine, contre une habituellement. « Les gens entendent qu’il y a beaucoup de demandes pour les biens à la campagne. Ils ont l’impression que leur maison vaut de l’or. Mais une fois l’expertise réalisée, ils sont déçus et décident de ne pas vendre ».
Eric espère néanmoins compter sur le bouche-à-oreille pour dénicher son futur chez-lui. Après avoir passé toute sa vie à Paris il posera bientôt ses cartons en Touraine, plus connu sous le nom de l’Indre-et-Loire (37). C’est là-bas qu’il se sent bien. A Beaugency précisément, une ancienne cité médiévale traversée par la Loire.
Pour Armonie et son mari la destination est encore inconnue. Seule certitude: le sud où son conjoint vient d’accepter une mission. La petite famille se lance dans une phase « test » pour trouver leur ville ou village coup de coeur. « On commence par les environs de Bordeaux pendant trois, quatre mois avant de prendre la direction de la Côte d’Azur. Des amis ont proposé de nous accueillir. On va également louer une grande maison où on pourra inviter nos proches ».
Armonie et son époux peuvent compter sur la grande flexibilité de leur travail. Elle est auto-entrepreneure et aujourd’hui à la tête d’une entreprise de champagne. « Je suis associé avec une amie et je m’occupe de la partie opérationnelle. C’est quelque chose que je peux faire à distance, je n’ai pas besoin d’être à Paris ». Il est développeur dans la « Tech » et vient de se lancer à son compte. « C’est un choix. On a décidé de travailler tous les deux sous ce statut pour être libre de bouger quand on en avait envie ».
« Plus grand chose me rattache professionnellement à Paris ».
Free-lance ou pas, le télé-travail est de plus en plus répandu et a connu un véritable essor durant le confinement. Près d’un tiers des actifs en poste a pu y avoir recours. Une expérience qui semble avoir été appréciée: 40% des actifs aimeraient télétravailler aujourd’hui. Eric fait parti des satisfaits. En dehors de son travail de documentariste et de producteur, il est également professeur dans une école de journalisme parisienne. Il a pu assurer ses cours à distance pendant le confinement. « Avec mon métier de réalisateur je suis souvent en déplacement et si en plus je peux réaliser mes cours à distance, plus grand chose me rattache professionnellement à Paris », estime-t-il.
Mais certains métiers ne peuvent être exercés à distance: 46% des actifs sont concernés. Pour Virginie, impossible de quitter son poste de professeur d’EPS sans avoir obtenue une mutation au préalable. « C’est un trop grand risque. Si au final elle obtient un poste à 1h30 de voiture de notre maison il faudra tout repenser. » Dans l’enseignement, une mutation dépend d’un système complexe de points obtenus suivant des critères d’ancienneté ou par rapport à la situation familiale. Il faut s’armer de patience.
Matthieu compte profiter de cette attente pour s’organiser. A la tête de son entreprise avec un ami, il aimerait poursuivre son activité depuis sa nouvelle résidence. « Pour l’administratif je ne m’inquiète pas. Pendant le confinement j’ai travaillé à distance et tout c’est bien passé ». Il ne pourra néanmoins pas échapper à certains déplacements obligatoires. Un avenir encore flou qui stresse quelque peu son associé. « ll sent que la boîte ne sera plus la même sans ma présence quotidienne. Je me questionne aussi. A terme j’aimerais pouvoir monter une petite antenne ici mais les conditions sont différentes. Les matériaux utilisés ne sont pas les mêmes qu’à Paris. Je devrais sûrement faire une formation », envisage-t-il.
Le grand saut n’est pas pour tout de suite. Et d’ailleurs qui parle d’un grand saut dans le vide ? Tous envisagent de garder leur ancienne résidence principale sous le coude. « Peut-être que je vais finir par m’emmerder là-bas. Si c’est le cas je pourrai toujours revenir sur Paris ou simplement y passer quelques jours quand l’envie s’en fera sentir », prévoit Eric.
Garder un pied à terre dans la capitale présente un avantage financier non négligeable. Il le louera le restant de l’année, et à l’inverse sa nouvelle résidence quand il partira quelques jours à Paris ou ailleurs. Matthieu et sa compagne l’envisage également. « Nous avons fait estimer notre appartement pour une location. D’après l’agent immobilier nous pourrions le louer un poil plus cher que ce que nous payons chaque mois pour rembourser notre prêt. Si plus tard les enfants veulent étudier à Paris ils pourront y emménager ».
Mais ces nouveaux provinciaux seront-ils bien accueillis ? Pendant le confinement la colère contre les parisiens confinés à la campagne s’est fait sentir sur les réseaux sociaux. Pêle-mêle, ils étaient accusés de « déplacer le virus », de « venir infecter la campagne », voire de « surcharger les hôpitaux ». Une réalité à laquelle n’ont pas eu à se confronter la famille. Dans leur petit hameau les choses étaient bien différentes. Matthieu et sa compagne se retrouvent même assailli de dons de produits frais venant de leurs voisins. « On a très vite fait connaissance, sans tensions. C’est une micro-vie très agréable. Les gens s’arrêtent pour se parler et ne se disent pas juste bonjour de loin. La dernière fois qu’un voisin m’a proposé son aide pour quelques travaux il est resté toute la journée ! ».
Il faudra bientôt reprendre la route pour Paris. Le coeur est un peu lourd. « Mais les voisins ont décidé de décaler la fête du village pour que nous puissions y participer », s’enthousiasme Matthieu. Le rendez-vous est pris fin août quand la famille redescendra passer quelques jours de vacances. Peut-être le dernier avant-goût de leur nouvelle vie loin de Paris.
Clara Gilles