Lancer un nouveau format sonore est un réel investissement pour un média, qui peut apparaître d’autant plus risqué qu’il n’a pas la garantie de trouver son public. Détacher un journaliste, embaucher un technicien, promouvoir le produit … Créer un podcast, cela représente des coûts certains, d’autant plus lorsque l’on est un média de presse écrite, peu habitué et mal équipé pour le genre. Pourtant, pour ne pas manquer l’engouement pour ce type de format, certaines rédactions ont su trouver des stratégies pour lancer, elles aussi, leurs podcasts judiciaires à moindre, comme c’est le cas du Courrier picard, avec sa série Coups de barre.
Ici, le concept est simple et bien connu. Chaque semaine, retour sur une audience ou un procès marquant, que ce soit par son importance ou son caractère insolite. L’idée ne paraît pas nouvelle et pour cause, il s’agit là d’une reprise d’un format préexistant déjà dans le journal, «Histoires de prétoire». Chaque dimanche, Tony Poulain, le chroniqueur judiciaire attitré du titre, écrit une chronique judiciaire, un peu décalée de celles parues toute la semaine. Une version plus littéraire de ce qui se fait le reste du temps, une version «premium». Mais la ressemblance entre le format écrit et le nouveau format sonore va encore plus loin. Les histoires aussi sont les mêmes. «Je les lits mot pour mot ou presque», explique Tony Poulain, qui narre pour le podcast ses propres chroniques hebdomadaires. «L’intérêt pour le journal d’avoir un podcast basé sur les chroniques, résume le journaliste, c’est d’avoir un produit quasiment prêt à être enregistré et qui va très vite à produire.»
Dans cet épisode, l’histoire de deux frères victimes de multiples abus au sein de leur famille, se retrouvant à la cour d’Assises de l’Oise, lorsque l’un deux se retrouve accusé de meurtre.
Poussé par son rédacteur en chef qui voit en lui un potentiel, Tony Poulain se lance dans un projet de podcast judiciaire, mais le journaliste n’a que peu de temps à y investir, Coups de barre venant s’ajouter à sa charge de travail habituel. Aucun temps ne lui est aménagé pour y travailler. «On avait peu de temps pour monter cela», raconte-t-il. Pouvoir se baser sur une chronique régulière, sur «un produit d’une durée toujours un peu équivalente, un truc très calibré», est alors un véritable avantage en terme d’efficacité.
La chronique papier existant depuis sept ans, le journaliste a pu piocher parmi un large panel d’histoires pour sélectionner les plus propices à trouver une seconde vie dans sa voix. «Ce qui marche bien, c’est quand il y a beaucoup de dialogues. C’est un exercice particulier, je prends une voix fluette pour les dames, grave pour certains hommes, s’amuse-t-il. C’est ce qui donne de la couleur au papier.». Aller chercher le meilleur des chroniques passées a l’avantage d’aller vite, mais cela a également certains inconvénients : «C’est même assez frustrant, car ce n’est pas préparé spécifique pour le podcast. J’ai repris mes notes, mais certaines affaires remontaient à des années. Je les aurais sûrement prises différemment si j’avais su qu’on en ferait un podcast.»
Tony Poulain est convaincu des possibilités du podcast, «mais il faudrait y penser dans l’écriture. Pour l’instant, les chroniques papiers servent juste de matière première, c’est un peu dommage.» Tout en regrettant de ne pas pouvoir mieux exploiter le potentiel du format, il reste toutefois satisfait du résultat final qui a su trouver un public. «C’est presque un produit différent. Le fait que ce soit dit, les gens l’ont redécouvert. Certains sont venus à la lecture du blog après l’écoute du podcast.» En devenant des épisodes de podcast, ces histoires parfois bien connues des lecteurs – certaines ont également été publiées dans des recueils de chroniques – reprennent donc un nouveau souffle : «C’est un produit nouveau, cela peut apporter une image sympa. Ça fait partie d’un bouquet proposé au lecteur, c’est un vrai plus.»
Plus qu’aux lecteurs, ce nouveau format apporte aussi aux chroniqueurs judiciaires, Tony Poulain en est persuadé. «Le podcast, c’est comme le blog et les live-tweets, c’est de la valeur ajoutée sur le temps passé à l’audience. Tout cela révolutionne notre boulot. On ne passe pas plus de temps sur place, mais on exploite différents supports, synthétise-t-il. C’est aussi un argument pour continuer à avoir des chroniqueurs judiciaires dans les journaux.» Pourtant, cela est et restera, pour lui, une activité annexe à son travail principal, faute de budget dédié. Pour l’heure, investir financièrement dans un podcast gratuit n’a qu’un intérêt trop limité pour passer le pas. Une saison 2 est néanmoins prévue, bien que retardée par la crise sanitaire.