Des conditions de travail qui repoussent les jeunes filles, en témoigne leur absence dans les salles de classe. En Île-de-France, seuls dix Centres de Formation d’Apprentis proposent une filière maçonnerie. Les classes avoisinent quarante élèves et parmi ces dix classes, on ne compte que dix filles. Soit moins de 2,5 % : un chiffre révélateur de la féminisation très lente du métier. Dans le large secteur du BTP, on remarque de plus en plus de femmes plombières, électriciennes, peintres, mais trouver une femme dans les travaux publics – qui plus est sur les chantiers – relève du défi.
Pourtant, les entreprises gagneraient à promouvoir ce secteur et former plus de femmes. Selon l’enquête Besoin en main d’œuvre (BMO) de France Travail en 2024, la maçonnerie représente la plus grande pénurie de main d’œuvre dans le secteur du BTP. Alors, certains employeurs ont déjà adopté cette posture. « Nous avons 12 000 postes vacants en maçonnerie, évidemment que les femmes sont les bienvenues », déclare la Fédération française du bâtiment sous bannière UMGO (Union de la Maçonnerie et du Gros Œuvre)
Pour y parvenir, elle a une approche « très concrète et pragmatique. « On travaille à ce qu’il y ait de moins en moins de manutention pour ne pas mettre les femmes en difficulté. » Et pour ce qui est de leur intégration dans une équipe de maçons : « Localement, on a des “groupes de femmes », souvent menés par des femmes dirigeantes. Elles prennent les choses en main pour regarder localement comment ça se passe, accompagner les jeunes avec du mentorat. » Et puis les professions de cadre dans les travaux publics se féminisent, notamment chez les conductrices de travaux et les grutières : « L’intégration ne se situe plus au niveau de la maçonnerie mais dans d’autres professions ou au-dessus, notamment avec les cheffes de chantier. Ces femmes vont forcément faciliter l’accueil et l’intégration des maçonnes ».
En plus des initiatives lancées par quelques entreprises, des politiques publiques permettent aussi à plus de femmes de se lancer dans la voie de la maçonnerie. En Angleterre par exemple, 5,7% de femmes sont ouvrières (plombières, maçonnes, etc.) contre 1,8% en France. Là-bas, le gouvernement tente de les soutenir, notamment avec le nouveau programme “Women into Home Building”. Lancé depuis janvier 2023, il offre aux participantes une formation spécialisée, des stages pratiques sur site et un accompagnement personnalisé pour faciliter leur entrée dans le secteur du bâtiment.
Mais pour Stéphanie Gallioz, sociologue experte des conditions de travail, il faut aussi œuvrer en interne. Le changement des mentalités doit venir du haut de la hiérarchie : « Il y a des entreprises qui ont fait le choix d’intégrer une femme en toute connaissance de cause, et ça se passe bien. Mais comme partout, il y a la question des propos sexistes. Il faut donc faire attention à ce que l’employeur ne cautionne pas ces propos et cela passe en partie par de la prévention ». C’est ce que la présidente des SouterReines, Myriam Fontaine-Boullé, met en œuvre auprès des plus jeunes. « On organise régulièrement des visites de chantier avec des collégiens et des collégiennes, car si on veut promouvoir la mixité, il faut aussi sensibiliser les jeunes hommes pour leur montrer que les femmes ont aussi leur place sur les chantiers », assure-t-elle.
Sensibiliser en haut et en bas donc, c’est le gros œuvre qu’il reste à faire pour faciliter l’intégration des maçonnes dans le BTP. L’UMGO a bon espoir pour la suite notamment concernant l’accueil des femmes sur les chantiers. « Comme dans beaucoup de secteurs, nous préparons l’arrivée de l’intelligence artificielle dans le BTP. Cet outil permettra de mécaniser certaines tâches sur le terrain. Les conditions de travail seront moins pénibles et le métier sera plus connecté. » Les chantiers se modernisent, surtout avec l’arrivée de robots qui se chargent de prendre les cotes. Une manière de séduire de plus en plus de jeunes grâce à des métiers de précision et plus confortables. « Le seul obstacle qui demeure, c’est la météo et pour ça on n’y pourra jamais rien », sourit la représentante de l’UMGO.
Trois questions à Myriam Fontaine-Boullé, présidente de l’association Les SouterReines
Pourquoi votre association les SouterReines tente-t-elle de mettre en avant les métiers du BTP ?
« Pour ma part, je suis tombée par hasard dans le monde du BTP. C’est beaucoup plus fréquent que les gens arrivent par hasard dans ce secteur plutôt que par vocation. En France, on a dénigré, durant des années, les métiers manuels. Ils apparaissent souvent comme une fatalité. Le problème vient principalement de l’image qu’a pu donner l’Education Nationale concernant le secteur du BTP. On le voit aussi dans l’artisanat, la maintenance. Il y a un manque de main-d’œuvre de plus en plus important. Donc c’est important pour nous de donner une autre image du secteur. »
Alors comment donne-t-on envie à des jeunes d’aller travailler dans le BTP ?
« L’un de nos objectifs est d’abord de faire connaître le secteur. On s’adresse aux jeunes afin qu’ils découvrent tous les métiers nécessaires au monde de la construction. Pour ça, on organise des visites de chantiers. Notamment avec notre projet “objectif 100” qui consiste à rassembler cent collégiens et collégiennes chaque année pour qu’ils mettent un pied sur un chantier. Parce qu’on ne peut pas se rendre compte du côté passionnant du BTP sans être allé d’abord sur le terrain. »
Selon vous, pourquoi les femmes sont-elles encore absentes des chantiers ?
« Les conditions de travail ne sont pas adaptées aux femmes. Certes, ça s’améliore mais on a encore pleins de témoignages de femmes qui n’ont pas de douches voire pas de vestiaires ou de toilettes, avec des équipements mal adaptés. Sauf que si on veut que les femmes restent, il faut leur donner des vêtements confortables et adaptés à leur corps. De la même manière, il y a des grandes entreprises de construction qui mettent en place des politiques de féminisation mais qui ne sensibilisent pas les hommes sur le terrain qui peuvent dégoûter certaines filles du métier. »
Eléonore Claude, Noa Perret, Fanny Séguéla et Emma Larbi