Entre intégration et difficultés, les Ukrainiens en quête de stabilité en France

Anna Vasylenko, Marie Scagni, Alexandre Delaitre

Entre intégration et difficultés, les Ukrainiens en quête de stabilité en France

Entre intégration et difficultés, les Ukrainiens en quête de stabilité en France

Anna Vasylenko, Marie Scagni, Alexandre Delaitre
Photos : Alexandre Delaitre
20 mai 2025

Trois après le début de la guerre en Ukraine, la situation des réfugiés ukrainiens en France demeure préoccupante. Le nombre de personnes ayant fui le conflit n’a pas diminué. La recherche d’un emploi et d’un logement stable, ainsi que d’obtention d’un titre de séjour durable sont des questions qui continuent d’inquiéter la communauté.

« C’était un moment de soulagement, mais aussi d’incertitude. Nous avions fui la guerre, mais l’avenir reste flou.» Nadiya Mikhaïlenko, la quarantaine, est arrivée en France en mai 2022 avec son mari et ses trois enfants. Hébergée d’abord par une famille française dans la commune de La Mole (Var), le couple a pu obtenir un logement social temporaire en janvier 2023 au Mesnil-le-Roi (Yvelines). Cependant, le bail est arrivé à expiration et Nadiya se retrouve maintenant dans l’angoisse de la recherche d’un nouveau logement durable. « Les associations ne nous ont pas encore proposé d’alternatives. Nous avons fait des demandes auprès des mairies, mais rien ne se concrétise », explique-t-elle, le regard inquiet, les yeux gris baissés.

Depuis le début de la guerre, les autorités françaises ont mis en place une stratégie d’accueil pour les personnes déplacées d’Ukraine. Un centre d’hébergement à Paris géré par France Terre d’Asile sert de hub principal en Île-de-France. Ce dispositif vise à rediriger les réfugiés vers des solutions d’hébergement adaptées. 

La réalité est que de nombreux réfugiés ukrainiens reçoivent des offres de logement social en province. Souvent dans des petits villages où l’accès à l’emploi et aux services de base est limité. « Nous avons reçu une offre pour déménager dans un département de l’Oise, mais il s’agissait d’un logement situé dans un petit village, ce qui rendrait difficile la recherche d’un emploi sur place », témoigne Nadiya. Comptable en Ukraine, elle travaille comme aide-ménagère en France pour subvenir aux besoins de sa famille.

« En Île-de-France, il ne reste 540 places d’hébergement d’urgence pour les Ukrainiens », déclare Louiza Daci, directrice nationale Asile et Intégration chez Groupe SOS Solidarités. Selon elle, pour obtenir un hébergement à long terme à Paris ou en banlieue parisienne, les réfugiés doivent impérativement trouver un emploi en CDI, avoir des liens familiaux ou suivre un traitement dans des hôpitaux franciliens. Dans le cas contraire, les associations orientent les Ukrainiens vers des logements en régions. « S’ils reçoivent deux propositions de logement et choisissent de ne pas déménager, ces personnes risquent d’être exclues du dispositif d’hébergement et ne bénéficieront plus de l’accompagnement des associations », prévient-elle. 

Les Ukrainiens sont ainsi intégrés soit dans des hébergements temporaires, soit dans des logements sous intermédiation locative (IML), où les associations jouent un rôle d’intermédiaire entre le bailleur et les locataires. Ensuite, les familles peuvent signer le bail à leur nom une fois qu’elles sont autonomes et ont les ressources nécessaires. La plupart de ces logements proviennent du parc social ou de collectivités locales.

Actions Logement : un toit pour l’espoir

Plus de 9 000 personnes. Tel est le nombre de réfugiés ukrainiens hébergés par les filiales d’Action Logement depuis le début de la guerre en Ukraine. « Pour soutenir cette initiative, un budget de 2 millions d’euros a été mobilisé afin d’aider les familles à s’installer dans leurs nouveaux logements », d’après Sophie Benard, responsable presse. Ce dispositif d’accueil a soutenu près de 1 500 ménages, dont 94 % grâce à des associations. Cela représente 1,30 % des déplacés ukrainiens en France.

Les F3 et F4 constituent 68 % des habitations mises à disposition des personnes déplacées. Pour gérer ces logements, le Groupe a également mis en place des dispositifs en collaboration avec des associations, qui font figure d’intermédiaires entre le bailleur social et les locataires.

Cela a eu pour effet de faciliter la mise en relation entre ces derniers, tout en assurant l’accompagnement dans la gestion locative.« Début janvier 2023, 8 500 logements étaient occupés par plus de 27 000 personnes, incluant 4 250 issus du parc social et 4 280 du parc privé », explique Sophie Benard. Ainsi, cette initiative témoigne d’une réelle solidarité qui permet aux réfugiés ukrainiens d’avoir une chance de reconstruire leur avenir.

Le chemin vers un logement social durable semé d'embûches

Pour obtenir un HLM, les réfugiés doivent prouver qu’ils disposent de ressources stables qui sont égales ou inférieures aux plafonds réglementaires, et qu’ils sont en mesure de payer leur part du loyer. Les délais d’attente pour un HLM peuvent s’étendre de 6 mois à 2 ans, ce qui rend la situation encore plus critique pour ceux qui ont besoin d’un logement immédiat. 

« Nous étions dix dans la même chambre, partageant un espace minuscule », raconte Olga Koutsenko, mère de huit enfants. Avec ses cheveux châtains et une chemise à rayures, elle évoque son parcours en tenant tendrement son petit-fils de deux ans dans ses bras. « Quand nous avons emménagé dans notre nouvel appartement, c’était comme un rêve devenu réalité », déclare-t-elle, les yeux brillants de gratitude. Après un an passé dans un dortoir à Toulon, où elle vivait avec 50 autres réfugiés, la famille d’Olga a enfin reçu un HLM en avril 2023. Le processus a été long et complexe : après avoir visité l’appartement, ils ont signé le bail un mois plus tard, et un autre mois s’est écoulé avant d’obtenir les clés, le temps d’effectuer les travaux nécessaires pour rendre l’appartement habitable. « Lorsque nous avons emménagé, l’odeur de peinture était encore présente, mais c’était une nouvelle vie qui commençait pour nous », se souvient-elle avec une lueur d’espoir.

Aujourd’hui, la famille réside dans un appartement T4, comprenant trois chambres et un salon, dans un quartier calme, bien que modeste. Leur loyer s’élève à 540 euros sans charges, dont 270 sont couverts par l’APL de la CAF, la part de loyer restant à leurs charge est donc faible. Olga est consciente de la complexité de l’accès à un HLM pour les réfugiés ukrainiens. « Certains vivent encore dans des centres d’accueil pendant six mois ou plus » , souligne-t-elle. Son cœur se serre pour ceux qui continuent à lutter contre une situation précaire.

Dans un contexte de difficultés économiques et de l’augmentation de la pression migratoire, le gouvernement français est contraint de revoir les dépenses des programmes sociaux. Vladimir Rok, ancien travailleur social à l’association CASP et lui-même réfugié ukrainien, témoigne des difficultés croissantes rencontrées par les personnes déplacées d’Ukraine. « De nombreuses associations ont dû fermer leurs dispositifs d’aide à cause du manque de financement, laissant ces personnes dans le besoin », dit-il. Le CASP, l’Aurore et de nombreuses autres associations n’accompagnent plus les Ukrainiens dans leurs recherches de logement social après la fermeture des départements chargés du suivi des personnes déplacées d’Ukraine

À la recherche d’un foyer : l’odyssée d’un réfugié ukrainien


« J’ai obtenu un HLM à Saint Ouen l’Aumône l’année dernière : un T2 rénové et non meublé dont je suis le seul locataire
», se réjouit Vladimir Rok, travailleur social, dans une brasserie du 9e arrondissement de Paris. Yeux marron, écharpe grise, le trentenaire est originaire de la ville de Nova Kakhovka, située dans la région de Kherson au sud de l’Ukraine. Ce territoire est occupé par l’armée russe depuis le premier jour de la guerre. Vladimir a réussi à fuir le pays et est arrivé à Paris en mai 2022. D’abord hébergé par des connaissances françaises dans le Val-de-Marne, il a ensuite bénéficié d’un logement social temporaire fourni par le CASP, où il a travaillé pendant un an. « C’était un tout petit studio, situé près du cimetière du Père Lachaise, à Paris », se souvient-il.

Vladimir Rok, 30 ans, est arrivé en France en 2022. Avant l’obtention d’un HLM en 2024, il a habité dans un studio insalubre faute d’autres solutions. Crédit : Vladimir Rok.

La moisissure sur les murs, l’humidité constante et les courants d’air par la fenêtre, rendaient l’appartement insalubre. « Les immeubles attribués par le CASP comme logement sociaux étaient promis à la démolition dans six mois, et le dispositif d’aide aux réfugiés ukrainiens devait se terminer l’été dernier », explique le travailleur social.À la recherche d’une alternative pérenne et plus accueillante, Vladimir a contacté plusieurs bailleurs de la région Île-de-France en expliquant sa situation difficile. Finalement, en juillet de cette année, il reçoit le mail tant attendu de la part d’Emmaüs Habitat. « Le bailleur social m’a annoncé qu’ils avaient un appartement disponible à me proposer, je n’arrivais pas à y croire », raconte Vladimir en souriant.

Avec ses revenus modestes de 1500 euros par mois, le montant du loyer, charges comprises, représente 47 % de son salaire, ce qui l’oblige à se serrer la ceinture. Une réalité qui ne lui permet pas de louer un appartement dans le parc privé. 

Face à cette situation, Écoute Ukraine, qui fournit de l’aide psychologique aux réfugiés ukrainiens, tire la sonnette d’alarme. « De plus en plus de personnes se retrouvent sans logement », constate Anna Arkhipova, fondatrice de l’association. Un événement qui peut être particulièrement traumatisant, en particulier pour les familles avec enfants. Selon elle, les associations n’ont pas le droit de mettre les gens à la rue lorsque leur bail prend fin. 

Pourtant, des témoignages révèlent que certaines créent des conditions difficiles, en coupant des services essentiels comme l’eau ou l’électricité, pour inciter les réfugiés à quitter volontairement leurs logements temporaires. « Les gens n’ont pas d’autre choix que de partir, même s’ils ne peuvent pas se permettre d’attendre un HLM pendant six mois ou deux ans », regrette-t-elle. Pour obtenir un logement social pérenne, il est requis d’avoir un emploi stable et de prouver sa capacité à payer son loyer. Cela rend la transition entre un logement temporaire et durable extrêmement difficile.

« Juridiquement, il n’est pas possible de couper les fluides pour inciter les personnes à partir », clarifie le Groupe SOS. D’après Louiza Daci, « c’est illégal et cela porte atteinte à la dignité des personnes ». À la suite de la diminution progressive des dispositifs d’aide aux réfugiés ukrainiens, les fermetures des logements sociaux temporaires sont annoncées par l’État. « Chaque personne concernée en est informée et elle reçoit une proposition de logement adaptée à sa situation », explique la directrice nationale Asile et Intégration chez Groupe SOS Solidarités. En cas de refus des solutions proposées, la Préfecture pourrait intervenir pour envisager des expulsions.

 

Une incertitude à l’approche de la fin de la protection temporaire

La guerre en Ukraine continue de faire rage, et avec l’intensification des bombardements sur tout le territoire, de nouvelles vagues de réfugiés pourraient affluer en France et en Europe, sans qu’il y ait suffisamment de places pour les accueillir. Selon les données du ministère de l’Intérieur, 336 700 premières autorisations temporaires de séjour en France ont été délivrées en 2024, ce qui témoigne de l’augmentation de 1,8 % par rapport à 2023.

Et pour ceux déjà installés en France, l’incertitude plane quant à la fin possible du dispositif européen de protection temporaire, mis en place depuis le début de la guerre. Renouvelable tous les six mois et pour une durée maximale de trois ans, ce statut devrait prendre fin en mars 2026, sauf décision contraire de l’Union européenne. En l’absence de prolongation, les Ukrainiens venus en France grâce à cette protection devront obtenir un autre statut pour rester sur le territoire.

Conditions pour rester en fr
Infogram

Mais pour beaucoup, trouver un emploi stable ouvrant le droit à un titre de travail reste compliqué. Evgenia Zhuk, 43 ans, est arrivée en Ile-de-France avec ses deux fils au début de la guerre. Comptable en Ukraine, il est difficile pour elle de trouver un emploi avec la barrière de la langue. « J’ai fait reconnaître mon diplôme ukrainien. Je ne travaille pas actuellement, j’apprends le français pour reprendre mes études en France et exercer en tant que comptable », explique-t-elle. 

Alors face à cette crainte, de nombreux Ukrainiens se tournent vers des demandes d’asile, ouvrant le droit à un titre de séjour pérenne, contrairement à la protection temporaire. La France a enregistré 11 800 demandes d’asile d’Ukrainiens en 2024 et autour de 5 000 depuis le début de 2025, selon le décompte provisoire de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) paru début février. Un grand nombre d’entre eux bénéficie déjà d’une autorisation de séjour temporaire.

Face à cet afflux de demandes d’asile, le Sénat a adopté une loi le 14 mai dernier, visant à améliorer les conditions de vie des ressortissants ukrainiens dans l’Hexagone. « Ce report vers la demande d’asile résulte principalement de l’insuffisance des aides sociales associées à la protection temporaire », a souligné la commission des lois du Sénat dans son rapport sur le sujet. Parmi les dispositions adoptées, le droit de passer le permis de conduire français, mais aussi la possibilité pour professionnels de santé diplômés en Ukraine d’accéder aux épreuves de vérification des connaissances pour pouvoir exercer en France. La loi ouvre aussi aux Ukrainiens plusieurs prestations sociales comme l’allocation aux adultes handicapés, l’allocation de solidarité aux personnes âgées et l’allocation personnalisée d’autonomie.

Cependant, malgré une écriture initiale en ce sens et des amendements, le droit au revenu de solidarité active (RSA) a été exclu du nouveau dispositif. Par ailleurs, le texte adopté ne modifie pas la durée de l’autorisation provisoire sur laquelle le ministère de l’Intérieur ne souhaite pas revenir.

Une solidarité en baisse en Europe

Malgré les difficultés rencontrées dans l’accès à l’emploi et au logement, l’existence de prestations sociales pour les Ukrianiens bénéficiant de la protection temporaire n’est pour le moment pas remise en cause en France. Mais ce n’est pas le cas partout : plusieurs États européens comme l’Allemagne ou la Pologne ont commencé à restreindre l’accès à certaines aides dédiées aux Ukrainiens.

En Allemagne, les réfugiés ayant obtenu une protection temporaire pouvaient percevoir une allocation citoyenne (Bürgergeld), variant de 506 € pour un adulte en couple à 563 € par mois pour une personne seule. Mais depuis le 1er avril 2025, les Ukrainiens ne sont plus éligibles à cette aide et bénéficient désormais des prestations pour les demandeurs d’asile (Asylbewerberleistungen). Il s’agit d’une allocation mensuelle de 441 € pour personne seule. Cette nouvelle prestation, réduite, dépend désormais des états et des municipalités, et non plus du gouvernement fédéral. Ce changement de politique est motivé par la volonté d’harmoniser les aides sociales et d’encourager l’intégration des déplacés d’Ukraine sur le marché du travail.

En Pologne, l’aide aux réfugiés s’est invitée dans les débats de l’élection présidentielle. Le pays compte près d’un million d’Ukrainiens sur son sol, depuis 2022. Néanmoins, de récents sondages mettent en avant que seuls 50 % des Polonais sont favorables à leur accueil. Une hostilité grandissante qui s’accompagne d’une prolifération des discours anti-immigration ciblant les Ukrainiens, portés notamment par le parti d’extrême droite Konfederacja. Concernant les aides, la Pologne a supprimé ses compensations financières aux personnes qui viennent en aide aux réfugiés. Les familles percevant l’aide de 800 zlotys (187 euros) pour chaque enfant mineur doivent dorénavant remplir des conditions de fréquentation scolaire. Le candidat centriste Rafal Trzaskowski souhaite même la réserver uniquement aux personnes qui « travaillent, vivent et paient des impôts en Pologne ».

Plus arbitrairement, la Hongrie de Viktor Orbán a fait le choix de supprimer les hébergements financés par l’Etat et dédiés aux Ukrainiens issus des régions de l’Ouest du pays, considérant ces territoires comme sécurisés. Si ces personnes se retrouvent à la rue, cela posera un défi majeur pour les pays européens. Ignorer cette réalité pourrait avoir de graves conséquences, tant pour les réfugiés que pour les pays d’accueil.

Anna Vasylenko, Marie Scagni, Alexandre Delaitre

 

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