Brets, l’irréductible chipsier breton

Titouan Allain, Ulysse Llamas, Benjamin Milkoff & Louis Rousseau

Brets, l’irréductible chipsier breton

Brets, l’irréductible chipsier breton

Titouan Allain, Ulysse Llamas, Benjamin Milkoff & Louis Rousseau
Photos : Titouan Allain
27 mai 2024

Implanté depuis bientôt 30 ans dans le centre de la Bretagne, l’entreprise Brets est devenue la référence des chips aromatisées en France. Avec un succès savamment pensé, basé sur une production locale et une renommée auprès des jeunes et des influenceurs.

Au milieu des seigneurs de la chips, des hectares peuplés d’irréductibles Bretons résistent encore et toujours à l’envahisseur. Créée en 1995 par Alain Glon, producteur de pommes de terre local, la marque Brets s’est imposée comme l’un des leaders de la croustille en France. Son groupe, Altho Brets, commercialise deux tiers de ses paquets de chips pour des marques distributeurs. Pour devenir le deuxième vendeur de chips hexagonal, la firme s’appuie aussi sur le marché des chips aromatisées. Avec ses chips “pesto mozarrella”, “camembert” ou “poivrons grillés – chorizo”, Brets fonde sa renommée sur ce secteur, qui représente les trois quarts de son chiffre d’affaires en 2023.

À rebours de Lay’s, propriété du mastodonte américain de l’agro-alimentaire Pepsico, et Vico ou Tyrrells, qui appartiennent au géant allemand Intersnack, le chipsier a choisi un développement local autour de la commune de Saint-Gérand, au nord du Morbihan. L’entreprise y a implanté une de ses deux usines, où elle produit ses propres chips labellisées “Produit en Bretagne”. “C’est un bon produit, ça représente bien la Bretagne, il y a beaucoup de saveurs, beaucoup de recherche. Ça plaît à tout le monde”, recense Mickaël Cadet, producteur basé à Neulliac, qui travaille pour l’EARL (établissement agricole à responsabilité limitée) de Kergoff, juste à côté de Brets.

Qui produit des chips en France à part eux ? Seulement des petites entreprises très locales”, feint de s’interroger l’agriculteur, qui vend 20% de sa production à Brets. Malgré sa dimension locale, la marque est en pleine expansion et espère augmenter sa production de chips. Objectif : passer d’une production totale de 25 000 tonnes de chips aujourd’hui à près de 40 000 tonnes à l’horizon 2028. Soit 135 menhirs de Carnac. Dans cette optique, Brets a déjà annoncé la création d’un autre site de production à Pontivy, à quelques kilomètres de son site historique. Un investissement de 100 millions d’euros pour moderniser ses installations en Bretagne et atteindre ses nouveaux objectifs. Les premiers coups de pioche ont été portés début mai.

Brets axe beaucoup ses goûts autour de saveurs françaises, notamment les fromages (Crédit : Titouan Allain)

Le seul et unique chipsier français industriel

Malgré cette croissance, Brets se revendique comme une entreprise locale, de taille raisonnable. Elle l’affiche même sur ses paquets : “Nous sommes […] une entreprise familiale située en plein cœur de la Bretagne, engagés et solidaires de 265 agriculteurs de chez nous”. L’entreprise s’appuie effectivement sur un réseau d’agriculteurs bretons. Elle passe avec eux des contrats annuels. Ces derniers s’engagent à planter des patates sur une partie de leurs parcelles, en échange de quoi Altho Brets établit, avant plantation, un prix fixe auquel elle rachètera la production : “Pour 2024, le prix de contractualisation est de 157 euros la tonne de pomme de terre”, avance Jean-Pierre Morel, directeur commercial d’un centre de négoce partenaire de Brets. L’entreprise collabore avec une quinzaine de centres de négoce à travers la Bretagne. Leur rôle est de convaincre leurs clients agriculteurs d’intégrer la pomme de terre dans leur rotation. Ils servent d’intermédiaire à Brets pour lui fournir, en fonction de leurs besoins, les quantités nécessaires de tubercule jaune.

Jean-Pierre Morel compte aujourd’hui neuf clients aux profils variés : céréaliers cultivant principalement du blé, du maïs ou du colza, mais aussi éleveurs de porcs, de volaille ou de vaches à lait. En 2024, ces derniers ont mis en culture environ 115 hectares de pomme de terre, sur des exploitations de tailles variables. “Le producteur qui en fait le moins cette année a planté 7 hectares, celui qui en fait le plus c’est 27 hectares. Il faut savoir qu’il y a besoin d’espace pour cultiver de la pomme de terre. Ce dernier producteur a plus de 350 hectares de culture.

Tout est tracé à l’arrière du paquet de chips », Jean-Pierre Morel, directeur commercial d’un centre de négoce partenaire de Brets.

Mais selon lui, les agriculteurs ont intérêt à planter des patates. D’un point de vue économique d’abord, à travers la sécurité qu’apporte la contractualisation du prix d’achat. Elle permet de s’affranchir des fluctuations de l’offre et de la demande, qui touche par exemple les pommes de terre de consommation, qu’on peut retrouver en filet en supermarchés : “On a eu des années ou les pommes de terre restaient dans les champs car il n’y avait pas de demande, ou que le prix de la consommation est descendu à 40 ou 50 euros.” Accessoirement, diversifier les cultures permet aux agriculteurs d’être éligibles à davantage d’aides dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC) et de ses éco-régimes – un système de points récompensant la diversité des cultures par des paliers d’aides.

Il y a également un attachement à la marque Brets, à son image de succès et de localité. “Tout est tracé à l’arrière du paquet de chips, explique Jean-Pierre Morel. Il y a même le nom du producteur et la commune où il habite. J’ai des gens des fois qui m’envoient des photos de paquets contenant leurs pommes de terre. C’est vrai qu’il y a une grande fierté locale par rapport à ça.

Après dix ans à travailler avec Altho Brets, le centre de négoce voit la construction d’une nouvelle usine à Pontivy comme une opportunité d’approfondir le partenariat avec le chipsier breton : “La recherche de surfaces de pommes de terre va augmenter. Notre objectif est d’en proposer à de nouveaux clients et de passer assez rapidement à 200 hectares, et peut-être plus à l’avenir.

La Bretagne à la conquête du monde

Créée en 1995, la marque Brets s’est orientée vers le marché international depuis une dizaine d’années. Le chipsier a d’abord exporté sa production en Belgique et en Italie, avant de partir à la conquête de l’Asie, de l’Afrique du nord ou encore du Moyen-Orient. Si Brets tente de prospérer un peu partout, l’Europe reste son terrain privilégié avec notamment une implantation de plus en plus forte au Portugal. Le groupe Altho-Brets y a notamment investi 15 millions d’euros dans une usine, la Sociedade Industrial De Aperitivos (SIA), qui travaille surtout avec des marques distributeurs. Le groupe considère le marché ibérique comme prometteur, et envisagerait même de reprendre totalement une usine soit au Portugal, soit dans un autre pays du bassin méditérranéen. Preuve que le chipsier breton se tourne de plus en plus vers des marchés loin de ses frontières.

Gros poisson dans une mare polluée

Cette expansion a ses détracteurs. Samuel Servel, producteur de lait bio et voisin de l’usine historique de Brets, voit dans cette dernière un exemple du développement du “modèle agro industriel dominant” dans la zone. “On assiste à une logique forte de concentration, avec des fermes familiales qui s’agrandissent très vite.” Il dénonce les conséquences environnementales de ce modèle, particulièrement dans le cadre de la culture de la pomme de terre, “gourmande en produits phytosanitaires.” “Depuis 20 ans, ça a énormément évolué, argue Mickaël Cadet. La contrainte de la pomme de terre, c’est le mildiou. Ça nous oblige à pulvériser. Mais qu’est-ce qu’on retrouve chez les autres ? Beaucoup plus de produits que ceux interdits en France”, affirme-t-il.

« Plus d’usine, c’est plus d’eau consommée », Samuel Servel, agriculteur breton.

Samuel Servel s’inquiète également des risques d’érosion que fait peser la culture de la pomme de terre sur les sols. « Les producteurs continuent de tamiser les sols pour la cultiver, ce qui cause leur érosion lors de gros orages par exemple.” Il insiste aussi sur les “incidences sur l’eau”, dont la qualité est dégradée par les produits phytosanitaires, tandis que la construction de la nouvelle usine fait planer la menace de contraintes sur la ressource : “Plus d’usine, c’est plus d’eau consommée”. Et de rappeler la sécheresse qu’a connue la région en 2022.

L’association Eaux et rivières de Bretagne a ainsi alerté dès l’été 2023 sur le risque d’une consommation trop importante dans la future usine de Pontivy. “On passe de 250 000 m3/an à 525 000m3 d’eau consommée par Altho, soit plus du doublement de sa consommation d’eau !” Des chiffres que conteste l’entreprise, qui affirme par ailleurs prévoir “d’augmenter la capacité de sa station d’épuration qui permet actuellement de retraiter l’eau” usée traitée.

L’association Terres de lien a pour sa part dénoncé l’accaparement du foncier agricole par l’usine Brets dans un rapport publié en 2022. Sans intenter de procès contre la firme Altho, elle met en garde contre la pratique agricole du chipsier : “Derrière cette image de terroir, l’appétit foncier du groupe interroge les professionnels du foncier agricole, abonde-t-elle. Le groupe Altho cherche à maîtriser les terres par différents moyens. Les partenariats avec des agriculteurs bretons sont peu à peu remplacés par une maîtrise directe des terres. Depuis une dizaine d’années, on a vu émerger une nouvelle pratique, la prise de contrôle de terres agricoles via des montages sociétaires pour reprendre des fermes lorsque les agriculteurs partent à la retraite.

Le schéma se répète, dans la légalité : Altho achète des terres cultivables, qu’il transforme en SCEA (Sociétés civiles d’exploitation agricole). Toujours selon Terres de liens, ces SCEA touchent des fonds de la PAC, assurent une rentabilité plus élevée des terres et participent, à terme, à l’augmentation du prix du foncier. Cette pratique n’est pas inédite pour Altho, et tendrait à se développer. Pour la contrer, l’association prône plus de transparence, et propose aux agriculteurs de se regrouper au sein de leur foncière. C’est le choix qu’a fait Samuel Servel pour “protéger les terres familiales […] garantir leur vocation agricole et une agriculture biologique à long terme.

Dans un communiqué publié en février 2023, Altho rétorque être “propriétaire de trois SCEA exploitant 135 ha” en toute transparence. Il poursuit : “Altho possède en direct 80 ha, soit 0,004% du foncier agricole de la région Bretagne, superficie assez éloignée de « l’appétit foncier » et de la volonté « d’accaparement » décrits par Terres de Lien et des 1700 ha annoncés dans certains articles de presse. Malgré des sollicitations externes, Altho n’a pas de projet d’acquisition de foncier agricole, son dernier achat remontant à 2020.

On a l’impression que Pontivy leur accorde tout”, Anne-Marie Robic, présidente des Amis Du Patrimoine De Bieuzy

Pour le projet d’extension de son usine à Pontivy, le groupe a prévu de s’étendre à l’est et à l’ouest de son usine actuelle. Problème : la zone ouest est proche d’un verger, classée zone patrimoniale et touristique, et était convoitée par un agriculteur. Malgré cela, Altho n’a eu aucun problème pour valider ce projet d’expansion, dont le permis de construire a été validé en novembre 2023. “On a l’impression que Pontivy leur accorde tout”, soupire Anne-Marie Robic, présidente des Amis Du Patrimoine De Bieuzy, association locale qui contestait cet accaparement de terrains agricoles du chipsier.

 

 

Arôme de jeunesse

Pour cimenter sa place sur le marché du germe transformé, Brets joue à fond la carte de la chips aromatisée où elle capte 36% des parts de marché en France. Le chipsier breton en a même fait sa marque de fabrique. Précurseur dans ce domaine, il a lancé ses chips au poulet braisé dès les années 90. Aujourd’hui, la marque commercialise 31 goûts, de son best-seller “fromage du Jura” au plus original “pastis”, en passant par des chips goût “beurre”.

Tous ces goûts viennent d’arômes naturels, de concentrés développés par les employés en recherche et développement de l’entreprise. Pour avoir une chips au fromage du Jura, il y a bien à l’origine un comté AOP, réduit en poudre, et disséminé sur la chips. En ce qui concerne les viandes, celles-ci sont cuites d’une certaines façon à en extraire un jus, une sauce, elle aussi transformée en poudre.

Brets propose 31 arômes de chips différents aux consommateurs, très prisées des consommateurs (Crédit : Yara El Germani)

Ces goûts permettent à Brets de surfer sur les modes et de parler à un public toujours plus large et toujours plus friand de saveurs originales. Selon l’entreprise elle-même, son service Recherche et Développement teste jusqu’à 250 goûts par an, afin de dénicher la perle rare des tendances culinaires actuelles. “Ce qui marche en ce moment, ce sont les propositions fromagères et épicées”, décrivait le PDG de Brets, Laurent Cavard, dans une interview accordée à Ouest-France en janvier 2024. Une analyse qui se ressent dans les goûts sortis par la marque cette année : bleu d’Auvergne AOP, cheddar & piment Jalapeno et sauce curry. Comme une série télévisée ou une nouvelle musique, ces sorties créent une attente chez le public.

Ces saveurs permettent aussi de toucher directement le public cible de la marque : les jeunes. Brets justifie une partie de son succès par son implémentation auprès d’eux, plus à même selon elle d’acheter fréquemment des quantités importantes de chips. Cette popularité auprès du jeune public est cultivée par le chipsier breton, qui a fortement axé sa communication et sa stratégie marketing pour le toucher.

Ainsi, de nombreux influenceurs ont, ces derniers mois, publié des vidéos où ils testent des chips aromatisées Brets. Sur Instagram, TikTok ou encore YouTube, ce format cumule plusieurs millions de vues, grâce notamment à des personnalités très connues sur internet. En tête, les youtubeurs McFly et Carlito, dont la dégustation de chips cumule plus de trois millions de vues. Les deux influenceurs, dont la vidéo test n’était pas un partenariat rémunéré, ont même eu l’opportunité de visiter l’usine installée à Saint-Gérand. Un énorme coup de pub pour Brets, qui s’inscrit donc parfaitement dans une stratégie assumée par la marque : accroître sa notoriété via ces influenceurs, et ainsi pousser les gens à acheter les goûts montrés et testés dans ces vidéos.

Cette volonté de s’affirmer comme une marque jeune est couplée à un souhait d’apparaître comme une marque locale, proche de son consommateur. Brets cultive son identité bretonne, à rebours de ses concurrents américain et allemand. Le chipsier fait de son implantation locale un argument de vente et le pousse au maximum, notamment en inscrivant le nom de ses producteurs sur les paquets de chips commercialisés. De quoi rappeler que Brets se veut être une entreprise à taille humaine, avec une forte identité locale, même si elle s’affirme toujours plus comme un géant de la chips en France, avec les problèmes – principalement environnementaux – que cela implique.

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