« Ils partent de positions complètement fausses, en disant que l’homosexualité est un péché. C’est quelque chose de très complexe, de très pervers, avec plein de bonnes intentions affichées. Ça touche à la manipulation psychologique et ça fait beaucoup de mal car ces pratiques avancent masquées », détaille Jean-Philippe Cavroy, président de l’association Devenir Un En Christ qui aide à concilier foi et homosexualité, à propos des « thérapies » de conversion.
Jean-Michel Dunand, fondateur et prieur de la communion Béthanie, une fraternité œcuménique ouverte aux personnes homosexuelles et transgenres, a été victime de cette manipulation. Depuis son enfance, il se sait homosexuel et a été frappé par l’« amour du Christ » très tôt. Quand il a 19 ans, il entre au séminaire et en sort avant son ordination pour rejoindre une « communauté » dont il tait le nom. « C’est là que tout a dérivé, on m’a proposé des prières de guérison et ensuite des exorcismes. J’ai subi 8 exorcismes en un an et demi », se souvient-il. Il est parfois ligoté au lit. Un des prêtres déclare alors qu’il est « possédé par le démon de l’homosexualité » et demande au Seigneur de le « libérer ». « Ça paraissait simple donc je me suis complètement laissé faire et j’ai mis du temps à vraiment me considérer comme victime. J’ai vraiment été pris dedans, comme dans un tourbillon », poursuit-il.
Jean-Michel arrête alors de manger et de dormir, et va même jusqu’à contempler l’idée du suicide. « Il y avait autour de moi des gens à qui j’avais donné ma confiance et qui sont en grande partie responsables de ce que j’ai vécu. Personne ne m’a mis une corde autour du cou, j’ai toujours dit oui, mais c’est ça le phénomène de l’emprise », regrette-t-il.
« Bourrage de crâne »
Benoit Berthe, lui, a subi plusieurs sessions de « thérapies » réparties pendant des vacances scolaires ou des week-end, entre ses 15 et 18 ans, encadrées par les Béatitudes, un mouvement évangélique. « On était avec des personnes de tous âges, pas forcément homosexuels mais avec d’autres soucis à régler », explique-t-il. De ces sessions, Benoit ne garde que des « flash de souvenirs ». « Il me reste des souvenirs désagréables et d’autres pas forcément, car j’essayais de tourner les choses à mon avantage. Un soir, je me suis échappé avec deux filles et on a écouté de la musique et fait une nuit blanche », sourit-il. Les journées sont composées de moments de lecture de la Bible, d’enseignement, « de bourrage de crâne » , de moments de silence ou d’adoration. Aux repas, frugaux, se succèdent des ateliers et des suivis psychologiques « où on devait raconter sa vie en détails ».
Pendant deux ans, Ruben assiste à des « entretiens » similaires, avec une connaissance de ses parents qui appartient au milieu évangélique protestant. La conversation dérive rapidement sur son orientation sexuelle. « Il me disait que par rapport à la Bible, mon mode de vie était déviant et qu’il fallait se réformer. D’après lui, c’était condamnable », raconte le jeune homme. Les prières se succèdent durant les sessions : « Il voulait me faire changer à coups de versets », résume-t-il.
Benoit a perçu lui aussi cette « manipulation psychologique ». « On n’a pas mis en cause mon intégrité physique, la menace était beaucoup plus insidieuse et pernicieuse car ils ont vraiment l’impression d’aider les gens et ont donc une attitude bienveillante à ton égard. Et on le ressent donc on ne se dit pas qu’on est en danger mais il y a un sentiment de malaise. Avant, après et pendant, j’ai eu un instinct de survie qui m’a permis d’en sortir », résume-t-il.
Séquelles psychologiques
L’aspect psychologique et parfois physique de ces pratiques laissent de nombreuses séquelles, même des années après. Benoit a traversé des « périodes de dépression assez fortes avec des pensées noires, voires suicidaires ». De son côté, Jean-Michel Dunand a fait plusieurs « tentatives de suicides ». Il développe « une très grande haine de [son] corps et de [sa] sexualité ». « Je n’ai pas pu découvrir tout ça dans la tendresse et l’épanouissement », regrette-t-il. « Les sessions laissent une trace d’homophobie induite, t’as pas envie de devenir pervers comme ces gens qu’on voit à la télé sur les chars de la Gay Pride », renchérit Benoit. « Les thérapies induisent l’idée de ce qu’est vraiment l’homosexualité ou même les homosexualités. Encore aujourd’hui, je ne me sens pas encore pleinement faisant partie de la communauté LGBT, j’ai l’impression bizarre d’être en dehors de cette bulle ».
Après cette lente destruction psychologique et parfois physique, il faut essayer de se reconstruire. Jean-Michel a su que le moment était venu quand il a échappé de peu à une tentative de placement en hôpital psychiatrique, suggérée par un prêtre. « Je me souviens de me tenir devant les grilles [de l’hôpital], et d’avoir fuit. Je me suis dit que l’on ne m’aurait pas. Je me suis senti libéré mais il a ensuite fallu ensuite une longue période de reconstruction ».