La précarité hygiénique, le fléau social qui touche un Français sur deux
Laver ses vêtements au shampoing, tenir avec un seul paquet de couches par mois pour ses deux enfants en bas âge, se laver les dents au cure-dents. C’était le quotidien de Mariam (le prénom a été modifié), clandestine, lorsqu’elle est arrivée en France, en 2018. Elle était alors enceinte de son deuxième enfant, et dormait dans la rue. Avant d’être prise en charge par l’Association pour une gestion solidaire (AGS), la trentenaire est exposée à la précarité alimentaire, mais pas seulement :”Je n’avais pas l’argent pour les produits d’hygiène. Ma fille pouvait rester toute la journée avec une seule couche, mon fils, avec mon t-shirt. J’étais une mère isolée avec des enfants très sales”, se souvient-elle non sans émotions.
Grande oubliée des problématiques de pauvreté, la précarité hygiénique – le renoncement à des produits d’hygiène comme le savon, le dentifrice, les couches ou les produits d’entretien et de nettoyage – est pourtant l’une des plus répandues. En 2025, 47 % des Français limitaient désormais leurs achats de produits d’hygiène pour des raisons budgétaires et 17 % ont déjà dû choisir entre acheter de la nourriture ou des produits d’hygiène, soit plus de 8 millions de personnes confrontées à ce dilemme, selon le dernier baromètre Hygiène & Précarité en France de l’association Dons Solidaires en partenariat avec IFOP. Des chiffres qui ne cessent d’augmenter depuis 2019. Pour l’association, le constat est sans appel :”La précarité hygiénique s’installe durablement dans le paysage social”.
Mankoya Coulibaly, mère de deux jeunes enfants, raconte son quotidien marqué par la précarité hygiénique. Elle évoque notamment les difficultés à prendre soin d’eux faute de moyens pour acheter les produits de base.
Les jeunes de moins de 35 ans de plus en plus touchés
Une situation “alarmante” que Dons Solidaires lie notamment à l’inflation. En 2025, les prix des produits droguerie, hygiène et parfumerie (DPH) restaient 9% plus chers en supermarchés par rapport à 2021, selon l’Insee. Obligent les ménages à revoir leur budget :”Quand toutes les dépenses du quotidien sont touchées, et qu’on a déjà priorisé sur les loisirs, rogner sur des produits essentiels comme les produits d’hygiène arrive très vite”, explique Emma Garnier, de Dons Solidaires. Elle pointe également “l’accumulation des crises successives” comme celle du Covid19 comme autre facteur dans le développement de la précarité hygiénique :”La pandémie a fait basculer dans la précarité des personnes qui étaient sur le seuil de la fragilité économique”, rappelle-t-elle.
Une observation qui va dans le sens des résultats du baromètre : au-delà des groupes sociaux les plus exposés à la précarité – comme les familles monoparentales – d’autres publics semblent maintenant exposés à la précarité. “Les jeunes de moins de 35 ans, incluant les étudiants et les jeunes actifs sont de plus en plus touchés – 36% selon le baromètre : le constat que l’on en tire, c’est que sortir de la précarité étudiante ou familiale en rentrant dans la vie active n’est, aujourd’hui, plus une certitude.”, analyse Emma Garnier.
Bérénice (le prénom a été modifié) en témoigne : l’étudiante en communication est apprentie au sein d’une association, et vit seule depuis maintenant deux ans. “Quand on est chez ses parents, on a l’impression que tous les produits d’hygiène repoussent tout seul dans la salle de bain, mais une fois autonome, on comprend que ce sont des dépenses, et des dépenses qui coûtent cher”, raconte-t-elle. Pour garder une routine corporelle avec un salaire de 730 euros, bien vite consommé par le loyer d’un appartement à Paris, Bérénice ne cache pas faire l’économie sur certains produits dans son budget d’une trentaine d’euros par mois :”Je choisis des produits de moins bonnes qualités, mais peu chers, je remplis d’eau ma bouteille de gel douche pour grappiller le savon restant au fond, je pique dans les stocks des parents…”. Bérénice cite de nombreuses “techniques” pour réduire au maximum ses dépenses.
Elle reconnaît également faire l’impasse sur les produits “de coquetteries, du moins pas essentiels”, comme les masques pour cheveux et maquillage. Ce qu’elle est loin d’être la seule à faire : en 2025, les renoncements se portent principalement sur les produits cosmétiques et particulièrement le maquillage (pour 33% des femmes), toujours selon le baromètre de Dons Solidaires. Plus frappant encore, 37% des Françaises indiquent devoir, par manque d’argent, ne pas se maquiller. “Ce qui est absolument injuste quand certains métiers exigent officieusement que leurs employées femmes se maquillent”, commente Bérénice.