Malgré une présence médiatique importante, le véganisme n’a pas encore eu un impact déterminant sur les modes de consommation et sur l’économie agroalimentaire française. Une étude Ipsos commandée par l’Interbev (l’interprofession bétail et viande) rappelle que 96% des Français se disent encore omnivores, et 91% déclarent manger de la viande au moins une fois par semaine.
Par ailleurs, pour Yann Echinard, maître de conférence en économie à Sciences-po Grenoble, le véganisme ne peut pas transformer rapidement les structures économiques du pays. “Il y a des effets d’inertie importants, des structures économiques lourdes, des effets de secteur etc. qui font que les pratiques des consommateurs sont aussi dictées par les producteurs, explique l’économiste. Si je devais trouver une formule choc, je dirais que le véganisme est une bulle médiatique. La réalité des forces du marché et des secteurs de production est plus complexe”.
En mars dernier, la tribune “Pourquoi les végans ont tout faux” publiée dans Libération a fait grand bruit. Les trois cosignataires voient le véganisme comme une “version politique et extrémiste de l’abolitionnisme de l’élevage et de la viande” et dénoncent “le mauvais coup que porte le véganisme à notre mode de vie, à l’agriculture, à nos relations aux animaux”. Pour eux, il est essentiel de penser des méthodes de production alternatives et plus respectueuses de l’animal, sans pour autant supprimer les liens qui nous unissent.
Jocelyne Porcher, sociologue et directrice de recherches à l’INRA, est l’une des signataires de la tribune. Elle a elle-même été éleveuse de brebis, avant de travailler dans un élevage de porcs industriel et d’y voir la violence de cette production. Elle défend des modes d’élevage et d’abattages alternatifs et plus respectueux. Elle est notamment cofondatrice de l’association “Quand l’abattage vient à la ferme”, qui milite pour que le gouvernement autorise une expérimentation d’abattage sur les lieux d’élevage.
“Pour que les végétariens puissent manger des œufs et du lait, il faut que d’autres personnes mangent de la viande et participent à cette production, donc les végétariens sont intérêt à défendre un élevage digne de ce nom”.
La sociologue assure que le véganisme, en voulant tout abolir, empêche de réfléchir à d’autres modes de consommation et leur nuit. Au premier chef, il est négatif pour le végétarisme. “Pour que les végétariens puissent manger des œufs et du lait, il faut que d’autres personnes mangent de la viande et participent à cette production, explique la sociologue. Donc les végétariens ont intérêt à défendre un élevage digne de ce nom et surtout à ne pas aller vers le véganisme pour rompre les liens”.
Dans “Pourquoi les végans ont tout faux”, les signataires affirment que “le grand danger de ce début du XXIe siècle est bien l’invention d’une agriculture sans élevage”. Pour la directrice de recherche à l’INRA, les véganes sont les ambassadeurs de l’industrie 4.0. et donnent le pouvoir aux géants de l’agroalimentaire. Ils voient un futur où la viande artificielle sera reine: “des amas de protéines qui auront poussé à grands jets d’hormones pour favoriser la croissance et d’antibiotiques pour éviter les contaminations”.
Par ailleurs, selon elle, le mouvement végane cherche à couper les liens entre les humains et les animaux, et c’est cela le plus dangereux. “Ce que souhaitent les véganes, c’est ne plus rien devoir aux animaux, or, le meilleur moyen de ne rien devoir à quelqu’un, c’est de rompre complètement les liens avec lui« , décrypte la sociologue.
D’autant plus que les théoriciens du véganisme comme Peter Singer, auteur de Libération animale, “n’ont pas d’amour pour les animaux, ce qu’ils veulent c’est simplement ne plus rien à leur devoir. Mais quand on aime quelqu’un, on maintient le lien”, explique-t-elle. Cette hypothèse n’est cependant soutenue que pas les véganes les plus radicaux et reste débattue. Isis la Bruyère de l’association L214 réfute cette thèse. “Il y a beaucoup de manières de vivre avec les animaux, sans nécessairement les exploiter” assure t-elle.