La chronique judiciaire et le podcast : renouveler un genre pour réinventer des médias

Blandine Pied

La chronique judiciaire et le podcast : renouveler un genre pour réinventer des médias

La chronique judiciaire et le podcast : renouveler un genre pour réinventer des médias

Blandine Pied
2 octobre 2020

Écouter au moins un podcast par semaine est désormais une habitude pour 5,8 millions de Français, selon une étude menée par Harris Media. Après un démarrage timide au début des années 2000, ce format audio en ligne s’est très fortement popularisé ces dernières années. En avril 2020, Apple hébergeait ainsi plus de 30 millions d’épisodes de podcast. Gratuits ou payants, ils se déclinent dans tous les genres et les émissions de divertissement côtoient des productions journalistiques. Interviews, reportages, analyses, débats. La profession a su réinventer ses formats standards pour investir de nouvelles perspectives de diffusion.

Pour attirer les auditeurs, de nombreux médias ont voulu réadapter à des genres dont l’origine remonte à celle de la presse : la chronique judiciaire et le fait divers. Exercices emblématiques du journalisme, ils ont toujours attiré la curiosité du public. De la presse locale aux médias nationaux, le genre est incontournable et a toujours su se réinventer pour s’adapter aux nouvelles technologies : que ce soit depuis l’éclosion de la photographie au XIXe siècle jusqu’au début de la couverture en quasi-instantané d’audiences pénales par le live-blogging (en France avec le procès de Véronique Courjault en 2009 et le live des journalistes de La Nouvelle République).

Aux États-Unis, c’est d’ailleurs une série d’enquête criminelle qui a fait exploser l’engouement pour les podcasts. En 2014, Serial, dérivée de la série radio The American Life, devient un véritable phénomène, avec plus de 175 millions de téléchargements pour sa première saison. En France, le genre, bien que de plus en plus populaire, est encore loin d’égaler le phénomène Outre-Atlantique et il est donc toujours difficile pour un média de rentabiliser ce type de projet.

En quatre entretiens avec des journalistes à l’origine de podcasts judiciaires natifs, tour d’horizon non-exhaustif des différentes logiques et dynamiques derrière la création de ces séries audio, de leurs intérêts journalistiques et de leurs apports pour les médias traditionnels.

«Mon Client et moi», prendre le temps de changer de point de vue

Depuis 2018, la station Europe 1 a lancé Europe 1 Studio, un label consacré aux audios sur Internet, qui revendique la création de formats innovants. Au moment de réfléchir à la création d’une série de podcasts sur la justice, Margaux Lannuzel, chroniqueuse judiciaire pour le site de la radio, a l’idée de Mon Client et moi, des témoignages croisés d’avocats sur des clients qui les ont marqués dans leur carrière.

L’objectif de départ était le suivant : profiter d’un format différent de celui très encadré de la radio pour changer de point de vue sur les affaires judiciaires et les mettre en perspective. «On se demandait comment faire quelque chose de différent, comment ne pas raconter des histoires dont on connaît déjà la fin, mais sans être non plus un  »Vis ma vie d’avocat », explique Margaux Lannuzel. La journaliste a donc choisi de recueillir des témoignages d’avocats sur des rencontres qui les ont particulièrement touchées. Ce faisant, elle avait aussi à cœur de renverser l’interdiction d’enregistrer les audiences, en demandant à ses participants de raconter leur version du procès. «On change un peu la perspective de l’histoire par le biais de la relation avec le client, poursuit-elle. On ne voulait pas que l’avocat soit au centre de l’histoire. C’est une manière de raconter tout ce qui se vit d’humain dans un procès, qui est souvent très compliqué et dur à vraiment retranscrire.»

Dans cet épisode, un avocat défend un homme soupçonné de pédophilie, l’autre d’être un tueur en série. Pourquoi accepter de représenter quelqu’un accusé de tels actes ? Peut-on défendre un «monstre» ? En opposant leurs points de vue et leurs ressentis, la journaliste invite à se questionner sur le rôle de l’avocat.

Avec travers ces récits d’avocats, le podcast revient sur des thématiques variées de la relation client-avocat, et sur son métier en lui-même. Doit-on défendre son client à n’importe quel prix ? Doit-il toujours le croire ? «On a choisi de mettre deux avocats par épisode pour leur donner de la profondeur, pour donner à réfléchir. On ne peut pas établir de constat général, car c’est infiniment plus compliqué que ça.» En amenant l’auditeur à s’interroger, la journaliste renverse aussi la vision donnée de l’audience lors des chroniques judiciaires traditionnelles, qui ont rarement le temps de soulever ce type de débat.

Changer de point de vue permet aussi aux avocats d’en raconter plus, de donner un aperçu de leur ressenti lors des audiences, sur lequel ils ne s’expriment que très rarement dans les médias : «Les avocats sortent un peu de leur côté professionnel pour nous raconter ce qu’ils ont pensé, comment ils se sont parfois sentis trahis. Certains se sont vraiment livrés. Le podcast permet vraiment une sorte d’intimité.» Un potentiel d’autant plus intéressant qu’il permet de s’abstraire des formats classiques, souvent très courts. «Ce n’est pas une émission de radio où il faut se tenir à la durée à tout prix. Le format est à inventer, la liberté est totale, s’enthousiasme la journaliste. Mais en même temps, on se dit assez vite qu’on ne peut pas faire n’importe quoi. Il faut que le modèle soit toujours un peu le même, qu’il y ait une habitude, que ça devienne un rendez-vous pour les gens.»

 

La série a donc été conçue pour fonctionner par épisodes, avec une certaine régularité de format (tous les épisodes font une trentaine de minutes). Un travail minutieux de coupe des interviews, d’écriture pointue pour guider le public au travers de ces histoires croisées. «Garder l’auditeur pendant vingt minutes, ça implique de créer du suspens, ce qui n’est pas vraiment notre métier. Parfois, on utilise presque des ressorts de cinéma.» Europe 1 Studio, en tant que label dédié à la création sonore, dispose de professionnels aguerris à la prise de son et au montage, qui ont permis à Margaux Lannuzel de se consacrer entièrement à l’écriture et aux interviews. La station l’a déchargée de son travail sur le site web pour qu’elle puisse s’investir pleinement dans le projet lorsque le processus l’exigeait. Une flexibilité appréciée par la journaliste.

Une seconde saison est prévue, bien que retardée par la crise sanitaire. La créatrice de Mon Client et moi espère qu’elle pourra se faire, convaincue de l’intérêt journalistique de projet. «Des formats comme le mien, c’est une nouvelle manière de raconter. Il y a un temps et un journalisme pour tout, analyse-t-elle. Il y aura toujours le temps de l’enquête, puis il y a le temps du procès, c’est nécessaire de raconter les choses au moment où elles se passent. Nous, c’est moins immédiat, c’est un nouveau regard qui serait plutôt complémentaire.»

«Un Micro au tribunal», la justice en immersion

A l’origine de la série Un Micro au tribunal, il y a une autre production sonore. Pour l’émission de reportage Les Pieds sur terre, diffusée sur France Culture, Pascale Pascariello obtient une autorisation exceptionnelle d’enregistrer des comparutions immédiates au tribunal de Marseille. Une permission rare, car toute captation d’audience est interdite depuis 1954, sauf pour certains procès à valeur historique ou autorisation spécifique accordée par les tribunaux. En 2017, France Culture diffuse donc un reportage de la journalisme qui couvre une audience marseillaise, au cours duquel la magistrate se montre particulièrement dure envers le prévenu. Le sujet fait un tollé et Pascale Pascariello est convoquée par la présidente du tribunal, avant de se voir retirer le reste de ses autorisations d’enregistrer. Les nombreux débats autour de la censure subie par la journaliste font écho jusqu’au ministère de la Justice, qui l’aide alors à obtenir de nouvelles autorisations dans des tribunaux pour son prochain projet. Projet qui deviendra la série de podcasts Un Micro au tribunal, diffusée sur Mediapart.

A travers les différents épisodes de la série, en immersion au sein de différentes juridictions – auprès du juge des tutelles, au tribunal pour enfants, au civil ou lors de comparutions immédiates –, Pascale Pascariello voulait montrer «la justice du quotidien, celle de 80% des tribunaux. Pour voir tous les maux dont elle souffre de la façon la plus représentative possible». Et pour mettre la justice à nu, elle suit magistrats et justiciables, jusqu’aux souvent secrets entretiens avec leurs avocats, dévoilant des rouages que l’on a peu l’occasion de voir.

Pourtant, le fait d’enregistrer un procès soulève une problématique majeure quand on veut représenter le système judiciaire le plus fiablement possible : la présence du micro a-t-elle un impact sur le déroulement de l’audience et sur le comportement des parties ? Pour rappel, c’est suite au procès Dominici que l’interdiction de capter les procès avait été ajoutée à la loi sur la presse de 1881. Les flashs incessants des photographes avaient perturbé l’audience au point que la loi avait amendée dans la foulée. «Une fois, une avocate a conclu sa plaidoirie en se demandant si la présence du micro n’avait pas rendu la peine plus humaine», se souvient la journaliste. Pour elle, qui faisait en sorte d’être le plus en retrait possible lors des audiences, il ne fait toutefois pas de doutes que l’enregistrement n’a pas perturbé le bon déroulé du procès : «Les problèmes de la justice prennent le dessus sur notre présence. Elle manque énormément de temps et de moyens, ce qui peut donner des décisions fracassantes. C’est cela qui prend le dessus, c’est la force de l’immersion. On se fait oublier et ils n’ont pas le temps de penser au micro.»

Pascale Pascariello ne se dit pourtant pas «dupe», elle sait qu’elle n’a eu accès qu’à certaines audiences choisies par le tribunal et qu’elle n’a donc pas pu rapporter la globalité de la réalité judiciaire. «Par exemple, je n’ai pas pu assister aux comparutions immédiates de gilets jaunes, regrette-t-elle. C’est un travail de longue haleine, on m’ouvre à peine la porte. C’est à moi d’entrer et de me faire discrète pour pouvoir faire mon travail sans être dirigée.» Selon elle, c’est sur la longueur et les deux ans qu’ont duré les reportages qu’elle a pu réussir à vraiment percevoir la réalité judiciaire. «Il y a eu des moments où ils ont été dépassés. Un jour, j’ai été autorisée à assister à une permanence du parquet [où les magistrats reçoivent les premiers appels suite à une arrestation et décide des procédures à mettre en place ou non]. C’est tombé pendant des manifestations de lycéens et il s’est passé des choses vraiment interpellantes. Mais même si je sentais que je gênais, ils ne pouvaient pas me mettre à la porte, explique la journaliste, se référant à l’épisode 10 de la série.

Pour écouter l’épisode : «Un jet d’œuf est un geste violent qui tombe sous le coup de la loi pénale»

Aux difficultés déjà évoquées, s’ajoute celle de ne pas dénaturer le reportage lors du montage. Bien que les audiences soient courtes, elles doivent nécessairement être raccourcies dans le produit final. «Comment faire pour ne pas schématiser et pour retranscrire au plus près ? C’est le propre du reportage et de tout journaliste finalement», synthétise-t-elle. La journaliste avait à cœur de ne surtout pas se positionner et de ne pas porter de jugement sur les parties aux procès. Pour cela, elle effectuait d’abord elle-même un pré-montage en fin de journée, avant de le faire écouter à une équipe de production, qui l’aidait ensuite à raccourcir l’épisode, à l’habiller et à le rythmer. «Cela paraissait logique de le faire moi-même, même si ce n’est pas toujours le cas partout. J’ai assisté aux audiences, je vais choisir beaucoup plus rapidement. C’est bien moi la plus à même de garder la matière la plus proche de ce que j’ai vu.»

La journaliste se dit assez satisfaite des retours sur la série. Du côté des magistrats, à l’exception de l’une énervée d’avoir été enregistrée en train de se moquer ouvertement en audience d’un prévenu sur ses difficultés à s’exprimer en français, ils ont été globalement intéressés par la démarche. La plupart s’était d’ailleurs porté volontaire pour accueillir les micros dans leurs salles d’audience. Les justiciables, eux, «ont un regard très différent» sur le podcast. «C’est un moment qu’ils ont vécu, le réentendre peut être très bouleversant.» D’autant plus que les procédures peuvent être violentes, notamment en comparutions immédiates où tout va très vite. «Quand les personnes arrivent au dépôt, elles sont dans une situation de fragilité. Elles vont être jugées dans les heures qui suivent. Elles sont prises dans une sorte de tourbillon.» Un tourbillon dont elles veulent un témoin, et ont donc très souvent accepté d’être enregistrées. «Je faisais signer une décharge aux personnes que je rencontrais, explique la reporter. Elles me donnaient l’autorisation de les enregistrer et je m’engageais à protéger leur anonymat.» Elle n’a essuyé que peu de refus, qui venaient principalement de familles dans des affaires dont les parents étaient soupçonnés d’attouchements ou d’inceste.

Pascale Pascariello en est persuadée, c’est son long travail d’immersion qui lui a permis de refléter le fidèlement possible la réalité du système judiciaire, même «il est impossible de tout montrer». En 2019, la série a remporté le prix de la création documentaire radio «Grandes Ondes» au festival Longueur d’ondes.

«Coups de barre», une seconde vie pour la chronique judiciaire de proximité

Lancer un nouveau format sonore est un réel investissement pour un média, qui peut apparaître d’autant plus risqué qu’il n’a pas la garantie de trouver son public. Détacher un journaliste, embaucher un technicien, promouvoir le produit … Créer un podcast, cela représente des coûts certains, d’autant plus lorsque l’on est un média de presse écrite, peu habitué et mal équipé pour le genre. Pourtant, pour ne pas manquer l’engouement pour ce type de format, certaines rédactions ont su trouver des stratégies pour lancer, elles aussi, leurs podcasts judiciaires à moindre, comme c’est le cas du Courrier picard, avec sa série Coups de barre.

Ici, le concept est simple et bien connu. Chaque semaine, retour sur une audience ou un procès marquant, que ce soit par son importance ou son caractère insolite. L’idée ne paraît pas nouvelle et pour cause, il s’agit là d’une reprise d’un format préexistant déjà dans le journal, «Histoires de prétoire». Chaque dimanche, Tony Poulain, le chroniqueur judiciaire attitré du titre, écrit une chronique judiciaire, un peu décalée de celles parues toute la semaine. Une version plus littéraire de ce qui se fait le reste du temps, une version «premium». Mais la ressemblance entre le format écrit et le nouveau format sonore va encore plus loin. Les histoires aussi sont les mêmes. «Je les lits mot pour mot ou presque», explique Tony Poulain, qui narre pour le podcast ses propres chroniques hebdomadaires. «L’intérêt pour le journal d’avoir un podcast basé sur les chroniques, résume le journaliste, c’est d’avoir un produit quasiment prêt à être enregistré et qui va très vite à produire.»

 Dans cet épisode, l’histoire de deux frères victimes de multiples abus au sein de leur famille, se retrouvant à la cour d’Assises de l’Oise, lorsque l’un deux se retrouve accusé de meurtre.

Poussé par son rédacteur en chef qui voit en lui un potentiel, Tony Poulain se lance dans un projet de podcast judiciaire, mais le journaliste n’a que peu de temps à y investir, Coups de barre venant s’ajouter à sa charge de travail habituel. Aucun temps ne lui est aménagé pour y travailler. «On avait peu de temps pour monter cela», raconte-t-il. Pouvoir se baser sur une chronique régulière, sur «un produit d’une durée toujours un peu équivalente, un truc très calibré», est alors un véritable avantage en terme d’efficacité.

La chronique papier existant depuis sept ans, le journaliste a pu piocher parmi un large panel d’histoires pour sélectionner les plus propices à trouver une seconde vie dans sa voix. «Ce qui marche bien, c’est quand il y a beaucoup de dialogues. C’est un exercice particulier, je prends une voix fluette pour les dames, grave pour certains hommes, s’amuse-t-il. C’est ce qui donne de la couleur au papier.». Aller chercher le meilleur des chroniques passées a l’avantage d’aller vite, mais cela a également certains inconvénients : «C’est même assez frustrant, car ce n’est pas préparé spécifique pour le podcast. J’ai repris mes notes, mais certaines affaires remontaient à des années. Je les aurais sûrement prises différemment si j’avais su qu’on en ferait un podcast.»

 

Tony Poulain est convaincu des possibilités du podcast, «mais il faudrait y penser dans l’écriture. Pour l’instant, les chroniques papiers servent juste de matière première, c’est un peu dommage.» Tout en regrettant de ne pas pouvoir mieux exploiter le potentiel du format, il reste toutefois satisfait du résultat final qui a su trouver un public. «C’est presque un produit différent. Le fait que ce soit dit, les gens l’ont redécouvert. Certains sont venus à la lecture du blog après l’écoute du podcast.» En devenant des épisodes de podcast, ces histoires parfois bien connues des lecteurs – certaines ont également été publiées dans des recueils de chroniques – reprennent donc un nouveau souffle : «C’est un produit nouveau, cela peut apporter une image sympa. Ça fait partie d’un bouquet proposé au lecteur, c’est un vrai plus.»

Plus qu’aux lecteurs, ce nouveau format apporte aussi aux chroniqueurs judiciaires, Tony Poulain en est persuadé. «Le podcast, c’est comme le blog et les live-tweets, c’est de la valeur ajoutée sur le temps passé à l’audience. Tout cela révolutionne notre boulot. On ne passe pas plus de temps sur place, mais on exploite différents supports, synthétise-t-il. C’est aussi un argument pour continuer à avoir des chroniqueurs judiciaires dans les journaux.» Pourtant, cela est et restera, pour lui, une activité annexe à son travail principal, faute de budget dédié. Pour l’heure, investir financièrement dans un podcast gratuit n’a qu’un intérêt trop limité pour passer le pas. Une saison 2 est néanmoins prévue, bien que retardée par la crise sanitaire.

«Juste un droit», vulgariser l'univers judiciaire

«Ce qui m’intéressait, c’était d’aller sur un terrain qui n’était pas encore préempté», explique Romain Gouloumès, du service Magazine de 20 Minutes. Récits d’audience, témoignages, enquêtes, retour sur des archives … Le podcast judiciaire a déjà pris de nombreuses formes depuis son éclosion en France. Toutefois, avec la série Juste un droit, le média gratuit 20 minutes a su trouver, en 2018, une approche qui n’avait pas encore été exploitée dans le domaine, celle de la pédagogie.

«C’est une approche très grand public, plutôt dans la vulgarisation», développe le journaliste. Lui, qui n’est pas spécialisé dans l’univers judiciaire, a choisi de décrypter le fonctionnement de la justice, entouré d’experts, journalistes comme professionnels du droit et des concernés. Du fonctionnement du système de jurés à la question du cyber-harcèlement, chaque épisode revient sur un pan spécifique du système. «L’idée est de s’adresser au public le plus large possible et aux questions qu’il se pose. La justice, c’est un univers qui peut apparaître opaque et qui est propice aux théories. On imagine beaucoup de choses dessus, car c’est très complexe au premier abord.»

Si le journaliste produit sur la série sur son temps libre, en plus de ses heures de travail, il ne fait aucun doute pour lui que son podcast a sa place dans son média : «C’est l’ADN de 20 minutes. C’est un site qui se veut accessible, qui fait les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.» Une série pédagogique a donc tout son sens au regard de la ligne éditoriale du journal et de son site Internet, dont l’équipe de chroniqueurs judiciaires est appréciée et reconnue des amateurs du genre.

Pour être sûr de correspondre aux attentes du public, Romain Gouloumès choisit parfois les sujets des émissions en fonction de questions envoyées par des auditeurs. «On a une liste de sujets. Au départ, on partait vraiment des questions comme :  »Pourquoi la justice est aussi théâtrale ? »,  »A quoi sert la prison ? » Ce sont des questions très larges, auxquelles il est difficile de répondre. Mais ces épisodes servent d’introduction, pour aussi mettre en avant des gens passionnants, de très bons vulgarisateurs.»

Pour le journaliste, ce sont bien les intervenants qui font le sel du podcast. Il cite notamment l’avocat Emmanuel Pierrat, qui a participé à plusieurs reprises à l’émission : «Là, je me suis dit qu’on tenait quelque chose, c’est un orateur né et un très bon vulgarisateur.» En plus de l’aspect pédagogique, le journaliste tient à ramener les hommes au cœur de la thématique judiciaire. «L’épisode sur la réinsertion est l’un de ceux qui m’a le plus marqué, comme celui sur les jurés d’assises, sourit-il. Interroger des gens qui ont fait vingt ans de taule, des personnes qui accompagnent des gens à la sortie de prison. On met le doigt sur l’humain, c’est l’une des choses les plus intéressantes.»

Les retours du podcast, conçu comme un C’est pas sorcier du droit, sont positifs d’après son créateur qui s’étonne d’être très régulièrement écouté par des avocats ou des étudiants en droit : «J’en suis ravi mais, le podcast n’a pas vocation à être technique. Les retours sont bons, mais les audiences ne sont pas incroyables, c’est compliqué.» Difficile pour un média de s’impliquer financièrement dans un média qui, s’il a certes un certain succès, peine à se construire une base de fidèles. «On est plutôt un podcast qui a la philosophie d’un podcast indépendant. On a des experts, on a des voix mais, on a très peu de moyens, d’un point de vue humain comme économique», souligne Romain Gouloumès. Seul le coût du montage est pris en charge par 20 minutes, les recherches, l’écriture et l’enregistrement se font uniquement sur «les pauses, les matinées et le week-end».

Ces conditions de travail freinent le podcast, dont aucun nouvel épisode n’a pu sortir depuis décembre 2019 pour des raisons techniques et sanitaires. Un regret pour son créateur qui espère pouvoir le reprendre dès que possible et pour qui il a toujours sa place sur le site du média : «20 minutes est souvent mal perçu comme média, le podcast permet d’ancrer le fait que l’on a des voix, des signatures. Cela permet d’humaniser le média. C’est aussi l’un de ses intérêts.»

Conclusion

Chercher un nouveau public, mener une enquête plus approfondie, explorer une thématique récurrente sous de nouveaux angles, étendre sa marque … Pour un média, il semble y avoir autant de raisons de lancer un podcast judiciaire que de formats possible, c’est-à-dire autant que l’imagination ne le permet. En pratique, elles semblent toutefois toutes tourner autour d’une même volonté, celle de se renouveler. Avec l’arrivée d’Internet et les difficultés rencontrées par les médias traditionnels (comme les quotidiens de presse régionale comme le Courrier Picard, ou comme la radio Europe 1, qui peine à regagner l’audimat et l’influence qu’elle eut pendant de longues années), la diversification est devenue une nécessité plus qu’un complément. Le podcast judiciaire paraît alors être une possibilité des possibilités de se rapprocher de ce but. Son impact reste pourtant à tempérer. Il n’existe encore très peu de marqueurs d’audimat pour le podcast mais il semble, pour l’heure, inenvisageable que les séries judiciaires natives de médias n’ait une audience similaire à des formats radio traditionnel du genre. L’heure de crime, l’emblématique émission narrative de RTL longtemps présentée par Jacques Pradel, est écoutée chaque jour par près de 300 000 personnes, revendiquait-il en début d’année. Sur Europe 1, l’émission de Christophe Hondelatte (Hondelatte raconte) afficherait, elle, plus de 12 millions de téléchargements en replay par mois. Que ce soit à la radio, en rattrapage ou à travers des podcasts natifs, la chronique judiciaire conserve les faveurs du public et devrait avoir de beaux jours devant elle.

Blandine Pied – Mémoire M2 Journalisme Celsa Sorbonne Université

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