Femmes au travail, des salaires comprimés

Agathe Touny-Puifferrat et Amadine Rouve

Femmes au travail, des salaires comprimés

Femmes au travail, des salaires comprimés

Agathe Touny-Puifferrat et Amadine Rouve
21 mai 2017

Inégalités salariales, « pay gap »… Le sujet de la discrimination entre hommes et femmes sur la fiche de paie est récemment devenu très médiatique.

Longtemps, entreprises et politiques se sont penché sur le sujet sans vraiment trouver de solution.

Mais aujourd’hui, les féministes et la société civile font des inégalités de salaire le nouveau fer de lance de l’égalité des genres. Et les entreprises comme les institutions jurent jouer le jeu.

Inégalité cachée

A 15h40, la place de la République est bien remplie. Sous la pluie, les manifestants brandissent tous la même pancarte : “A 15h40 mon salaire s’arrête, moi aussi.” Ce mercredi 8 mars, a l’appel de plusieurs ONG et, pour la première fois, de certains syndicats, les femmes sont appelées à se mettre en grève à 15h40. A travail égal, les femmes françaises sont aujourd’hui payées 26% de moins que les hommes : comme si elles arrêtaient de travailler quelques minutes avant seize heure.

Si le sujet n’a pas toujours était très audible en politique comme dans la société civile, il fait cette année partie des grandes revendications des défenseurs des droits des femmes. “Ce 8 mars est différent. Bien sûr on met toujours l’accent sur l’IVG, les violences faites aux femmes, mais cette année le combat de l’égalité salariale est vraiment sur le devant de la scène”, explique Suzy Rojtman du Collectif national pour les droits des femmes.

Pour certains manifestants présents, l’initiative de l’appel à la grève en rappelle une autre, celle du 7 novembre dernier, quand plusieurs associations féministes avaient proposé aux femmes au travail de prendre une pause et d’indiquer sur un papier “7 novembre 16h34”.

Le calcul était différent, mais ces deux démarches parviennent à sensibiliser les Français. “J’ai jamais trop fait attention à ce sujet, c’est pas hyper parlant. En novembre, certaines collègues ont joué le jeu de la pause symbolique, et ça a vraiment mis le sujet sur la table. raconte Sylvie, salariée à la Société Générale. Je suis une femme et je savais même pas que j’étais moins payée !”

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Les inégalités salariales n’étant pas visibles, comme pourraient l’être les violences physiques, le sujet a parfois du mal à intéresser, jusqu’aux concernées elles-mêmes. A 42 ans, Véronique, assistante commerciale dans une grande entreprise de média, n’avait jamais non plus pensé être discriminée sur son salaire. 

« C’est lors d’une formation que j’ai réalisé l’ampleur du problème. On était plusieurs femmes et hommes, et on faisait sensiblement le même travail dans nos entreprises respectives. Quand la formatrice a abordé le sujet des salaires, tout le monde a joué le jeu : résultat, tous les hommes présents étaient payés plus que nous les femmes ! Le pire, c’est que même les hommes étaient stupéfaits!”

Potentiel médiatique

Si il est facile à éluder, le sujet des inégalités salariales reste très parlant et traduit bien les discriminations encore faites aux femmes aujourd’hui. Les associations et syndicats semblent avoir bien compris le potentiel médiatique de la thématique, qui peut servir de porte d’entrée au milieu souvent caricaturé et fantasmé du féminisme. Surtout, il permet à des femmes et à des hommes de prendre conscience de l’état actuel des droits des femmes.

“Ce n’est pas un nouveau sujet. Les différences de traitement réservé aux femmes et aux hommes existent dans tous les milieux, et donc y compris dans celui du monde du travail ou les écarts sont flagrants. La, on ne peut plus ignorer”, commente Claire Serre-Combe, porte parole d’Osez le Féminisme.


“L’égalité professionnelle dépend de la mobilisation de l’Etat, des entreprises et des syndicats, mais aussi de plus en plus de la société civile comme les associations, think tank et organisations féministes”, observe Jacqueline Laufer, sociologue et professeur émérite à HEC. La question a désormais gagné la société civile, avec une conséquence: un investissement plus important de la part des entreprises pour agir. Certaines y voient même un potentiel d’argument marketing puissant, et communiquent de plus en plus sur le thème de l’égalité.

Pourtant, difficile de connaître les réalités réelles et chiffrées de la lutte contre les inégalités de salaire. Dans les classements visant à désigner les entreprises exemplaires en matière d’égalité des sexes, le salaire ne constitue qu’une donnée, et pas forcément la plus accessibles. Nous avons contacté à ce sujet plusieurs entreprises françaises considérées comme exemplaires sur ce sujet, afin d’obtenir des réponses plus précises sur les différences de salaire. Aucune n’a souhaité nous répondre.

 

Lois en pagaille

Si en pratique, l’égalité salariale est encore loin d’être atteinte, elle est établie dans le droit français depuis plus de quarante ans. Laurence Rossignol, ministre des droits de la femme, en a fait l’un de ses grands combats au cours du dernier quinquennat.

Le débat concerne, et a le mérite de rassembler toutes les sensibilités : au cours d’une séance de questions au gouvernement en novembre 2016, la ministre est huée par une partie –masculine- de l’assemblée, alors qu’elle répond à une question sur le sujet. Au cours de la journée, elle a reçu le soutien de nombreuses personnalités politiques, de Jean-Luc Mélanchon à Marine Le Pen.

Entre 2012 et 2014, le ministère des droits des femmes a impulsé un arsenal législatif important en faveur de l’égalité des sexes. Un texte daté de 2012 se concentre particulièrement sur la question des inégalités salariales. Les entreprises françaises sont désormais soumises à des sanctions financières lorsque l’égalité des salaires n’est pas respectée.

En moyenne, elles s’élèvent à 0,7% de la masse salariale. La loi prévoit aussi que les entreprises qui ne régularisent pas assez rapidement leur situation ne peuvent plus prétendre aux marchés publics. La peur des sanctions participe d’une mobilisation jusqu’à présent inédite dans les entreprises: accords et négociations se multiplient.

“La nécessité d’avoir des dispositions contraignantes envers les entreprises s’est imposée au fil du temps et a fait l’objet d’une succession de dispositions législatives”, analyse Jacqueline Laufer.

“L’Etat essaye aussi d’entériner un registre de justifications plus “positif” et plus “moderne” que celui du rattrapage des inégalités historiques. L’Etat associe donc l’égalité professionnelle et salariale à la correction d’injustices mais aussi à la performance économique pour mieux convaincre les entreprises.”

Tous les partenaires sociaux semblent donc aujourd’hui converger.

A la rentrée du gouvernement en septembre dernier, un bilan du ministère indiquait que plus de 2000 mises en demeure avaient été adressées à l’encontre d’entreprises. Près d’une centaine avaient été soumises à des sanctions financières.

Dans certaines entreprises, ces lois ont eu un effet direct et observable aujourd’hui dans les chiffres. “Les mesures mises en place dans les entreprises pour lutter contre les inégalités de salaires le sont à la suite d’obligations légales”, explique Julie Ruelle, membre du services RH d’Euronext bourse de Paris. Dans son entreprise, elle observe une baisse de 5 points de la différence entre salaire masculin et féminin, qui est passée de 18% à 13, un chiffre significatif dans un domaine traditionnellement très masculin. “Depuis 2010, des enveloppes compensatoires sont aussi accordée pour revaloriser les salaires féminins”, précise-t-elle.

L’Egalité salariale en France en 3 dates

Première apparition : en 1972, sous la présidence de Georges Pmpidou. Suivie de peu d’effets, elle est complétée en 1983 par la loi Roudy sur l’égalité salariale. Elle porte le nom d’Yvette Roudy, ministre des droits des femmes au cours du premier mandat de François Mitterand. Confiante sur un changement des mentalités des Français, la ministre estime alors devoir faire une loi avant tout « dissuasive ».

                              

En 2010, une loi impose pour la première fois des sanctions significatives aux entreprises qui ne respectent pas l’égalité salariale. Pour la première fois, on s’oriente plus sur l’incitation que la sanction. 

En 2012, une nouvelle loi sur l’égalité de salaire renforce les sanctions dissuasives à l’encontre des employeurs qui ne respectent pas l’égalité salariale, notamment avec des mesures d’imposition particulières.

 

Depuis la mise en place de la dernière loi, le nombre d’entreprises sanctionnées n’a cessé d’augmenter d’année en année. Un nouveau point cristallise désormais les tensions: le nom de ces entreprises n’est pas révélé, et ce malgré une demande de nomination portée par des associations féministes et certains députés, notamment l’écologiste Julien Bayou. C’est sur ce point qu’Emmannuel Macron prévoit d’agir au cours de son mandat.

 

Name and shame

Pour le nouveau président, l’évolution de la société sur la question de l’égalité des salaires passera par la transparence. En rendant public le nom des entreprises coupables d’inégalités flagrantes de traitement salarial entre les hommes et les femmes, il cherche à poursuivre l’implication de la société civile sur ces questions. Plusieurs pays européens ont fait le même choix.

En février dernier, le gouvernement de Grand-Bretagne annonçait que toute entreprise de plus de 250 salariés devrait rendre publique les écarts de salaires entre hommes et femmes au sein de leurs équipes à partir de 2018. Actuellement, en Grande-Bretagne, les hommes perçoivent un salaire supérieur de 19% à celui des femmes, en moyenne. En France, ce chiffre s’élève actuellement à 24%.

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