La nuit Queer ne fait plus mauvais genre

Cindy au bar la Mutinerie, jeudi 18 mai.
Cindy au bar la Mutinerie, jeudi 18 mai.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Drag queens, travestissement, musique techno… Très présente dans le milieu de la nuit parisienne, la communauté LGBT met sa culture si unique au service de soirées populaires. Trop populaires, peut-être. Les soirées LGBT, victimes de leur succès, attirent un public très large, parfois même au détriment des membres de la communauté, qui recherchent alors une transgression plus forte encore.

« J’évite les soirées hétéro, il s’y passe rien. On s’amuse tellement plus dans les soirées gay ! » Ces mots, ce sont ceux d’Adèle Cano, habituée du bar le Mastroquet, dans le 12e arrondissement parisien. Autour d’elle, ce sont surtout des groupes de même sexe qui dansent, boivent et s’amusent. Sur la scène, deux drag queens se déhanchent au son d’une musique techno endiablée. Adèle est hétérosexuelle, mais elle se mêle aisément aux populations diverses habituées des lieux de sociabilité homosexuels. Pour elles, la fête l’emporte ; et c’est encore dans les lieux LGBT que l’on s’amuse le plus.

« Les soirées estampillées gay attirent un gros public, bien plus large que la simple communauté LGBT à Paris », explique Hugo Platière, collaborateur de la soirée House of Moda et habitué du milieu. Les principaux collectifs organisateurs de soirées LGBT à Paris sont au nombre de quatre. La Flash Cocotte est l’une des soirées parisiennes les plus connues, grâce à Anne-Claire Gallet qui est l’une des DJs les plus présentes du milieu. Il y a aussi la House of Moda, qui est l’archétype de la soirée queer, avec beaucoup de drag queens, de gens déguisés et un thème centré sur la culture queer. Il y a également la soirée Bizarre Love Triangle au Maxim’s et le Bal Con.

« Queer », c’est l’adjectif employé pour décrire ces bars, boîtes de nuits et clubs animés par et pour un public homosexuel, bisexuel, trans ou autre. Un seul mot d’ordre : échapper au modèle hétérosexuel et aux rôles de genre classiques. « Queer, c’est quelque chose de plus grand que la seule communauté LGBT », selon Hugo Platière. « C’est une volonté d’assumer l’individu tel qu’il est, d’assumer ses différences, d’assumer son anormalité supposée. C’est une culture qui entoure le monde de la nuit et la fête, propre à la communauté LGBT, et qui aujourd’hui séduit un public toujours plus large. »

 

Une originalité qui attire

Marginalisée pendant des siècles, la communauté LGBT a appris à se serrer les coudes. La population LGBT avait besoin de se retrouver, la nuit parisienne est finalement devenu son environnement naturel, et pas uniquement un lieu de détente occasionnel.

« Pour la communauté LGBT, le clubbing représente quelque chose d’important parce que c’est le lieu par excellence où les minorités n’ont pas à subir l’oppression ordinaire que l’on rencontre dans la vie quotidienne », analyse Hugo Platière. Et cela se ressent. « Pouvoir se lâcher sans avoir peur du regard d’autrui », c’est la réponse qui est sur toutes les lèvres lorsque l’on demande ce que ces lieux apportent d’unique. « La culture gay est une culture gaie », affirme Wilfried Auvigne, patron d’un bar gay.

Des divertissements de qualité, de la bonne musique, des activités créatives… Autant de raisons évoquées pour justifier la popularité des soirées queer. « La culture LGBT, c’est aussi une culture de la musique, de la fête, du déguisement, qui se ressent dans ces soirées-là. », dit Hugo Platière. « Ces soirées sont faites pour que personne ne se sente mal à l’aise ou pas à sa place dans cet environnement. »

Les soirées queer sont un royaume d’exubérance dont les drag queens sont les reines. Incontournables de la culture queer, ces individus sont adeptes du déguisement, de l’exagération et de la subversion. Tous les jeudis, la scène du bar gay Le Mastroquet est envahie par Cookie Kunty, une drag queen aux airs de vraie reine : diadème clinquant, maquillage coloré encadré par une large perruque blond platine, elle parade dans son manteau de fourrure encombrant. Manteau qu’elle n’hésite pas à délaisser pour une robe de soirée élégante lorsqu’elle envahit la scène. Et elle danse, se déhanche sans gène, ses lèvres remuant au rythme du playback. Elle n’hésite pas à marcher au milieu du public, aussi, à toucher, parler et plaisanter avec les clients, dans une ambiance à la fois envoûtante et détendue.

La drag queen Cookie Kunty au bar le Mastroquet, jeudi 18 mai.
La drag queen Cookie Kunty au bar le Mastroquet, jeudi 18 mai.

« Ce n’est pas dans des soirées hétéro que tu vas trouver de telles performances. Il va peut-être y avoir de bons DJs ou des danseurs, mais c’est très impersonnel et ils ne vont pas échanger avec toi », expose Eloise Gaspard, habituée du Mastroquet. Une heure après, la jeune femme discutait autour d’un verre avec Cookie Kunty.

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Un phénomène en pleine expansion

« Il n’y aurait pas de soirées techno hétéros si les pédés n’étaient pas passés par là. » Avec cette phrase lapidaire, Hugo Platière exprime quarante ans de culture LGBT souvent ignorés.

L’origine même des soirées techno se retrouve dans les milieux noir et gay américains des années 80. « Quand on va dans une soirée techno, c’est l’héritage d’une certaine culture gay, d’une certaine culture des minorités. On a tendance à l’oublier, mais la communauté LGBT a largement contribué à structurer ce qu’est la nuit aujourd’hui. Ce sont surtout des DJs LGBT, des DJs de minorités qui ont contribué à la culture du clubbing. Le clubbing est un outil d’émancipation. C’est un environnement parfait pour l’expression des minorités. »

Dans les années 90, la peur de la drogue donne lieu à une répression du clubbing, des raves et des soirées à ciel ouvert. Le milieu homosexuel français, particulièrement impliqué dans la culture des soirées subversives, est marginalisé du même coup. Dès la fin des années 2000, on voit un renouveau de la culture des soirées LGBT. Le Pulp, le plus grand club lesbien de Paris, ferme en 2007. En, réaction, les organisateurs de soirées queer s’attèlent alors à proposer un nouveau format de soirées plus moderne. « Cela fait une petite dizaine d’années que le clubbing techno et le clubbing LGBT ont prit leur envol et évoluent parallèlement », conclut Hugo Platière.

Les soirées LGBT sont donc un phénomène jeune, en pleine expansion, et qui séduit plus d’un public. Aujourd’hui, difficile d’aller dans une soirée queer sans croiser des fêtards hétéros, ou dans une soirée classique sans retrouver des éléments propres à la culture queer. Pour Hugo Platière, « c’est un gage de qualité, quand tu prends un petit peu de la culture queer, ça donne un cachet cool à la soirée. C’est très bien que ça se mélange, mais il ne faudrait pas pomper l’esthétique des soirées queer sans être plus tolérant avec les personnes LGBT. »

 

De la normalisation à la subversion

Les soirées queer sont extrêmement populaires. Confrontée à la normalisation de ses codes, valeurs et modes d’expression, une partie de la communauté LGBT amplifie la subversion.

Pour certains, cela passe par l’interdiction pour certaines populations d’accéder à des soirées. Une décision pour « se protéger contre l’homophobie » que Hugo Platière défend avec un certain agacement. Lui, comme de nombreuses autres personnes, a été victime d’actes homophobes ; ceux-ci ont connu une augmentation de 19,5% en 2016 selon SOS Homophobie. « Oui, aujourd’hui, il y a des soirées interdites aux hétéros, ou réservées aux femmes ou aux hommes. La convergence des luttes et la non mixité sont en train d’exploser au niveau politique. »

Maria, étudiante en sociologie, à la Mutinerie
Maria, présente à la Mutinerie lors d’une soirée lesbienne
Le bar la Mutinerie, dans le Marais
Le bar la Mutinerie, dans le Marais

D’autres franges de la communauté LGBT ont choisi de mettre sur pied des événements plus portés sur la sexualité pour marquer leur individualité. Dans le bar lesbien la Mutinerie, c’est priorité absolue aux femmes et aux transsexuels en cas de forte fréquentation. C’était le cas pendant le festival « Porn Yourself », qui avait lieu à Paris du 18 au 21 mai. Samedi 20 au soir, c’est l’artiste transsexuelle Emi Fem qui réalise une performance. Sur le titre Fever de Peggy Lee, et en marchant autour d’un vélo, elle enlève progressivement ses vêtements puis ses sous-vêtements, du bas vers le haut. Après s’être aspergée d’huile puis de champagne, elle entreprend de mimer un acte sexuel avec son vélo qu’elle couche par terre. A la fin de la performance, Emi Fem fend la foule sous les cris d’enthousiasme.

Les réactions du public à ces nouveaux modes d’expressions sont contrastées. Julien, co-gérant de la Mutinerie considère ces performances comme une facteur d’acceptation : « La culture queer a des codes qui lui sont propres et s’adresse à un public qui la connaît et la comprend. Le but de ces performances, c’est de dire : « Regardez comme on peut être sexy. Je suis désirable tel que je suis » ». Des films pornographiques à tendances sado-masochistes ont aussi été projetés pendant ce festival. L’un d’entre eux mettaient en scène une pianiste et sa professeure qui lui versaient de la cire rouge brûlante sur tous le corps avant de la fouetter. Ces projections n’ont pas fait l’unanimité dans l’assistance. « J’ai trouvé cela vraiment offusquant. Je suis sortie jusqu’à la fin de la projection. C’était assez hard et je trouve cela bizarre de regarder cela tous ensemble. Je viens assez souvent dans ce bar et c’est la première fois que je suis choquée. Je pense que l’objectif, c’est de montrer une différence par rapport aux hétérosexuels, mais le faire à ce point, cela n’a pas de sens », réagit Amina, 22 ans.

Tout l’enjeu de ce genre de manifestations est de conserver l’identité particulière des habitués sans être exclure qui que ce soit. «C’était original et courageux de projeter des films pornographiques. On a été étonnées mais pas choquées. On comprend que certaines personnes aient pu l’être. C’est sûr qu’il y a une culture spécifiquement queer mais elle doit aussi être ouverte à ceux qui veulent y entrer», témoignent Tiphaine, Charlotte et Eva, habituées de la Mutinerie.

Après 22 heures, la Mutinerie retrouve son visage habituel, tout le monde se retrouve au bar et sur la piste de danse, redevenant ainsi un lieu de sociabilité LGBT plus traditionnel, à la fois convivial et surprenant.

  • Jean-Gabriel Fernandez & Anaëlle De Araujo

Maison Chérie: A la rencontre d’une drag house parisienne

Le collectif de drag queens Maison Chérie. Crédit photo: Jean Ranobrac
Le collectif de drag queens Maison Chérie. Crédit photo: Jean Ranobrac

Drag queens membres du collectif Maison Chérie, Cookie Kunty, Ryûq Qiddo font du drag depuis un an et demi, Enza Fragola depuis trois ans. Toutes trois sont très actives dans le milieu de la nuit depuis l’inauguration du premier Dragathon, un concours de drag queens, en 2014.

 

Q : Qu’est-ce qu’est Maison Chérie ?

 

Enza Fragola: C’est une drag house, un groupe de potes cohérent, comme une famille. Chaque personnage a sa propre personnalité, son charme. Mon personnage est carton papier ciseaux. J’aime être encombrante : je passe une porte sans avoir de problèmes, c’est que c’est pas assez, il manque un truc. Un truc qui dépasse, un truc qui déborde.

 

Ryûq Qiddo: On n’est pas comme ces houses où toutes les drags se ressemblent. Il y a tous les types de queens. Il y a Cookie Kunty, qui a un maquillage propre, à côté de Enza Fragola, qui recycle tout (Enza: « La poubelle ! Très clairement, je pioche dans la poubelle pour m’habiller. »), et moi qui suis plutôt masculine, avec des épaules de mec et un maquillage type créature. Il y a aussi des membres qui sont féminines ou issues du milieu transformiste, etc.

 

Q : Quelles sont vos actions ?

 

Enza: Notre groupe est une plateforme pour permettre aux drags parisiennes de s’exprimer et de se faire connaitre à travers nos activités. Il y les soirées, qui sont une scène ouverte qui a pour but d’aider des gens qui n’y ont pas accès de monter sur scène. Il y a un fanzine, « Les Fées du Marais », sur la drag culture. On participe aussi à des événements, comme le sidaction, pour lequel on a réuni 2000€.

Infographie par Jean-Gabriel Fernandez
Drag queen: mode d’emploi

 

Q : Pour vous, qu’est-ce que représente le drag ?

 

Cookie Kunty: Le drag est militant. Affiché ou pas, le drag reste un acte subversif. Tu poses des questions aux gens, tu soulèves des problématiques sur le genre surtout. Dans le milieu gay, on fait partie du paysage. Dans le milieu hétéro… on est moins accessibles, il y a comme un mur qui sépare les performers du public dans ces soirées.

 

Enza: Mais les drags c’est surtout le fun ! Les étudiants qui vont en soirée hétéro s’habillent comme s’ils allaient au supermarché. La communauté queer a une culture de la fête, du paraître, qui permet de mettre une distance entre celui que tu es dans ta vie banale et celui que tu es en soirée. Ca permet de faire les choses à fond, faire les choses en grand !

  • Jean-Gabriel Fernandez & Anaëlle De Araujo

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Génération Tinder: l’amour aux temps du numérique

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Aujourd’hui, 1 Français sur 5 a déjà utilisé une application de rencontres au moins une fois dans sa vie. Flirts, choix superficiels mais aussi heureux couples formés… Malgré un rapport uberisé à la sexualité et la peur de l’engagement, les utilisateurs sont, paradoxalement, toujours à la recherche du véritable amour.

« Célibataire, 37, sérieux, épouserait gentille demoiselle ville, campagne, propriété… ». Cinquante ans plus tard, les annonces matrimoniales du Chasseur Français nous font sourire. Aujourd’hui, c’est plutôt : « Hello, tu baises ? ». Tinder, Grindr, Happn… Ce sont quelques unes de la multitude des applications mobiles de rencontres, massivement utilisées depuis quelques années.

Les couples ont toujours eu recours à une aide extérieure pour se former. L’invention de l’agence matrimoniale date du XIXe siècle. La démocratisation des annonces matrimoniales est née avec le développement de la presse, plus particulièrement du Chasseur Français. Ce magazine spécialisé dans la chasse, créé en 1885 est surtout connu pour ses dernières pages remplies de petites annonces.

Après les marieuses, les applications mobiles sont une suite logique. Leurs usages se développent : une aventure d’une nuit voire de quelques heures, une relation longue, des rencontres homosexuelles… Les applications permettent plus de liberté et remettent en question notre rapport à l’amour et à la sexualité.

« J’utilise les applications pour meubler »

Benjamin est attablé dans un bar du 9ème arrondissement de Paris. Avec sa casquette rouge mise en l’envers, des lunettes à monture noire et une barbe de quelques jours, ce jeune chef de chantier est l’incarnation du Parisien branché. Il s’est inscrit sur le site de rencontres AdopteUnMec.com il y a sept ans et Tinder, il y a cinq ans. Le fonctionnement de cette appli est simple : elle fait défiler les profils des inscrits selon plusieurs critères, les plus importants étant leur sexe et la position géographique. L’utilisateur zappe ces profils en indiquant s’il les apprécie ou non. Si l’attraction est partagée, les deux inscrits sont mis en relation et peuvent commencer à échanger. Côté sécurité, seule la possession d’un compte Facebook est exigée.

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« Grâce à Tinder et autres applications, j’ai déjà dû avoir une quinzaine de relations plus longues et peut être soixante-dix aventures d’une nuit », hésite Benjamin. Pour ce Parisien, Tinder « est une manière de combler une névrose de séduction. Je peux me sentir valorisé et garder une superficialité dans la relation en même temps ».

Il n’hésite pas à profiter pleinement des opportunités qu’offre l’application. « Je vois souvent plusieurs filles en même temps, ce ne sont pas des relations explicitement monogames ». Mais il se sert de cet outil surtout par nécessité. « Si je pouvais m’en passer, je m’en passerai. Je préfère cent fois prendre un verre dans la vraie vie que de parler derrière un écran ! »

Découvrez le témoignage de Benjamin:


Pour Nicole Beauchamp, psychanalyste, le nombre très élevé des aventures d’une nuit auxquelles s’adonnent les utilisateurs s’inscrit dans une logique de protection de soi-même : « C’est une défense contre les émotions, la peur d’engagement et du désir ».

Valentin, 22 ans, est étudiant en communication visuelle. Il allume sa cigarette entre deux gorgées de café. Depuis cinq ans, il utilise régulièrement Grindr, application basée sur les principes similaires à ceux de Tinder, spécialisée dans les rencontres gay. Grindr met en relation des utilisateurs surtout pour des rencontres à objectif clairement défini : le sexe. Chaque profil comporte une photo, une description et le statut VIH.

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Habituellement, après un échange de messages sur l’application, cet étudiant rencontre ses partenaires directement chez eux ou chez lui. « Je ne fais jamais de ‘dates’, ça me fait trop peur. On discute, mais soit chez moi, soit chez lui, au bord du lit ».

Malgré son côté désenchanté, le jeune homme rêve de trouver une âme sœur. « Bien sûr que je cherche l’amour. Les applications sont là pour meubler entre temps ». Mais il ne se fait pas d’illusion quant à la possibilité de le trouver sur internet : « J’ai du mal à me projeter avec une personne rencontrée sur l’appli. Si elle est plus facile d’accès pour moi, c’est qu’elle l’est aussi pour les autres ». Sa dernière vraie histoire amoureuse a duré six mois et s’est achevée à cause de manque de confiance entre les deux partenaires. « Je sais qu’il allait sur des sites de rencontre, des applications… ».

La désillusion amoureuse

Les applications permettent de rencontrer plus de gens, plus rapidement, à côté de chez soi. Pour Pauline, lobbyiste, inscrite sur Tinder depuis un an, l’utilisation de l’appli a changé sa vision de l’amour. « Je suis devenue plus pessimiste. Forcément, quand on rencontre plus de gens, on est plus souvent confronté à la déception ». Elle adopte donc une attitude pragmatique : ne pas s’attendre à une rencontre extraordinaire pour ne pas être déçue. « Tinder c’est un peu comme la vie, tu ne sais pas dans quelle direction évoluera ta relation ».

L’utilisateur peut y découvrir la personne, sans même avoir à la rencontrer dans le réel. Blond(e), brun(e), taille, profession… Sur les applis, on retrouve toutes sortes de critères. Mais que reste-t-il à découvrir de l’autre ? François Charvin, psychanalyste, répond : « Il ne peut y avoir de rencontre si l’on connaît tout de la personne avant ». Peut être est-il mieux d’en savoir moins quitte à être déçu ensuite.

Avant que Pauline ne décide de rencontrer un homme dans la vraie vie, il doit répondre à un certain nombre de critères sur l’application. S’il écrit avec des fautes d’orthographe, n’utilise pas de formules de politesse, si dans ses photos il n’y a que des selfies, pour Pauline, c’est éliminatoire. Tout comme le garçon qui l’a contactée il y a plusieurs jours en commençant la conversation par le charmant : « Hello, on baise ? ».

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Les applications ont déplacé le terrain de la drague. Ce n’est plus dans la rue, dans des bars, des boîtes de nuit que l’on rencontre des gens. Aujourd’hui, c’est l’espace virtuel qui offre le plus de possibilités. « Quand je sors avec mes potes, je ne cherche pas à parler à des filles, j’ai internet pour ça », explique Benjamin. Les applications accompagnent leurs utilisateurs partout, sans limiter les moments de drague à un temps précis, jusqu’à en devenir des passe-temps, voire des addictions. Sur le téléphone de Valentin, Grindr reste très souvent allumé. « Quand je bosse, je me connecte, je vois ce qui se passe… Parfois ça devient une drogue, surtout quand t’as très envie de trouver quelqu’un ».

Benjamin:


Les applications permettent aussi d’économiser le temps. « Les rencontres en ligne se caractérisent par une explicitation des intentions amoureuses et sexuelles. Elles accélèrent l’enchaînement des évènements », analyse la sociologue Marie Bergström.

« Je fais toujours un tri drastique sur les meufs avant de les rencontrer, ça me permet de ne pas perdre mon temps », avoue Benjamin. Une sélection poussée parfois aux extrêmes. « Je me rends compte qu’il m’arrive de zapper des mecs pour des raisons complètement ridicules, par exemple quand je n’aime pas leur prénom… », constate Pauline. « C’est vraiment une logique de supermarché », explique cette blonde aux yeux bleus.

La grande force de l’application, pour Benjamin, c’est de mettre en contact des personnes qui ne se seraient pas rencontrées autrement, dans la vraie vie. Le jeune homme apprécie le fait de pouvoir élargir ses horizons en rencontrant des femmes venant d’univers différents du sien. « C’est un super moyen de faire connaissance avec des gens que je n’aurais jamais croisés. Parmi les filles que j’ai rencontrées sur Tinder, certaines sont devenues de vraies amies ».

« L’amour n’a pas de règle »

Histoires d’un soir, rude sélection, zapping des profils… Dans cet univers virtuel de relations rapides, peut-on encore trouver son âme sœur ? « L’amour n’a pas de règle et le coup de foudre existe ! » assure la psychanalyste Nicole Beauchamp.

Aude, 29 ans, responsable de boutique, en est la preuve. Elle s’est inscrite sur Tinder il y a quatre ans pour oublier sa relation précédente. Depuis plus d’un an, elle partage sa vie avec Mathieu. Ils se sont rencontrés grâce à l’application. « En février 2016 j’avais repéré ses photos. Ça se voyait que c’était un gentil », raconte la jeune femme aux grands yeux verts. Après plusieurs rendez-vous, ils ont décidé de se mettre ensemble.

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Les photos sont un grand critère de choix sur les applications de rencontre. « Juste en les regardant, on peut sentir ce que cherche le mec en face. Les selfies, les lunettes de soleil, tout ça est mauvais signe. Les photos de Mathieu étaient prises par ses potes, pendant les vacances. J’ai eu un bon feeling ».

Découvrez le témoignage d’Aude:


Certains considèrent que les applications encouragent l’infidélité. Une fois en couple, l’utilisateur serait toujours tenté d’aller voir ce qu’il y a ailleurs. La psychanalyste Nicole Beauchamp rassure : « Les applications facilitent les choses mais l’infidélité a toujours existé. Quand on a envie de tromper, on trouve toujours un moyen de le faire ». Aude fait la même analyse. « L’infidélité ? Si tu veux tromper il n’y a pas que Tinder. Je ne me sens pas menacée dans mon couple par les applications, comme je ne me sens pas menacée par une jolie fille dans un bar ».

Aujourd’hui, le couple commence à parler d’emménagement. Aude n’hésite pas à se projeter avec Mathieu en glissant dans la conversation que d’ici trois ans ils aimeraient bien quitter la capitale ensemble.

Malgo Nieziolek


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