Paris : le centre d’accueil pour migrants la « Bulle » est en cours de démontage

Fermé depuis le 31 mars, le centre d’accueil pour migrats en forme d’immense chapiteau gonflable est en cours de démontage. Il sera remplacé par cinq centres d’accueil répartis en Ile-de-France. 

 

Depuis son ouverture en octobre 2016, la "Bulle" a accueilli 25 000 hommes, femmes et enfants.
Depuis son ouverture en octobre 2016, la « Bulle » a accueilli 25 000 hommes, femmes et enfants (crédits : Chabe01).

La structure était provisoire. Dès son ouverture en octobre 2016, elle répondait à une situation d’urgence et son démontage a donc commencé comme prévu ce mercredi 11 avril.

À l’époque, l’objectif de la mairie de Paris et de la préfecture de police, était de proposer une solution à l’arrivée massive de personnes réfugiées, jusqu’alors livrée à elles-mêmes. En un peu plus d’un an et demi, le centre a vu passer 25 000 hommes, femmes et enfants. Et pour la seule année 2017, 15 000 sont passés par la bulle.

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Les réfugiés seront d’abord conduits dans des centres d’accueil de jour, expliquen nos confrères de France Bleu Paris, avant d’être emmenés vers l’un des cinq futurs « centres d’accueil et d’examen de situation » (CAES) qui s’ouvriront dans cinq des départements de l’Ile-de-France : à Paris, boulevard Ney toujours près de la porte de la Chapelle, à Ris-Orangis en Essonne, à Cergy dans le Val d’Oise, dans une commune des Hauts-de-Seine et une autre de Seine-et-Marne dont les noms ne sont pas encore connus.

Avec ces cinq centres, 750 places seront désormais disponibles, contre 450 pour la « Bulle » seule.

Guillemette de PRÉVAL

Migrants : « Il faut élargir la mobilisation citoyenne »

Aurélie est coordinatrice d’Utopia 56, une des deux associations qui gèrent le centre d’accueil pour migrants de la Porte de la Chapelle (XVIIIème). 

 

Comment les migrants prennent-ils connaissance de l’existence du centre ?

C’est majoritairement les passeurs qui les informent de l’existence du centre : ils sont présents autour des lieux de rassemblement (Stalingrad, Pajol, Gare du nord, Gare de l’Est), étant eux-mêmes réfugiés. Ils leur font miroiter beaucoup de choses, et tirent énormément partie de la communication sur la bulle {le surnom du centre, NDLR}.

Selon-vous, les mesures d’accueil sont-elles à la hauteur dans la capitale ?

Plus on accueille de migrants, plus on risque d’en voir arriver. Il faut un accueil uniformisé pour toute l’Europe, sinon les pays de bonne volonté seront en constante saturation. Il ne pourra pas y avoir d’accueil correct tant que chaque pays ne fera pas sa part. Voilà pourquoi ouvrir plus de centres à Paris n’est pas une solution aujourd’hui.

Que préconisez-vous pour l’avenir ?

Il faut qu’on élargisse au maximum la mobilisation citoyenne. L’État ne veut et ne peut pas tout faire. Le centre c’est un projet intéressant mais notre association croit davantage dans un accueil un peu plus humain. Les réfugiés pourraient par exemple être accueillis par des familles, pour mieux s’intégrer.

Propos recueillis par Antoine Colombani

Qui sont ces SDF qui vivent dans nos rues ?

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En 2017, ils sont près de 5 000 hommes, femmes et enfants à vivre et dormir dans les rues de la capitale, loin des clichés et de l’image d’Epinal du « clochard ». Comment finit-on dans la rue ? Comment y vit-on ?

Il est 19 heures, la nuit ne va pas tarder à tomber. Rue de Panama l’atmosphère est lourde, les gens s’agitent. Ça sent l’orage. A l’angle de la rue des poissonniers, dans le local de la Protection Civile du XVIIIème arrondissement s’affairent Martine et Thomas.

Comme avant chaque maraude, le mercredi, ils s’occupent méticuleusement des derniers détails. Ils vérifient le contenu des caisses. Il y a des produits d’hygiène, du thé, du café, beaucoup de soupes lyophilisées et aussi quelques vêtements. Des pulls et des t-shirts surtout. Ils préparent les papiers, ceux qui serviront au fil des rencontres à assurer un suivi, ils les relisent. Ce soir ils ne seront que deux. Combien de sans-abris croiseront-ils, ça ils ne le savent jamais vraiment.

Plus qu’une assistance immédiate, ils essayent chaque semaine d’apporter aux sans-abris qu’ils pourront croiser un peu de chaleur. Un peu comme s’ils essayaient d’entrer chez eux. Beaucoup ne veulent jamais ouvrir. Ils ont trop honte, trop peur. Parfois la folie s’est emparée d’eux et d’autres fois ils ne sont simplement plus là. S’ils sont finalement d’accord pour qu’on les aide ils se laissent faire, ils parlent. Viennent alors des conversations, la semaine d’après un suivi, puis des habitudes, une attache. Les maraudeurs les suivent parfois jusqu’à leur mort. Martine se souvient de Philippe, qu’elle a accompagné une partie des quinze années qu’il a passées dans la rue, jusqu’à son décès. Elle est allée à son enterrement, « en province ».

Il est 20 heures. La maraude se pose une première fois place Jules Joffrin, devant la mairie. Il pleut énormément, un déluge. Thomas retrouve Christelle. Elle est un peu serrée sous un abribus, en compagnie des passagers de la ligne 31, direction Porte de Versailles. Elle est toujours au même endroit. Il la connait bien. Son visage est marqué, mais elle est enjouée. Ses pommettes sont légèrement rougies par l’alcool et ses années dans la rue semblent avoir terni sa peau.

Près d’elle ce soir, deux nouveaux. Il y a Aziz, 32 ans, et Gino, assurément plus vieux. Il est posté à l’écart sous la pluie qui embue ses lunettes. Pour lui, tout semble avoir commencé par un divorce. Un simple t-shirt sur les épaules près d’un pack de bière bien entamé et une cigarette à la main, il se raconte : « J’ai habité dans le 94 [Val de Marne, NDLR], puis on s’est séparés. Ça fait quatre ans. J’ai quatre enfants, ils sont grands. » Il lève sa main droite et compte sur ses doigts : « un est ingénieur informatique, la première elle est conseillère à la banque, le troisième il est à Créteil, à Carrefour, et le dernier il va avoir 16 ans l’année prochaine. » Il n’en dit pas plus sur sa relation avec eux.

Et lui ? « Moi là je fais rien, parce que… C’est pas facile. Avec les dépressions, les séparations… Et puis j’ai pas le droit de travailler, parce que j’étais en HP [hôpital psychiatrique, NDLR], normalement je suis sous traitement. Quand j’ai pas de Valium, je bois de la bière. Ça aide. Mais parfois quand je vois que je suis pas bien, je vais à l’Armée du salut et je leur demande d’appeler les pompiers, parce que j’ai déjà fait plusieurs fois les tentatives de suicide (sic). Avant je travaillais dans la boucherie, j’étais bien. »

Thomas, membre de la Protection civile, distribue un café à un sans-abri
Thomas, membre de la Protection civile, distribue un café à un sans-abri

Gino dit toucher une pension d’invalidité pour des problèmes au dos. Il refuse la soupe et le café. Sous l’abribus Christelle ne dit pas non, mais elle n’a pas envie de se confier, et n’accepte pas la bouteille que lui offre Thomas, « de l’eau ? Qu’est-ce que je vais faire avec de l’eau ? Tu vois bien que je suis à la bière ? » se marre-t-elle. Ça fait rire Thomas. « À la semaine prochaine » dit-il en repartant vers la voiture.

A quelques centaines de mètres, avenue de Saint Ouen, la voiture freine de nouveau. Une vieille dame seule est allongée sous un abribus qui la protège du vent. Elle parait au moins soixante ans. Autour d’elle, des dizaines d’objets s’entassent, plus ou moins utiles : des duvets, des pots de yaourts entamés, des casseroles et pleins de petits sacs, des poches et d’autres boites remplies d’on ne sait quoi. Tout est disséminé sur plusieurs mètres.

Sous un parapluie, une passante s’arrête : « Cette dame est là depuis plus d’un an et demi. Elle a passé l’hiver dehors. Je la connais bien, ma fille habite l’immeuble en face donc je viens régulièrement et elle est toujours là, c’est terrible. » Thomas et Martine acquiescent puis expliquent qu’ils ne peuvent rien faire, « on ne peut pas les forcer, ni à parler ni à accepter notre aide » disent-ils navrés.

Ils racontent qu’elle n’a pas toujours été comme ça avec eux, que ça fait un moment qu’elle refuse le contact, que c’est comme ça, qu’ils ne comprennent pas. « Normalement elle demande toujours deux cafés, avec un sucre et demi dans chaque ». Juste à côté, accrochée à l’arbre « il y avait une tente avant » disent-ils, mais elle n’est plus là. La pluie tombe toujours à grosses gouttes. Les rues sont presque vides à présent.

Trois mois plus tard

La maraude s’arrête de nouveau vers 21 heures Place de Clichy. La pluie a cessé. Emmanuel « Manu » Leroy, 48 ans, fait la manche debout, abrité sous la petite arcade à l’entrée du lycée Jules Ferry. Il sourit en voyant les uniformes. Il lui manque quelques dents.

« J’étais dans les espaces verts, chez un patron, logé-nourri-blanchi, déclaré, et il a fermé l’entreprise : monsieur est parti à l’étranger parce que je pense qu’il devait avoir des soucis avec le fisc ou une connerie comme ça. Donc je me suis retrouvé le bec dans l’eau. Je ne pouvais plus rentrer chez moi, enfin chez lui, parce que c’était chez lui. Et voilà. Donc je suis arrivé sur Paris, » raconte-t-il calmement. Trois mois maintenant qu’il a découvert la rue. On sent que c’est dur, qu’il accuse le coup mais qu’il tient à donner le change.

« Au début je suis arrivé à Saint Lazare, j’avais pas un rond en poche, pas un téléphone. Dans un premier temps, j’ai fait appel au 115, et la seule fois où ils m’ont pris c’est une assistante sociale qui m’a guidé pour une domiciliation. Mais les hébergements étaient tous complets. Personne n’a voulu de moi. Puis la Croix Rouge est passée et ils m’ont dit : ‘’Allez dans le 4ème nous pouvons vous aider’’. Là j’ai réussi à avoir une domiciliation, quinze jours après mon arrivée dans la rue. Après je suis allé dans le 13ème pour faire une demande de dossier de RSA, et puis voilà. Mais là, elle est au point mort. »

Il raconte que la police lui a demandé de quitter la porte d’Auteuil ce matin, et d’emporter sa tente. « C’est bientôt Rolland Garros, faut faire le ménage » lâche-t-il goguenard. La police n’a pas été brusque et l’a même aidé à plier bagages. « J’ai mis ma tente dans un petit coin avec mon sac à dos. Je les ai cachés. » Demain, il a rendez-vous avec une assistance sociale, et il a bon espoir : un restaurant lui a proposé un travail de plongeur à partir du mois de juin. « Ça devrait bien se passer. »

Après dix minutes passés à l’écart sur son téléphone, Thomas lui annonce que, malgré ses efforts, il n’a pas trouvé de lit disponible pour ce soir. Manu s’y attendait. Alors que Martine et Thomas s’apprêtent à repartir, deux hommes visiblement éméchés viennent interrompre la fin des échanges pour réclamer de quoi manger. « On finit avec ce monsieur et on vient vous voir. Vous êtes où ? » L’un des hommes pointe son doigt plus bas sur l’avenue. Mais en quittant la place, Thomas se dirige dans la direction opposée. « Ils ont l’air bien éméchés. S’ils sont plusieurs dans cet état, c’est pas bon pour nous. »

Réfugiés dans la rue

Par mesure de sécurité, les brigades de la Protection Civile ont pour ordre d’éviter les groupes trop nombreux qui pourraient leur porter atteinte. « La PC {Protection Civile, NDLR} nous ordonne de ne pas trop aller vers les Roms et les migrants, trop souvent en groupe pour les seconds et souvent affiliés à des trafics pour les premiers » explique Thomas. Ils font encore plus attention depuis les attentats du 13 novembre à Paris.

Même en ce mois de mai, les vêtements supplémentaires sont les bienvenus
Même en ce mois de mai, les vêtements supplémentaires sont les bienvenus

Aurélie dit aussi « faire très attention, parce qu’on est très exposés ». Elle est coordinatrice pour Utopia 56, une des deux associations en charge du Centre Prioritaire d’Accueil de Porte de la Chapelle (CPA, dans le XVIIIème), le premier dédié exclusivement aux migrants. Elle craint autant les passeurs que les riverains. Seuls les hommes non-accompagnés sont accueillis au centre, question de sécurité là-aussi. « Souvent, les migrants et les populations de la rue ne se mélangent pas. Les populations précaires ne cohabitent pas sereinement Porte de la Chapelle. C’est à cause de cette violence qu’il n’y a ni familles ni femmes au centre. »

Le centre accueille des migrants d’un peu partout. « Ils viennent le plus souvent d’Afghanistan, du Soudan, de Somalie, d’Erythrée et d’Ethiopie, les pays de la corne de l’Afrique. Il y a aussi des Irakiens, et des ressortissants d’États plus stables comme la Guinée, la Côte d’Ivoire, l’Iran, l’Albanie et le Pakistan » liste Aurélie. En ce vendredi 19 mai, plusieurs dizaines d’entre eux, peut-être une centaine, attendent qu’une place se libère pour être pris en charge. Ils sont assis par petits groupes, parfois seuls, un peu partout et de manière complètement désordonnée. Il est bientôt midi et il n’y a pas un nuage dans le ciel. Parmi les rares qui ont réussi à rentrer ce matin, beaucoup devront repartir à 19 heures, à la fermeture du centre.

La capacité du CPA ne dépasse pas les 400 personnes. La durée de séjour varie entre cinq et dix jours. « Une fois ici, ils ne peuvent refuser leur orientation qu’une seule fois, et ils ne connaissent pas forcément la destination qu’on leur propose. Beaucoup espèrent rester en Ile-de-France ou à Paris. Or on les dirige plutôt en Province, vers des villes qu’ils ne connaissent pas. La majorité du temps, ils retournent dans la rue après le camp, ou dans d’autres villes. Ou alors ils tentent de revenir au centre sous un autre nom » explique Aurélie. Elle estime qu’ils sont « entre 200 et 300 dans le XVIIIème. Dans les autres quartiers on ne sait pas vraiment. »

Parmi ces personnes « il y en a aussi qui sont dans la rue parce qu’ils ont peur de rentrer dans le dispositif. En arrivant, ils doivent donner leurs empreintes. Ils peuvent être reconnus et être renvoyés dans un pays où ils sont déjà passés si la procédure Dublin est activée. » 

Ces dernières années, l’afflux sans précédent de migrants dans la capitale a bouleversé le visage de la ville. Certains sans-domicile fixes accueillent mal l’aide accordée aux migrants. D’autres s’en fichent, disent que ça ne change rien, que c’est pareil, qu’ils sont tous dans la même situation.

 

11 ans de rue commune

 

« J’ai rien contre les migrants, lâche Ludo. Mais comme ils arrivent en masse on s’en occupe en priorité, plutôt que de s’occuper des Français ». « Ça va mal finir », renchérit Isabelle. Pour autant, ce couple de sans-abris ne manifestent aucune rancœur, aucune jalousie. Chaque soir, ils dinent au Restaurant du Cœur, 29 rue du soleil (XXème). Ils se sont rencontrés « par hasard, sur une plage. 11 ans qu’elle arrive à me supporter, dit-il taquin. Aujourd’hui on a notre parking dans le XVème pour la nuit, et la journée ça dépend. Chaque jour est un jour nouveau pour nous. »

Ludo et Isabelle posent devant le Resto du coeur
Ludo et Isabelle posent devant le Resto du coeur, rue du Soleil (XXe)

Chacun à sa propre histoire. Lui a 42 ans. En tout, il en a passé quatorze en prison pour « des vols, des escroqueries, des cambriolages, un peu de tout… Parce que quand t’es dans la merde, faut bien trouver une solution. » En dehors des murs, il n’a presque connu que la rue.

« Je me suis barré d’un foyer à 12 ans. Le problème de la rue c’est pas tellement les gens, c’est plutôt la police. Ils sont sans pitié. Ils nous dégagent, nous contrôlent. Encore hier, sans motif, je me suis fait contrôler rue de Rivoli, alors que sur le trottoir d’en face un groupe était en train de se bourrer la gueule et de foutre le bordel. Moi j’avais juste une bouteille d’eau en verre. J’étais énervé à ce moment-là et je l’ai cassée. Ça leur a pas plu. » Sur sa famille, il en dit moins. Juste qu’il est papa, depuis 27 ans. Il sait que son fils est docker aujourd’hui. Ça fait vingt ans qu’il ne le voit plus. Ils ont fait ce choix avec sa mère, « pour qu’il suive pas mes pas ». 

Isabelle aussi est maman. « J’ai trois enfants, trois filles. Elles ont 31, 27 et 17 ans. Je ne les vois plus, elles font leur vie. J’aurais 51 ans lundi (le 22 mai). Je suis à la rue depuis longtemps, je compte plus. J’ai fait plusieurs stages de remise à niveau à la fin des années 1990-début 2000 je crois, on avait encore les francs à l’époque. Dans l’hôtellerie comme femme de chambre mais aussi comme auxiliaire de vie. On passait quinze jours chez l’employeur et quinze jours en cours. J’aurais bien voulu un emploi fixe. Mais on ne m’a jamais prise après les périodes d’essais. 

« C’est mieux d’être deux dans la rue, pour la sécurité bien sûr, et ça évite qu’on ne tombe pas dans la folie. On se soutient mutuellement » dit-il avec un regard pour elle. Comment voient-ils demain ? « Avec du soleil ! », tout simplement.

Il est 23 heures quand Thomas décide finalement de mettre fin à la maraude. « Avec la pluie on pourra pas faire mieux. Ils sont tous partis s’abriter. »

par Antoine Colombani et Maëlle Lafond

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