L’Allemagne prête à accueillir les déserteurs russes

La ministre allemande de l’Intérieur a annoncé jeudi 22 septembre ouvrir ses portes aux déserteurs de l’armée russe. La veille, la Russie a décrété la mobilisation de 300 000 réservistes.

« Celui qui s’oppose courageusement à Poutine et se met ainsi en grand danger peut demander l’asile politique en Allemagne », a déclaré Nancy Faeser, ministre allemande de l’Intérieur, jeudi 22 septembre. Vladimir Poutine a annoncé la veille la mobilisation de 300 000 réservistes pour combattre en Ukraine. La ministre précise que l’obtention de l’asile politique ne sera pas automatique. Chaque décision sera prise au cas par cas après un contrôle de sécurité.

Le ministre de la Justice Marco Buschmann a fait la même démarche dans un tweet mercredi sous le hashtag « mobilisation partielle », notant qu’apparemment, « beaucoup de Russes quittaient leur pays ». « Tous ceux qui haïssent la voie choisie par Poutine et aiment la démocratie libérale sont les bienvenus en Allemagne », écrit le ministre.

Les autorités russes ont assuré que seuls 300 000 réservistes seraient appelés pour rejoindre les 220 000 soldats déjà envoyés sur le front ukrainien. Mais de nombreux Russes craignent une mobilisation beaucoup plus massive. La peine pour désertion est fixée à au moins 10 ans de prison depuis le 20 septembre.

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Depuis le début de la guerre en Ukraine le 24 février, des dizaines de milliers de Russes ont quitté leur pays. 438 opposants au Kremlin, menacés ou poursuivis par les autorités russes, ont été accueilli en Allemagne.

Laura Merceron avec AFP

L’industrie spatiale apprend à se passer de la Russie

Du 18 au 22 septembre, les acteurs mondiaux d’astronautique sont réunis au Paris Convention Centre. Plus de 72 pays sont représentés. En raison de la guerre en Ukraine, la Russie n’est pas présente. Le conflit a redistribué les cartes du secteur spatial, qui a dû s’adapter.

C’est le plus grand rassemblement international sur le thème de l’espace. Mercredi 21 septembre, des centaines de personnes affluent au Congrès international d’astronautique pour profiter de la seule journée ouverte au grand public. Étudiants, enfants, passionnés d’espace et professionnels se croisent dans les allées du Paris Convention Centre. Pour cette 73e édition, organisée par le Centre national d’études spatiales (Cnes), 250 exposants sont venus du monde entier. La Nasa, l’Agence spatiale européenne, Airbus ou encore Safran sont représentés, comme de nombreuses entreprises et agences spatiales. Grande absente cette année : la Russie.

Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, le 24 février 2022, l’agence spatiale russe, Roscosmos, a cessé de collaborer avec les autres nations. Elle a par exemple retiré dès les 26 et 27 février tout son personnel de la base spatiale de Kourou, en Guyane française. « Ça a eu un impact important sur nos projets », explique à Celsalab Mary Walmsley, du service communication de la branche « Défense et espace » d’Airbus.

Les lanceurs SpaceX et Ariane en remplacement

Avant le conflit, le lanceur spatial russe Soyouz était le plus utilisé pour les missions dans l’espace. « Mais les lanceurs russes ont cessé de fonctionner, ajoute Mary Walmsley. Il a fallu trouver d’autres solutions et reprogrammer des lancements. » Elle précise qu’aujourd’hui, les lanceurs les plus plébiscités sont le français Ariane et l’américain SpaceX, détenu par l’entrepreneur Elon Musk.

Certaines missions ont pu être reportées. Début mars 2022, Soyouz devait envoyer 36 satellites internet de OneWeb. Un envoi annulé et confié à SpaceX, en mars. « Ces reports entraînent des embouteillages », regrette Mary Walmsley, et plusieurs projets sont à l’arrêt. C’est le cas du programme euro-russe ExoMars. Il doit déposer un robot européen sur Mars. « Il devait partir au mois d’octobre mais il a dû être annulé. On ne sait toujours pas quand le lancement aura lieu. »

Trouver des alternatives

L’approvisionnement est lui-aussi rendu difficile par le conflit en Ukraine. Jordan Tromme est responsable développement de la start-up germano-luxembourgeoise SPiN (Space products and innovation). L’entreprise travaille à la conception de produits spatiaux innovants. « Notre plus grosse difficulté liée à la guerre, c’est l’approvisionnement en composants électroniques », explique Jordan Tromme à une journaliste de Celsalab. L’entreprise se fournit en partie en Ukraine. Le conflit sur place rend la livraison plus longue et incertaine. « On fait un maximum de commandes groupées pour réduire les délais de livraison, mais elle reste très perturbé. »

« La Russie a toujours été un voisin difficile », admet pour Celsalab Szymon Grych, de Polsa, l’agence spatiale polonaise. Il reste positif malgré la situation : « Cela nous permet de nous concentrer sur nos partenaires européens. On développe nos capacités et on se détache encore plus de la Russie. » Mary Walmsley, d’Airbus, espère que la guerre prendra rapidement fin, mais elle relativise. « Plus elle dure, plus on trouve des alternatives. Ce sera de plus en plus dur pour la Russie de revenir après la guerre. »

Laura Merceron

Mali : le nouveau coup d’Etat d’Assimi Goïta met la France face à ses contradictions

En prenant le pouvoir par la force, l’homme fort de la junte malienne profite des égarements de la diplomatie française, ayant adoubé le fils d’Idriss Déby au Tchad un mois plus tôt. Une situation dont pourraient également profiter d’autres puissances étrangères, comme la Russie.

Le général Assimi Goïta lors d’une conférence de presse. @ Capture d’écran d’une conférence de presse

« Je condamne avec la plus grande fermeté ce coup de force qui s’est déroulé hier au Mali », affirmait Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères français devant l’Assemblée Nationale le 25 mai, au lendemain du putsch militaire qui a secoué le pays. En tournée en Afrique la semaine dernière, le président de la République s’est dit prêt à « prendre des sanctions ciblées sur les protagonistes ».

Cet énième coup de force – le deuxième en moins d’un an – vient mettre à mal la légitimité du processus de transition démocratique, engagé suite au coup d’Etat ayant contraint Ibrahim Boubacar Keita (dit « IBK ») à la démission, le 18 août 2020. Dans un communiqué, la diplomatie française dit partager « la priorité absolue accordée par la CEDEAO [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest] à l’organisation de l’élection présidentielle au 27 février 2022 ».

Deux poids, deux mesures

Suite à un remaniement ministériel qui exclut deux de ses collaborateurs, le général Assimi Goïta – déjà responsable du coup d’Etat ayant fait tomber « IBK » – ordonne l’arrestation du président du gouvernement de transition Bah N’Daw et de son Premier ministre Moctar Ouane, le 24 mai. Les deux hommes seront relâchés deux jours plus tard, après avoir annoncé leur démission. Le 28 mai, Assimi Goïta prend officiellement la tête du gouvernement, confortant son statut d’homme fort du pays.

« La France est très embêtée par cette affaire. Elle ne cautionne pas cette situation, affirme Benjamin Roger, journaliste à Jeune Afrique et spécialiste de la région du Sahel. L’entourage du président de la République répétait dernièrement que le processus de transition avançait bien au Mali, tant sur le plan politique que militaire. Au final, ils se retrouvent avec un nouveau putsh, et Assimi Goïta au pouvoir, dont ils se méfiaient déjà. »

Une attitude diamétralement opposée à celle affichée lors du passage de flambeau au Tchad. Après la mort du président Idriss Déby en avril 2021 – dans des circonstances encore troubles -, son fils Mahamat Idriss Déby prend la tête du conseil militaire de transition, avec l’accord tacite de la France. « On est dans un cas typique de realpolitik, estime Benjamin Roger. Quitte à renier quelques principes, la France a considéré qu’elle avait intérêt à soutenir les Tchadiens dans la configuration actuelle ».

Le Tchad reste en effet une pièce maîtresse de la guerre contre les mouvements djihadistes dans la région. Le soutien de son armée a été crucial dans le succès de l’opération militaire qui a défait la rébellion menée par milices islamistes dans l’Azawad, au nord du Mali, en 2013. Pour Thomas Dietrich, ancien haut fonctionnaire et spécialiste des relations entre la France et les États Africains, la démarche française au Tchad n’a pas laissé de place au doute. « Nous aurions pu soutenir le président de l’Assemblée nationale tchadienne tel que c’était prévu par la constitution, mais nous avons préféré nous ranger derrière le fils de Déby. »

« Syndrome de Fachoda »

L’énième coup de force d’Assimi Goïta renvoie donc la France à ses contradictions, accentuées par le court laps de temps qui sépare la mort d’Idriss Déby et le coup d’Etat au Mali. Pour faire pression sur la junte, Emmanuel Macron a d’ailleurs menacé de retirer les troupes françaises de la région si Bamako « va dans le sens » de « l’islamisme radical ». Pour Wassim Nasr, journaliste spécialisé dans les mouvements djihadistes au Maghreb et au Sahel, ces déclarations sont à relier à « l’éventuelle étendue des concessions que pourrait faire Bamako au JNIM [Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, une organisation terroriste au Mali] ».

Pour Thomas Dietrich, le poing sur la table du président de la République symbolise « une diplomatie du mégaphone vouée à l’echec ». Même son de cloche pour Benjamin Roger, qui estime que l’opération Barkhane était déjà en phase d’évaluation par l’exécutif. « La France ne retirera jamais toutes ses troupes de la région, mais une réduction d’effectifs était effectivement dans les clous depuis quelques années déjà », affirme-t-il.

Ce genre d’ultimatum n’est pas sans risque : bousculant les acteurs locaux, la diplomatie française peut les pousser dans les bras des puissances étrangères lorgnant sur la région. Déjà présente en Centrafrique voisine pour combattre la rébellion qui menace le président Faustin-Archange Touadéra, la Russie est réputée proche de Sadio Camara, l’un des deux militaires écartés dans le dernier remaniement ministériel au Mali. Une manifestation avait d’ailleurs lieu le 27 mai à Bamako devant l’ambassade de la Russie, afin de soutenir les putchistes et réclamer que Moscou supplante Paris au Mali.

Un constat à nuancer pour Thomas Dietrich. « La France est dans un syndrome de Fachoda, sauf que cette fois-ci on ne lutte plus contre les Anglais, mais contre les Russes, analyse-t-il. Il n’y a pas de plan russe pour remplacer la France au Sahel, mais on attribue aux russes les propres défaillances de notre diplomatie. » De plus en plus actives dans la région – militairement ou simplement économiquement – la Russie, la Chine et la Turquie sont en embuscade de Paris afin de faire valoir leurs intérêts. Reste à savoir si la diplomatie française saura s’adapter à cette nouvelle donne géopolitique.

Mehdi Laghrari

Le Haut Karabakh, théâtre d’une possible « Guerre Froide » russo-turque

Le 11 novembre, la Russie et la Turquie ont signé un mémorandum sur la création d’un centre commun pour l’observation du cessez-le-feu dans le Haut Karabakh. Alors que les relations entre les deux pays sont encore marquées par les désaccords sur le conflit syrien, la gestion double de ce territoire du Caucase n’assure en aucun cas l’apaisement des liens russo-turcs.

Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan prévoient une gestion commune du cessez-le-feu dans le Haut Krabakh
Sergei Ilnitsky / POOL / AFP 

« La Turquie et la Russie travailleront ensemble dans le cadre de cette mission de paix. » C’est ce qu’a annoncé le Président Turc Recept Tyyip Erdogan devant le Parlement turc à l’occasion de la mise en place d’un observatoire commun avec la Russie pour la gestion du cessez-le-feu entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, décidé lundi 9 novembre. Mais rien n’indique que cette collaboration réchauffe les relations entre les deux géants. « On n’est pas dans un schéma de nouvel « équilibre géopolitique  » explique le journaliste spécialiste du Moyen-Orient Tigrane Yégavian. « On est dans un schéma d’alliance tactique. »

Des intérêts divergents

La Russie, tout comme la Turquie, espère « être maître du jeu caucasien » indique le journaliste. Et leurs intérêts et leurs alliés dans la zone diffèrent largement : Ankara, qui a déployé un soutien militaire majeur à Bakou depuis septembre dans le conflit l’opposant à l’Arménie « veut un grand Azerbaidjan ». Alors que les deux pays la même langue et la religion, le ministre turc de la Défense avait même déclaré cet été que « les relations entre la Turquie et l’Azerbaidjan sont celles de deux pays, mais un seul peuple ». Le cessez-le-feu, bien que placé sous l’égide russe, représente donc une opportunité pour la Turquie de « mettre un pied dans le Caucase » et de contrôler les voies d’accès de cette région riche en gaz. En effet, l’accord stipule l’ouverture d’une voie d’accès entre la région azerbaidjanaise du Nakhitchevan, frontalière de la Turquie, et le reste du territoire de l’Azerbaidjan. Quant à la Russie, membre du groupe d’interposition de Minsk, elle « ne veut pas perdre son pré carré qu’est le Caucase ». Proche de l’Arménie, Moscou a d’ailleurs envoyé, dès l’annonce du cessez-le-feu, des troupes militaires pour assurer le maintien de la paix sur le territoire disputé. Un moyen pour le pays d’imposer sa force militaire dans les trois Etats du Caucase du Sud (Géorgie, Arménie, Azebaidjan).

La gestion du Haut Karabakh, « zone de friction entre deux blocs stratégiques » ne serait donc pas forcément synonyme de rapprochement entre la Russie et la Turquie, dont les relations pâtissent aussi de récents affrontements à Idlib en Syrie. Pour Tigrane Yégavian, le Haut Karabakh pourrait bien devenir « le territoire d’une nouvelle Guerre Froide entre ces deux puissances qui sont les seules à avoir les moyens de se déployer ».

« Poutine préfère traiter avec Erdogan qu’avec les Occidentaux »

Mais l’observation commune du cessez-le-feu entre l’Arménie et l’Azerbaidjan serait aussi une chance pour Ankara et Moscou de « faire bloc » face au reste du monde occidental: « ils partagent tous deux un rejet de l’Occident, des Etats-Unis. Ils sont dans une même posture opportuniste » souligne le spécialiste du Moyen-Orient. « Poutine préfère traiter avec Erdogan qu’avec les Occidentaux. » L’alliance pourrait donc bousculer les équilibres géopolitiques, d’autant plus que « les Etats-Unis se sont retirés du Caucase », et que l’intervention des Européens dans le conflit est restée limitée.

Colette AUBERT