Romain Gary entre dans La Pléiade : portrait d’un écrivain « insaisissable »

Il est le seul écrivain a avoir reçu deux fois le prix Goncourt. 40 ans après sa disparition, Romain Gary entre dans La Pléiade.
40 ans après sa disparition, l’auteur Romain Gary entre à La Pléiade. / Yann Forget – Wikimedia Commons – CC-BY-SA-3.0

« Ouvrir un livre de Gary, c’est consentir à passer du rire aux larmes » mais aussi « aller à la rencontre d’un homme insaisissable, paradoxal et contradictoire », raconte l’universitaire Mireille Sacotte, qui a dirigé les deux volumes de La Pléiade consacrés à Romain Gary. Les deux tomes paraîtront officiellement ce jeudi, quarante ans après la disparition de l’auteur.

Le tome 1 de La Pléiade (1 536 pages, 63 euros) s’ouvre avec le premier roman publié par Gary, Éducation européenne (1945, couronné par le prix des critiques). Le tome 2 (1 728 pages, 66 euros) se clôt avec son dernier roman Les cerfs-volants (1980). A 35 ans de distance, ces deux livres ont pour sujet la Seconde Guerre mondiale et plus précisément la Résistance, un thème toujours en filigrane dans ses romans.

L’édition de La Pléiade a mis de côté les nouvelles, le théâtre, les articles, les entretiens et les essais de Gary pour ne conserver que ses romans et récits. On y retrouve donc ses deux romans récompensés par le prix Goncourt : Les racines du ciel en 1956 et La vie devant soi en 1975, signé sous le pseudonyme d’Émile Ajar. Parmi les autres titres rassemblés dans la Pléiade figurent entre autres La promesse de l’aube, une autobiographie à ne pas prendre au pied de la lettre, Lady L., roman de pure fantaisie et La danse de Gengis Cohn qui a comme narrateur un Juif revenu hanter la conscience de l’ancien Nazi qui l’a fusillé.

Parallèlement à la sortie des deux volumes de la Pléiade, Gallimard propose un album richement illustré (offert pour l’achat de trois Pléiade) consacré à l’écrivain. C’est un Gary plus intime, « éternel insatisfait de soi, éternel écorché vif », qui apparaît dans ce recueil réalisé par Maxime Decout, maître de conférences à l’université de Lille.

 

Écrivain insaisissable

Durant toute sa vie d’adulte, Romain Gary s’amuse à faire planer le doute sur son identité. Dans ses différentes déclarations aux médias, il fait varier son nom, son lieu de naissance, la nationalité de sa mère. Il va jusqu’à renier son père, se présentant comme un « bâtard juif russe, mâtiné de Tartare ». Il laisse même courir la légende, dans divers écrits et interviews, qu’il est le fils du comédien russe Ivan Mosjoukine.

En réalité, Romain Gary est né Roman Kacew en mai 1914. Il est le fils d’un fourreur et d’une modiste de Wilno (actuelle Vilnius, capitale de la Lituanie), ville tour à tour russe, allemande puis polonaise. Élevé seul par sa mère Mina dès ses 11 ans, ils partent tous les deux pour la France en 1928. Sa mère est persuadée que dans ce pays, son fils pourra s’accomplir pleinement en tant que diplomate ou artiste.

Après des études de droit, il est mobilisé pour la guerre. Romain Kacew sera l’un des premiers à rejoindre le général de Gaulle en 1940. En 1943, il est rattaché en Grande-Bretagne au groupe de bombardement de Lorraine. C’est durant cette période qu’il choisit le nom Gary, signifiant « brûle ! » à l’impératif en russe. « C’est un ordre auquel je ne me suis jamais dérobé, ni dans mon oeuvre, ni dans ma vie », racontait-il.

Au total, il effectue plus de vingt-cinq missions, totalisant plus de soixante-cinq heures de vol. A la fin de la guerre, il est fait Compagnon de la Libération et nommé capitaine. Il entame par la suite une carrière de diplomate au service de la France et publie, parallèlement, ses premiers romans.

A ceux qui l’interrogeront encore et encore pour connaître sa véritable nationalité, le pilote de guerre, Compagnon de la Libération, répondait invariablement : « Ma nationalité, c’est Français libre. »

Romain Gary se suicide d’une balle dans la bouche en décembre 1980, à 66 ans. Il laisse derrière lui une lettre pour expliquer son geste. « Peut-être faut-il chercher la réponse dans le titre de mon ouvrage autobiographique : La nuit sera calme et les mots de mon dernier roman: « car on ne saurait mieux dire » ». « La nuit sera calme, note Maxime Decout, l’expression est celle que le pilote murmurait pour se fortifier et se rasséréner avant le combat ».

Alice Ancelin