Agressions, insultes, menaces :la difficile protection des machinistes RATP

Le procès des deux meurtriers présumés de Philippe Monguillot, chauffeur de bus, battu à mort en juillet 2020 à Bayonne, s’est ouvert ce vendredi 15 septembre à Pau. Il avait été tabassé après voir demander à des jeunes de mettre correctement leurs masques. Trois ans après, qu’en est-il de la sécurité des chauffeurs de bus ? Reportage.

Installé sur son siège vert de machiniste de la RATP (régie autonome des transports parisiens), Mehdi* en pause depuis quelques minutes, jette un œil sur son smartphone. Il est 10 h 30, ce vendredi 15 septembre ensoleillé à Levallois (92) et ce dernier chauffeur de bus depuis maintenant 10 ans conduit aujourd’hui la ligne 167, direction église de Colombes. Il est sur le pont depuis six heures du matin. Ce féru d’actualité est au courant de l’ouverture du procès des meurtriers présumés de Philippe Monguillot, ce chauffeur de bus de 49 ans tabassé à mort il y a trois ans à Bayonne. Un drame qui avait ému le pays et suscité des réactions de toutes parts. « C’est horrible ce qu’il s’est passé à Bayonne, je m’en souviens très bien ! », rappelle le quarantenaire au débit de parole rapide.

Les agressions, insultes, menaces de mort, incivilités font partie du quotidien des chauffeurs de bus depuis plusieurs années, en particulier à Paris et dans la région parisienne. Depuis plusieurs années, la RATP a mis en place divers dispositifs de sécurité pour protéger ces employés mais ceux-ci n’empêchent pas les agressions.

Des dispositifs mis en place par la RATP suffisants ?


À 10 h 35, une personne âgée munie d’une canne se présente devant l’entrée du bus « excusez-moi monsieur, c’est où pour prendre le 94 ? » « Vous reculez et vous prenez la première à gauche » « Merci beaucoup ». Avant de redémarrer, il tient à montrer les dispositifs de sécurité présents dans le bus «  ici, vous avez bouton, ils nous appellent et nous demandent si on a besoin de renfort et ils nous envoient une équipe, les GPSR (groupe de protection et de sécurité des réseaux) pour nous aider mais en général le temps qu’ils arrivent, c’est souvent trop tard », regrette-t-il.

« Il y a une caméra au-dessus de l’habitacle, la vitre anti-agression que l’on peut activer. Ce sont des choses qui existent depuis longtemps ». En effet, en 2015, après une vague d’agressions, des caméras de surveillance ont été installées dans tous les bus afin d’identifier les fauteurs de trouble. Le conducteur peut relever une vitre en plexiglas anti-agression et il existe près de l’embrayage une pédale permettant de donner l’alerte discrètement. Malgré la variété des équipements, les agressions se produisent régulièrement « j’ai une collègue très pointilleuse sur les règles en général et au moment du Covid, elle a demandé à une personne son masque et on lui a mis un coup de clé dans le visage ! », affirme avec une pointe de lassitude Mehdi.

« J’ai décidé de tout laisser passer »

 

Pour éviter ces agressions des passagers, Mehdi adopte une ligne de conduite depuis sa prise de fonction « j’ai décidé de tout laisser passer, si la personne ne composte pas son titre, si elle monte avec un vélo ou autre. Je ne dis rien », relate-t-il. « Bien sûr, il arrive que je me fasse insulter mais ça ne va pas plus loin. » Alors qu’une sirène des pompiers retenti à proximité, le 167 reprend sa marche en avant à 10 h 40.

Les agressions sont communiquées aux employés dans les dépôts, elles sont affichées en détail sur un écran « toutes les semaines, on voit sur l’écran les agressions, ça défile quotidiennement franchement. J’ai plusieurs collègues en arrêt depuis plusieurs années et quand j’en revois certains et que je leur demande où ils étaient passés, la réponse c’est « bah, je me suis fait agresser »


Dans la ligne 378, à destination de Nanterre RER, une ligne très fréquentée. Karim, machiniste à la RATP se souviendra pendant très longtemps de son premier jour de travail. C’était il y a six ans, ce jeune homme se réjouissait de débuter en tant que chauffeur de bus et sans aucune raison : « je me suis fait gazer par un homme qui était à l’extérieur du bus. Je ne sais pas si cette personne s’est pris une amende juste avant par des contrôleurs mais c’est moi qui ai tout pris ! », raconte aujourd’hui avec le sourire le jeune homme. Après avoir prévenu sa hiérarchie, Karim a dû poursuivre le travail. Il estime que la formation à la RATP n’est pas adaptée, « on nous apprend à tenir notre contrôle mais ce n’est pas suffisant, la violence est imprévisible dans notre métier. J’ai un collègue qui s’est fait agresser d’un coup de tête par une personne âgée il y a trois mois sur cette ligne », explique le conducteur.

Que ce soit chez Mehdi* ou Karim, un même sentiment de lassitude et de découragement transparaît face à ces multiples agressions. Pourtant, en avril dernier, le ministre des Transports Clément Beaune et le PDG de la RATP Jean Castex se félicitaient de la hausse des conducteurs de bus embauchés 800 sur les 2500 nécessaires à la régie.

La CGT appelle la RATP à une grève illimitée à partir du 2 juin

La CGT appelle les agents de la RATP à une grève illimitée à partir du 2 juin, pour demander la réouverture des négociations salariales ainsi que le retrait du projet de loi Travail.

RATP

 

Leurs revendications

Dans un tract signé de sa section Bus, le syndicat CGT-RATP réclame 300 euros d’augmentation, et le rejet de la loi Travail.

Bertrand Hammache, délégué central adjoint, réagit : “la direction, soutenue par le gouvernement, persiste à ne pas augmenter la valeur du point statutaire, seule garantie d’une mesure générale sur l’ensemble des salaires”.

Le syndicat déplore le gel, pour la deuxième année consécutive, de la valeur de ce point servant à calculer le salaire des agents (hors primes) malgré des bénéfices records (437 millions d’euros).

 

 

Le 11 mars, lors des négociations salariales annuelles, la RATP a refusé une augmentation générale des salaires. Cependant, elle a signé un accord avec l’UNSA (deuxième syndicat de la RATP) et la CFE-CGC sur diverses mesures de revalorisation (de l’intéressement, des bas salaires et d’une prime). L’UNSA, de son côté a levé le préavis qu’il avait déposé pour la période de l’Euro de football (du 10 juin au 11 juillet), après avoir (confirme-t-il dans un communiqué) obtenu une “augmentation significative” de la « prime vacance des conducteurs ».

 

Sur Twitter, il y a déjà des réactions sur cet appel à la grève.

 

Certains étudiants, qui passent leurs examens en ce moment, n’hésitent pas à faire connaître leur mécontentement.

 

Léa Broquerie