Mort du Che : « Il voyait le Congo comme un territoire stratégique au cœur du continent africain »

Che Guevara et Fidel Castro en 1961 Crédit Photo : Alberto Korda
Che Guevara et Fidel Castro en 1961
Crédit Photo : Alberto Korda

Amzat Boukari-Yabara est un historien spécialiste de l’Afrique et docteur de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Il est également auteur de plusieurs livres dont Africa Unite, une histoire du panafricanisme. Pour les 50 ans de la mort de Che Guevara, retour sur les ambitions révolutionnaires de Cuba en Afrique.

 

Quels étaient les liens entre Cuba et le Congo (aujourd’hui République Démocratique du Congo) à l’époque de Lumumba ?

Avant l’assassinat de Lumumba il n’y avait pas de lien officiel en tant que tel. La révolution cubaine a lieu en 1959, le Congo devient indépendant en 1960 et la crise s’installe tout de suite donc Lumumba n’a pas vraiment le temps de créer des liens politiques et diplomatiques avec Cuba. En revanche, il y a beaucoup de lien culturel notamment musical, une petite diaspora cubaine est aussi présente au Congo, et on retrouve un héritage congolais très fort à Cuba issu de l’époque de la traite et de l’esclavage qui se manifeste également dans la langue.

Pourquoi Che Guevara décide d’aller faire la révolution au Congo ?

Parce qu’il y avait des difficultés au niveau de la révolution en Amérique latine. De l’autre côté du globe, le Vietnam causait beaucoup de soucis aux Américains. Donc pour Che Guevara, il voyait le Congo comme un territoire stratégique au cœur du continent africain. Et on est également dans une période où les pays au sud du Congo sont encore des colonies (Zimbabwe, Zambie, Afrique du Sud etc.) Donc il voyait le pays comme le point de départ pour libérer le reste du continent africain. En plus de cela, les Américains sont intervenus en Afrique en manipulant les Nations Unies et ils ont pris position de manière ferme pour bloquer les soviétiques. Il y avait donc un enjeu géopolitique important.

Que deviendront les aspirations révolutionnaires cubaines sur le continent africain ?

Depuis la crise de 1962, les Cubains désirent développer leur propre ligne de soutien aux armées de libération. Suite de l’échec de la révolution congolaise, Fidel Castro organise la conférence tricontinentale à La Havane en janvier 1966 où un véritable soutien de Cuba est mis en place pour les mouvements africains de libération. Mais Fidel Castro devra attendre les années 70 et les guerres d’indépendance des colonies portugaises, comme l’Angola, pour vraiment participer à une révolution africaine, avec le soutien de Moscou. L’échec au Congo a permis à Fidel et Raul Castro de réaliser qu’une révolution sur le continent africain nécessitait plus de temps et surtout beaucoup plus de moyens.

 

Propos recueillis par Sarafina Spautz

 

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Célèbre cliché du Che Crédit Photo : Alberto Korda
Célèbre cliché du Che
Crédit Photo : Alberto Korda

Il y a 50 ans, Che Guevara mourait sous les balles de l’armée bolivienne. Mais avant de se rendre en Amérique latine, il passa quelques mois en Afrique dans l’espoir d’exporter la révolution. Retour sur un épisode peu connu de l’histoire du Che.

17 janvier 1961 : Patrice Lumumba, ancien Premier ministre de la République du Congo (aujourd’hui République Démocratique du Congo ou plus communément appelé Congo-Kinshasa), soutenu par l’URSS, est assassiné. Cet évènement marque le début d’une guerre civile entre les forces armées du Général Mobutu soutenu par les États-Unis et les combattants lumumbistes. A l’heure de la décolonisation, Cuba voit cette guerre civile comme l’occasion d’y venger Lumumba et d’exporter la révolution sur le territoire africain. Les espoirs du Che se concentrent sur le Congo, pays stratégique, qui avec ses neuf frontières, pourrait devenir l’épicentre de la révolution qui s’étendrait dans les autres pays. Fidel Castro accepte d’y envoyer Che Guevara qui souhaite retourner se battre.

La mission secrète

Che Guevara sous l’identité Adolfo Mena González en 1966. Une des nombreuses qu’il utilisait pour se déplacer. Crédit Photo : Museo Che Guevara (Centro de Estudios Che Guevara en La Habana, Cuba)

Le Che met alors en place une opération secrète. Il arrive en avril 1965 en Tanzanie (où s’organisent les rebelles) avec ses hommes, des Cubains noirs, pour éviter d’éveiller les soupçons. Peu nombreuses sont les personnes au courant de la présence du révolutionnaire en Afrique où il se fait appeler « Tatu » (qui signifie « trois » en swahili, car il était là en temps que médecin, troisième homme le plus important du corps expéditionnaire). Cela risquerait de mettre en péril la mission. Son objectif : aider militairement les lumumbistes à organiser une révolution.

Mais entre le départ du Che et son arrivée, la situation a changé dans le pays. Laurent-Désiré Kabila, à la tête des opérations congolaises, a perdu les territoires sur lesquels il avait la main, soit les 2/3 du pays. Certains lumubistes ont changé de camps et les forces du général Mobutu écrasent la rébellion grâce à l’aide des États-Unis. Il ne reste à Kabila que quelques poches dans l’est du pays. Ces défaites font éclater des divisions entre les rebelles, la révolution n’est plus donc une priorité, il faut d’abord se réorganiser.

De la désorganisation à l’échec

Che Guevara au Congo en 1965. Crédit Photo : Museo Che Guevara (Centro de Estudios Che Guevara en La Habana, Cuba)

Très vite, l’excitation de la révolution est remplacée par la frustration. Sur place, la situation est confuse. Le rapport de force a changé et les rebelles sont en position de faiblesse. Kabila est plus souvent à Dar es Salaam, en Tanzanie, qu’avec ses hommes sur le front. Le maquis est totalement désorganisé et les résistants africains ne sont pas aussi formés que les Cubains. « Dans ce mouvement révolutionnaire africain, tout était à faire : l’expérience, la préparation, l’instruction. Ça a été une rude tâche » déclara Fidel Castro lors d’une interview. Un fossé culturel se fait vite sentir. Che Guevara se plaint de l’indiscipline des rebelles congolais, de leur manque de compétence militaire, et du peu d’ardeur idéologique.

Mais tout a réellement basculé suite à l’attaque de Fort Bandera qui s’est soldée par une défaite. Quatre Cubains sont morts et dans la précipitation, les soldats n’ont pas pu récupérer les corps de leurs camarades. Or l’un d’entre eux portait un caleçon sur lequel était inscrit « fabriqué à Cuba ». Suite à cet épisode et grâce aux espions sur place, les États-Unis se rendent compte de la présence du Che au Congo, et Mobutu bombarde la zone occupée par les rebelles. La tension monte, les rebelles congolais craignent que Che Guevara se fasse capturer, ou pire, se fasse tuer. Après sept mois de mission, ses hommes et lui rentrent à Cuba. Il écrira dans son Journal du Congo « Ceci est l’histoire d’un échec ».

Sarafina Spautz

 

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