Une brique pour construire l’avenir des producteurs laitiers

Alors que la firme laitière est au plus mal dans l’Hexagone, une idée innovante donne depuis décembre 2016 de l’espoir à quelques agriculteurs français. Il s’agit de la marque « C’est qui le patron ?! La marque du consommateur« , qui propose dans les rayons de la plupart des grandes surfaces un lait équitable, dont le cahier des charges a été élaboré par le consommateur sur internet.

Photo libre de droit.
Photo libre de droit.

Ce n’est pas la moins chère, mais elle donne tout le pouvoir au consommateur. C’est en tout cas ce que promet la brique de lait de la marque « C’est qui le patron ?! La marque du consommateur« . Le principe est simple : sur le web, les internautes répondent à un questionnaire. Celui-ci qui permet d’établir de A à Z le cahier des charges de ce produit emblématique de l’alimentation française. Depuis le prix du litre jusqu’à l’alimentation des bêtes et le mode d’emballage, toutes les décisions sont prises par le consommateur.

Derrière le concept marketing et la communication bien rodée, s’affirme surtout un mode de consommation alternatif  qui permettrait aux producteurs de vivre dignement. Car, à travers le questionnaire, les internautes sont sensibilisés aux contraintes économiques difficiles auxquelles doivent faire face les acteurs de la branche laitière. Laurent Pasquier, le co-fondateur de « C’est qui le patron ?! », pointe notamment du doigt le système de la guerre des prix, qui régit le marché depuis 2008 et la loi de la modernisation de l’économie. « Les premiers à trinquer sont les agriculteurs et les PME de l’agroalimentaire, qui ne sont pas en mesure de négocier. On peut facilement faire pression sur eux » déplore-t-il, rappelant que la profession connaît 600 suicides par an et qu’une PME agroalimentaire met la clé sous la porte chaque jour. « En grande surface, on prend trois secondes pour choisir quelque chose. Les chaînes de distribution sont déconnectées du monde rural et du produit en lui-même, parce que les gens ne s’imaginent même plus qu’il y a des gens qui le produisent. Pour beaucoup, dans leur tête, ça sort de l’usine. »

Un cahier des charges exigeant

Le prix de cette brique solidaire a été fixé à 99 centimes. C’est un coût plutôt élevé dans la fourchette de l’offre, qui va de 65 centimes à 1,15 euros. Mais les quelques centimes supplémentaire font toute la différence pour les producteurs qui dépassent de 0,4 centimes le coût de revient du lait. Un soulagement financier indispensable pour encourager les bonnes initiatives de production : « Que vous ayez une autonomie dans votre exploitation ou pas, que vous nourrissiez vos bêtes avec ou sans OGM, le prix du lait est le même, et ça, c’est terrible. Les vendeurs n’arrivaient pas à valoriser ces bonnes pratiques« , constate Laurent Pasquier.

« C’est qui le patron ?! » favorise au contraire une production de qualité, puisque les agriculteurs qui veulent en faire partie doivent se plier à un cahier des charges exigeant. Certains n’étaient pas aptes à répondre à tous les critères. Ils ont dû faire une conversion plus ou moins rapide. Par exemple s’ils donnaient du fourrage OGM à leur bête, la transition prenait six mois« , détaille Laurent Pasquier. Si le mouvement reste encore minoritaire, il prend de l’ampleur, porté par les nouveaux espoirs qu’il suscite. Les cinquante premiers producteurs à remplir les briques de la marque étaient sur le point de fermer leur exploitation. A peine un an plus tard, ils ont été rejoints par 200 nouveaux agriculteurs.

La production française au coeur des priorités

Si le lait est de bonne qualité, il n’est pas bio, bien que ce critère ait été proposé aux internautes. « En général, on est à 30% de consommateurs qui le demandent. Il y a la question du prix, mais le plus important pour les votants c’est que ce soit français », argumente Laurent Pasquier. Le constat a pu se vérifier récemment, alors que la marque étend désormais son activité à d’autres produits, comme la pizza ou la compote de pomme. « Faire de la compote bio en France, c’est très difficile, les fruits bio produits en France sont mangés tels quels. Quand on a expliqué dans le questionnaire qu’il fallait passer en Italie pour faire des compotes de pommes bio, seuls 10 % des votants étaient pour. Pour les gens, le bio doit aussi être local. »

Aujourd’hui, 22 millions de litres ont été distribués en grande surface. Une réussite étonnante au regard des moins de 20 000 internautes répondant aux questionnaires. D’après Laurent Pasquier, la recette du succès se trouve dans la transparence de la démarche. « Un consommateur logique achète le lait le moins cher parce qu’il ne comprend pas la différence de prix », expose-t-il. « Nous cherchons à expliquer la différence entre notre lait et les autres marques. On est fiers d’avoir prouvé que les gens, quand ils comprennent pourquoi le prix est plus élevé, répondent favorablement dans les rayons, et pas que sur le questionnaire ». Aujourd’hui, 9023 magasins distribuent la brique des consommateurs, et l’idée est en bonne voie pour s’exporter dans d’autres pays.

 

Emilie Salabelle

Derrière la crise du lait, une économie trouble

Depuis près de dix jours, les producteurs laitiers français protestent contre les prix appliqués par la grande distribution. Ils réclament une plus grande transparence dans les tarifs, mais surtout, une revalorisation de leur travail. Car s’ils sont les premiers maillon de la chaîne, ils ne sont pas ceux qui en profitent le plus, au contraire. Les éleveurs bovins vendent à perte, tandis que la grande distribution, elle, augmente ses marges.

 

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Pour résoudre la crise, le Premier ministre a réuni, ce lundi, des dirigeants de Carrefour , Casino, Auchan, Cora, Intermarché, Lidl et Système U, au moment où de nouveaux barrages étaient érigés par les éleveurs. Conscient des généreuses marges que s’octroient les acteurs de la grande distribution, Manuel Valls leur a demandé de ne pas anticiper une baisse des prix des produits agricoles dans les négociations commerciales qui s’achèveront le 1er mars, de poursuivre les actions de valorisation des produits locaux, d’entrer dans des partenariats avec leurs fournisseurs et d’accentuer la contractualisation. Des propositions qui pourront peut-être résoudre une crise qui dure maintenant depuis deux ans.

Nivin POTROS.

Pourquoi les producteurs de lait sont à bout de souffle ?

Les dirigeants de la grande distribution avaient rendez-vous ce lundi matin à Matignon avec Manuel Valls, Emmanuel Macron et Stéphane Le Foll pour parler de la crise agricole. Une réunion qui intervient après plusieurs jours de mobilisation.

Entre 150 et 200 producteurs laitiers de Loire-Atlantique déversent des centaines de litres de lait, le 01 avril 2010, sur une place du centre de Nantes, pour manifester contre le prix du lait. "Un avertissement" car "on ne passera pas l'année 2010 comme on a vécu l'année 2009", a assuré un responsable de l'Association des producteurs de lait indépendants (APLI) de Loire-Atlantique, qui appelait à la manifestation. AFP PHOTO FRANK PERRY / AFP / FRANK PERRY
Entre 150 et 200 producteurs laitiers de Loire-Atlantique avaient déversé des centaines de litres de lait, le 1er avril 2010, à Nantes. (Photo AFP / FRANK PERRY)

Opérations escargot, barrages, routes bloquées, transport en commun perturbés… Depuis près de 10 jours, une partie de la France est paralysée par des manifestations agricoles. Les producteurs laitiers, porcins, bovins ou de canards protestent contre la chute des prix d’achat. Tous réclament l’instauration d’un tarif minimum et une transparence sur la détermination des prix. Ils en appellent au gouvernement.

Parmi les manifestants, les producteurs laitiers sont de ceux qui donnent le plus de la voix. Et pour cause : depuis avril 2015, les 70 568 exploitations laitières en France tournent au ralenti, les producteurs ne rentrent plus dans leurs frais, les prix du lait dégringolent. Les producteurs laitiers souffrent d’une crise que rien ne semble pouvoir freiner. Les raisons de la crise sont multiples mais cinq d’entre elles semblent néanmoins plus importantes que les autres.


1. La fin des quotas laitiers européens

Pendant trente et un an, les producteurs laitiers des 28 états membres de l’Union européenne (UE) ont été soumis à un système de régulation très stricte. Les producteurs ne pouvaient pas vendre autant de lait qu’ils le souhaitaient. Le but était de contenir un souci de surproduction. Mais le 1er avril 2015, le robinet de lait européen s’est rouvert. Les quotas ont été supprimés,  la concurrence entre États membres a repris. Autorisés à produire plus, les acteurs de la filière laitière inondent le marché de lait. Mais l’offre ne suit pas la demande : les producteurs sont obligés de vendre moins cher, voire à perte, pour ne pas jeter leur stock.

2. Des subventions mal distribuées

A cela s’ajoute la question des subventions européennes. L’Europe a longtemps distribué des aides, sans forcément tenir compte des niveaux de productions. Les années de vache maigre comme celles d’opulence, les agriculteurs ont obtenu les mêmes aides financières. Mais à l’heure des premières restrictions budgétaires, et face aux divergences de vues des différents États membres, l’Europe revoit ses subventions à la baisse. Une baisse à l’impact significatif quand on sait que les subventions européennes représentent jusqu’à 20% du chiffre d’affaires des agricultures en 2012. Les États ont donc dû compenser en ajoutant de l’argent sur la table. Un plan d’aide accordé initialement aux éleveurs a été mis en place par Stéphane Le Foll, le ministre de l’Agriculture. Au total, plus de 825 millions d’euros sont distribués aux agriculteurs. Une somme qui ne résoudra pourtant pas la crise.

3. Le scandale chinois

La Chine, grande consommatrice de lait, souffre depuis plus de sept ans d’une crise de confiance. En 2008, un scandale du lait de vache frelaté éclate. Certains lots de lait produits en Chine (notamment le lait infantile) auraient contenu pendant 10 mois de la mélamine toxique afin de les faire apparaître plus riches en protéines. Depuis, les Chinois ont considérablement diminué leur consommation de lait, même européen. Les importations peinent à augmenter. Plus de 94 000 Chinois souffriraient aujourd’hui d’une maladie liée à la contamination du lait.

4. L’embargo russe

En août 2014, Vladimir Poutine décrète un embargo sur les produits agro-alimentaires en réponse aux sanctions européennes contre des secteurs de l’industrie russe dans le cadre du dossier ukrainien. Un an et demi plus tard, la filière laitière européenne en souffre toujours. En 2015, les ventes de produits transformés à base de lait ont reculé de 78 %, soit une perte de 29 millions d’euros pour la filière laitière. Les cours du beurre et du lait en poudre ont également chuté de 30 %.

5. L’illusion 2014

L’année 2014 est synonyme de dérèglement climatique en Nouvelle-Zélande. Le premier producteur laitier mondial subit les foudres du climat. Le réchauffement inhabituel des eaux du Pacifique-Est (+ 4 à 6°C), nommé El Niño, a provoqué une baisse de la production laitière néo-zélandaise. La Chine, l’un des plus grands importateurs de lait, se tourne alors vers l’Europe. Les exportations montent en flèche. Les cours du lait augmentent : les 1000 litres de lait sont vendus 400 euros, contre 300 euros actuellement. Les producteurs européens investissent à tour de bras dans de nouveaux équipements, persuadés de voir leur carnet de commandes exploser. Mais l’utopie ne dure qu’un temps. La Chine, qui a beaucoup stocké, ne commande plus et la Nouvelle-Zélande se remet de sa crise climatique.

Une crise conjoncturelle et structurelle qui pourrait bien perdurer. En plus des conditions de travail qui se dégradent, les agriculteurs doivent faire face à une crise des vocations. Le métier d’éleveur, perçu comme ingrat et mal payé, n’attire plus. Depuis 2000, le nombre d’exploitations laitières a diminué de 34% par rapport à 2000. Un chiffre qui devrait augmenter si aucune solution n’est trouvée à la crise actuelle. Mais derrière la crise laitière, se joue une autre bataille. Celle des marges imposées par la grande distribution.

Nivin Potros