Quand le cannabis se livre à domicile

Le business de la vente de drogue évolue avec son temps : promotions pour les clients fidèles, livraison à domicile via Internet, centrales d’appel pour répartir les livreurs… Ces nouvelles pratiques facilitent les transactions entre consommateurs et dealers, et compliquent le travail de la police.
Selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, 44,8 % des Français ont déjà consommé du cannabis au cours de leur vie. / Crédits : pixabay

Lorsque Benjamin*, 23 ans, emménage à Paris, il commence à se rendre dans un “four” à Gallieni, terminus de la ligne trois, où le commerce de cannabis se fait à ciel ouvert. Consommateur quotidien, il s’y rend régulièrement, jusqu’à ce qu’il se fasse attraper par la police : “ils m’ont dit que s’ils me revoyaient à Gallieni j’aurais un casier et une amende, donc j’évite d’y retourner” explique-t-il. Dans la loi française, l’usage de drogue, quelle qu’elle soit, est en effet puni d’un an de prison et 3 750 euros d’amende. Dans les faits, les consommateurs sont souvent condamnés à des peines alternatives : stages de sensibilisation, suivi thérapeutique, travail d’intérêt général… Mais depuis l’année dernière, les consommateurs pris sur le fait risquent une amende forfaitaire de 200 euros.

Pour prendre le moins de risques possible, Benjamin décide de se tourner vers une méthode “plus pratique” et plus discrète. Quand il veut se fournir, il envoie un message banal au numéro d’un dealer qu’il connaît, pour lui demander s’il est disponible “pour aller boire un verre”, avec l’adresse où il souhaite le retrouver. Entre “20 minutes et une ou deux heures plus tard”, une voiture vient le chercher en bas de chez lui, comme s’il prenait le taxi. Une fois dans la voiture, “il me demande ce que je veux, on fait l’échange tranquillement, on discute un peu et il me re-dépose devant chez moi, tout simplement” déclare Benjamin.

Une entreprise presque comme les autres

Le système est extrêmement rodé : “c’est une tour de contrôle le truc, le type est dans son appart et il envoie ses employés faire les livraisons. Ce sont souvent des filles parce qu’elles ont moins de chance de se faire attraper par les flics” raconte Tomàs, 23 ans, consommateur régulier. Souvent, la personne qui est contactée par le client n’est pas la même que celle qui effectue la livraison.

C’est ce que confirme Ouss, parisien de 23 ans. Après un BTS management il commence à dealer. « Je fais les livraisons, mais je ne suis jamais en contact direct avec les clients. Je reçois l’adresse par téléphone et quand j’y suis je préviens mon collègue qui contacte le client” explique Ouss. Ce collègue, il ne l’a jamais vu. La seule personne du réseau qu’il rencontre régulièrement, c’est celui qui le fournit en marchandise. Il lui remet une “recharge” qui doit lui tenir toute la journée. Sa tournée peut alors commencer.

Ouss travaille dix heures par jour, tous les jours, pour un salaire allant de 4 000 à 5 000 euros par mois. Il préfère la vente à domicile parce qu’il en profite pour découvrir Paris dit-il. Quand il fait ses livraisons, il prend les transports en commun “c’est plus lent, mais beaucoup plus fiable” s’exclame-t-il.

 

Conversation avec Ouss, dealer parisien de 23 ans. / Crédits : captures d’écran

 

Pour les clients, plus besoin de se déplacer, “c’est comme n’importe quel produit qu’on peut commander sur Internet. Aujourd’hui même les piétons peuvent faire leurs courses sur un drive et aller chercher leur commande directement en magasin” estime Adrien*, 23 ans, consommateur occasionnel. Le trafic de stupéfiants vit avec son temps. De véritables techniques marketing sont mises en place par les vendeurs : “quand tu passes le numéro à quelqu’un, après avoir demandé si tu avais le droit, tu as un sachet gratuit, parce que tu leur amènes de nouveaux clients” raconte Benjamin. La fidélité est également récompensée et il y a régulièrement des promotions : un sachet offert pour deux sachets achetés, presque comme n’importe quelle enseigne de grande distribution.

Inconvénient pour les clients, ils sont obligés d’acheter de plus grosses quantités. “Ce n’est pas forcément plus cher que dans un four, mais tu es obligé de prendre un minimum (autour de 50 euros) pour qu’il ne se déplace pas pour rien.” témoigne Adrien. Par ailleurs, dans la rue, le client n’est pas à l’abri de mauvaises surprises : qualité aléatoire, fournisseurs qui changent souvent… “Et tu n’as pas vraiment le temps de regarder ce qu’on te donne, donc tu te fais plus facilement avoir” ajoute Benjamin.

Le « deepweb », allié des consommateurs ?

Mais la commande par téléphone n’est pas la seule manière de se faire livrer à domicile. Nombre de consommateurs passent par le darknet, aussi connu sous le nom de deepweb, pour acheter de la drogue. Via le navigateur Tor, les utilisateurs ont accès au “hiddenwiki”, le Wikipédia du darknet. Celui-ci recense une quantité colossale de sites qui mettent en vente tous types de drogues, mais aussi des faux-billets, faux-papiers, ou des armes… Parmi tous ces liens, Tim, 23 ans, étudiant en école d’informatique et consommateur régulier, sélectionne un site francophone qui vend du cannabis. Pour payer en ligne sur le darknet, il faut d’abord convertir ses euros en crypto-monnaie. Les tarifs sont souvent indiqués en bitcoins ou en ethereum. Après tout ce processus, Tim commande 150 euros de cannabis… Mais son colis n’arrivera jamais.

Une mauvaise expérience qui ne le décourage pas pour autant puisque Tim assure qu’il renouvellera l’expérience. Il estime que le cannabis qu’il peut trouver à Paris n’est “pas le meilleur” et préfère “payer peut-être un peu plus cher, mais pour quelque chose d’un peu plus pur, qui ne soit pas coupé à n’importe quoi”. La prochaine fois qu’il passera commande sur Tor, il choisira un “plus gros site” sur lesquels les vendeurs ont des notes et des commentaires. “Un peu comme un vendeur sur Amazon : plus il est bien noté, plus il aura des clients et plus tu peux être sûr qu’il est fiable” explique-t-il.

Outre la qualité des produits, il pense aussi que le risque de se faire arrêter est minime. “Le meilleur truc à faire c’est prendre une boite postale, pour ne pas lier la commande à son domicile, et “blender” la crypto-monnaie pour qu’on ne puisse pas la tracer. En plus, les produits sont sous vide, dans des emballages normaux, donc ils ont peu de chance d’être attrapés par la douane”. Pourtant, “les douanes font beaucoup de saisies, notamment quand la drogue transite dans de gros aéroports tels que Roissy” déclare Bruno Cossin de l’intersyndicale UNSA police. Un perpétuel jeu du chat et de la souris se livre entre policiers, dealers et consommateurs.

*pour préserver leur anonymat, les prénoms ont été modifiés

Iris Tréhin

On a testé pour vous : le “Beyond Meat” burger

Fabriqué à Los Angeles, le “Beyond Meat” imite le goût de la viande de boeuf, en utilisant exclusivement des produits végétaux. Nous avons testé pour vous cette intrigante nouveauté.

 

 

Imiter le goût et l’aspect de la viande tout en ayant un impact faible sur la planète, c’est la promesse du burger “Beyond Meat”. Mais “Beyond Meat” c’est tout d’abord le nom d’une entreprise californienne. En 2013, elle crée le “Beyond Beef”, un substitut de viande utilisant des légumineuses censé reproduire le goût d’un véritable steak de boeuf et nécessitant 99% moins d’eau lors de sa production. Réel phénomène outre-atlantique, le fameux steak s’est exporté dans le monde entier et est arrivé en France en janvier dernier.

Pour le découvrir, nous avons poussé la porte du restaurant PNY Oberkampf dans le XIème arrondissement de Paris, qui propose cette alternative végétarienne à sa carte. Une fois installées, nous commandons les deux mêmes burgers : un avec un steak de boeuf, l’autre avec le “faux” steak. Et pour rendre l’expérience encore plus palpitante, le serveur nous apporte nos assiettes sans préciser lequel est végétarien. A la découpe du burger, il est d’abord difficile de les distinguer. A l’oeil, le “faux” steak ressemble en tout point à un vrai steak de boeuf bien cuit, avec l’intérieur légèrement rosé. Ce léger détail est d’ailleurs dû à l’utilisation de la betterave, qui vient donner « ce côté saignant du vrai steak », comme nous le précise Manu, le serveur. La ressemblance visuelle est donc troublante.

 

 

Et le goût alors ?

« Le but, c’est pas d’avoir un steak végétal, mais plutôt un aliment qui va se rapprocher et imiter le plus possible le goût de la viande », nous rappelle Manu. Voyons voir. A la première bouchée, difficile de se prononcer. La seule différence se fait sur la texture du steak, largement plus tendre pour la vraie viande que pour la fausse. Au niveau du goût, c’est sensiblement le même. Mais le faux steak, malgré une légère saveur de fumé, ne parvient pas à recréer le goût si particulier d’une bonne viande de boeuf. En bref, si le “Beyond Meat” burger ne parvient pas à tromper nos papilles si sensibles au goût de la viande, il reste en tout cas un bon substitut pour les végétariens qui, au fond, gardent l’âme d’un carnivore.

 

Alice Ancelin & Sylvia Bouhadra

 

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Manger local, partout en France

De plus en plus de consommateurs achètent des produits du terroir directement auprès des producteurs, soit par internet soit en se rendant directement à la ferme. Un mode de consommation en vogue qui favorise une consommation et une économie locales. Selon le cabinet Natural Marketing Institute, « 71 % des Français préfèrent acheter des produits locaux« . Au niveau national, les initiatives de circuit court se multiplient. Elles répondent à une demande croissante des consommateurs : éviter les intermédiaires et connaitre la provenance des produits.

Depuis 2010, la Ruche qui dit oui ! s’implante partout en France et met en avant les producteurs de nos régions. Mon panier bio ou encore Chapeau de paille sont autant d’initiatives similaires, présentes sur l’ensemble de territoire.

Source : ministère de l’Agriculture

Si vous connaissez des producteurs qui vendent en circuit court près de chez vous, vous pouvez remplir ce formulaire pour compléter la carte ci-dessous. Nous vérifierons les informations envoyées.

Ambre Lepoivre et Lou Portelli

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Les Puces de Saint-Ouen : comment faire du neuf avec du vieux

Premier marché d’antiquité au monde, les Puces de Saint-Ouen sont en déclin depuis une quinzaine d’années. Rideaux de fer qui restent baissés, allées désertées… Les sept hectares des quatorze marchés souffrent de la concurrence d’Internet et des attentats qui ont fait fuir les touristes. Elles cherchent aujourd’hui à trouver un second souffle.

 

 

Sa silhouette avachie s’accorde avec les objets à l’air vétuste qui s’entassent dans son échoppe. Elle ne veut pas dire son nom, refuse de parler. « On neIMG_2911 vend plus rien », rouspète-t-elle tout en secouant la poussière des babioles qui attendent en vain de trouver un acheteur. Classées « zone de protection de patrimoine architectural, urbain et paysager » en 2001, le marché aux puces de St-Ouen (Seine-St-Denis) existe depuis 1920. Paradis des chineurs, les quatorze marchés qu’il regroupe s’étendent sur sept hectares. On y trouve aussi bien du mobilier du XVIIe, comme une imposante commode Louis XIV à plus de 14 000 euros que des bibelots sans valeur, à l’instar des pots en fer rouillés.

IMG_2856Les touristes viennent se perdre dans l’un des sites français les plus visités, attirés par un lieu préservé du temps. Il génère un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros dont les trois quart proviennent des transactions des antiquaires. Pourtant, les marchands sont unanimes, depuis une quinzaine d’années, leurs ventes se portent moins bien. Ils se retrouvent confrontés à un enjeu majeur : comment conjuguer le passé au XXIe siècle ?

100 ans d’histoires

Dès le matin, les passants circulent dans les allées encombrées des Puces. Les plus âgés retrouvent des objets de leur enfance tandis que les plus jeunes découvrent les moulins à café et les coiffeuses dont ils ne feront sans doute jamais usage. Des archives à ciel ouvert dont l’histoire remonte à 1870. C’est dans la continuité des travaux de rénovation de Paris entrepris par le Baron Haussmann que les chiffonniers sont contraints de quitter la capitale pour s’établir à sa bordure, dans ce qui était alors un village, Saint-Ouen. D’abord simple foire, les Puces s’y fixent cinquante ans plus tard définitivement. Les marchés Vernaison, Malik, Biron et enfin Vallès sont nés. Dauphine, Malassis, Paul-Bert et Serpette seront créés après la Seconde Guerre mondiale.

À peine les portes du marché Vernaison franchies que les effluves des plats typiques des guinguettes assaillissent les narines et les chansons populaires des années 20 retentissent aux oreilles. Il suffit de suivre les sons d’accordéons pour être guider vers le café Louisette, véritable institution des Puces. Les visiteurs s’y bousculent toujours, charmé par cet établissement à l’allure désuète où les artistes déambulent entre les tables pour réclamer un pourboire à la fin de leur tour de chant.

Européens, Japonais, Chinois, Américains, ils viennent des quatre coins du monde. « C’est vraiment un lieu typiquement français », s’émerveille Frances, une touriste américaine, les bras pleins de vieilles affiches jaunies par le temps. « J’ai l’impression d’être dans Midnight in Paris », abonde sa fille Jane. Ce film du réalisateur Woody Allen évoque la nostalgie d’un Paris aujourd’hui disparu. Ou presque. C’est niché au milieu des tours en béton et en bordure du périphérique qu’on le retrouve.

Au-delà des antiquités, les Puces reposent sur cet imaginaire d’une France comme seuls les touristes la rêvent encore. Une tendance que déplore Hugues Cornière, président du Marché aux Puces (MAP), association qui réunit les différents marchés de St-Ouen : « On est devenu un lieu touristique, les gens s’y promènent mais n’achètent plus », pointe-t-il. Derrière ce décor de carte postale, les marchands sont à la peine. Ce samedi après-midi, dans une boutique d’orfèvrerie du marché Vernaison, deux ronds de serviette affichés à 55 euros partiront à 30 euros, après seulement cinq minutes de négociations. « Les prix sont très serrés par rapport à autrefois, l’orfèvrerie se vend 30% moins chère qu’avant », constate Samuel Loup, antiquaire. Face au déclin des ventes, le marché se cherche.

« C’est comme un jeu d’enfant »

IMG_2876« Hey fais vite, il y a quelqu’un chez toi qui demande à voir des bijoux », lance Samuel à sa voisine, partie faire la conversation quelques mètres plus haut. Cette dernière accoure et le remercie à chaude voix. Établi au marché Vernaison depuis douze ans, cet « acheteur compulsif » comme il se décrit lui-même, a plaqué le confort de son ancien métier, professeur de musique, pour assouvir sa passion. « Je suis arrivé après les grandes heures des Puces donc clairement, oui, j’aime mon travail», dit-il dans un éclat de rire. Il ajoute : « C’est la crise. Les gens demandent de baisser les prix de moitié, et si on n’a pas beaucoup vendu, c’est oui. Il faut qu’on vive. »

Sa boutique d’orfèvrerie regorge de fourchettes, coupes et de plats en métal ou en argent, « J’ai toujours eu une grande sensibilité au travail d’orfèvrerie », témoigne-t-il. Il les nettoie avec attention bien qu’il avoue que c’est l’aspect « le moins agréable » de son travail. Ce qu’il apprécie par dessus-tout, c’est parcourir les brocantes et les magasins spécialisés. « C’est comme un jeu d’enfant, je pars à la recherche d’un trésor , confie l’homme de 47 ans.

Une quête qui commence dès 6 heures tout les matins. « Je suis devenu un lève-tôt », s’amuse-t-il. L’antiquaire a son rituel : « J’ai deux-trois marchands chez qui j’ai mes habitudes, par contre, je n’aime pas faire les adresses [chez les particuliers ndlr]». Il évite aussi de plus en plus les salles de ventes que cet autodidacte a beaucoup fréquentées à ses début. « C’est très formateur pour évaluer les prix des pièces », juge-t-il. Samuel s’attriste à mi-mots du manque d’intérêt de la jeune génération pour l’argenterie. Quant aux touristes étrangers, ils sont en quête d’un « art de vivre à la française », comme il le remarque avant d’accueillir sourire aux lèvres des clientes américaines qui s’enthousiasment à grands cris devant la profusion de pièces raffinées.

De nouvelles attentes

A midi, baguettes, fromages et vin rouge sont de sorties. Il règne une ambiance conviviale, la définition même de la bonne franquette. Autour des tables, installées dans les allées, les marchands se réunissent et font le bilan de la matinée. « C’est calme aujourd’hui », soupire une vendeuse de fripes. « Allée 8 oui mais allée 7, j’ai vu passer plus de monde », réplique sa comparse. A la fin du repas, les plateaux sont débarrassés par les serveurs des restaurants alentours. Un Paris figé dans le temps mais qui n’échappe pas non plus aux modes. « Le goût pour les antiquités a évolué. Aujourd’hui, ce sont les années 50 et 60 qui sont en vogue », présente Hugues Cornière.

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Une tendance qui se reflète sur le marché. A Paul Bert et Serpette, sur les cinquante nouveaux arrivants, une trentaine vendent du mobilier du Xxe siècle. Le design scandinave s’arrache chez les touristes mais aussi chez les Parisiens. « Les appartements sont plus petits. Ce mobilier est plus adapté à leur surface et aux goûts des nouvelles générations », analyse Hugues Cornière. Pour autant, ces marchands sont concurrencés par les rééditions, sorties par les grandes entreprises de mobilier. C’est le cas du Suisse Vitra dont 70% du chiffre d’affaires provient de ses modèles du designer américain Eames réédités. « On souffre aussi de la concurrence d’Internet », pointe-t-il.

Ebay, Leboncoin… Autant de sites de vente en ligne de seconde main apparus au début des années 2000. Toute personne lambda peut s’improviser marchand sans en avoir les contraintes. Outre les charges et autres frais, un stand de 15m2 au marché le moins cher se loue environ 800 euros par mois. Dès lors, les Puciers dénoncent une concurrence déloyale. « Ils mordent surtout sur les ventes des petits brocanteurs, le haut de gamme est moins affecté», révèle le président de l’association des Puces.

L’avènement de ces sites a marqué la fin des heures fastueuses des Puces de St-Ouen. « En 1998, on ne pouvait pas circuler facilement tant les allées étaient bondées », se rappelle, un brin nostalgique, Halimi, vendeur de tapis au premier étage du marché Malassis. Aujourd’hui, les boutiques voisinent ont pratiquement toutes le rideau tiré. Elles servent désormais de lieu de stockage alors que les passants qui s’y aventurent se comptent sur les doigts d’une main. « Au marché Malassis, tout le premier étage est vide, observe Hugues Cornière, pas mal de gens partent à la retraite et il y a de moins en moins de jeunes qui s’installent. »

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Des marchands 2.0

Pour enrayer ce déclin et s’adapter à cette nouvelle donne, les marchands sont forcés de s’adapter. Il y a un an, l’Association de développement et de promotion des Puces de Paris Saint-Ouen a conclut un partenariat de trois ans avec le site eBay. Un portail de vente en ligne qui permet de toucher un public plus large, ou encore des acheteurs étrangers suite aux attentats. Mais nombreux sont les marchands à ne pas en avoir entendu parler. Et les rares à s’y être inscrits sont loin d’être convaincus. « Sur Ebay, les enchères ne montent jamais assez haut pour que la vente soit rentable », constate Samuel Loup. De plus, l’antiquaire n’est pas prêt à abandonner sa liberté. « Le système de ce site exige une présence constante afin de ne pas louper une vente ». Il s’est donc désinscrit après seulement quelques mois d’utilisation.

En revanche, il est séduit par les réseaux sociaux. « Des marchands voulaient qu’on se dynamise, ils m’ont créé un compte Instagram» Présent sur cette application de partage d’images depuis environ six mois, il y montre différents objets. « J’ai eu des ventes grâce à lui. Cela permet aussi de me faire connaître. » Le nom de son compte est inscrit sur sa carte de visite. Une initiative saluée par les touristes. « Je suis surprise qu’un antiquaire ait Instagram, c’est vraiment un mélange entre l’ancien et le moderne. C’est une bonne idée », s’exclame Harumi, une touriste japonaise. Les Puciers tentent de multiplier les initiatives afin de faire repartir leurs ventes en berne. « Ce sont surtout les jeunes marchands qui essaient de dynamiser les lieux en organisant des événements. Les anciens sont réticents et refusent souvent de participer », regrette Samuel.

Le département de la Seine-St-Denis capitalise sur le potentiel touristique de ce lieu atypique. L’enjeu est de faire revenir les visiteurs. Depuis 2000, la fréquentation a diminué de 75%, passant de 120 000 personnes par week-end à 30 000 lorsque le soleil est au rendez-vous. En 2014, l’Office central du tourisme de St-Denis a décidé de fermer ses deux antennes de St-Ouen, trop excentrées des Puces. Un pôle unique a ouvert ses portes, trois ans plus tard, rue des Rosiers, à l’entrecroisement des quatorze marchés. Un pari réussi. « Face à l’affluence grandissante, une deuxième personne vient d’être embauchée », se félicite Nathalie Szymanski. Cette conseillère en séjour auprès de l’Office de Tourisme de St-Ouen met en avant les nouvelles initiatives du Département. « On a remarqué que les personnes lambdas viennent surtout flâner. Alors depuis peu, on propose des visites organisées, ouvertes aux touristes et aux personnes qui habitent le territoire. Ils découvrent l’histoire du marché », présente-t-elle. Ces visites représentent un apport financier pour la ville. Un groupe de vingt personnes rapporte 1000 euros par excursion.

Un dépoussiérage synonymes de montée en gamme

Loin des ruelles étroites et fouillis du marché Vernaison, lorsqu’on s’aventure dans ceux de Paul-Bert-Serpette, le changement de décor est radical. Ici, le vintage est synonyme de luxe. Les boutiques sont spacieuses et épurées. Le mobilier est mis en scène dans un décor de magazine. Il est destiné à rejoindre les propriétés d’une clientèle aisée. A deux pas s’élève le nouveau restaurant « Ma Cocotte », œuvre du créateur star Philippe Starck.IMG_2915

Hôtels design, restaurants « bistronomiques » et concept stores sont partis à la conquête des Puces. Ils attirent une clientèle jeune et branchée. « On n’était pas une destination locale. Pas mal de Parisiens ont découvert les Puces quand le MOB a ouvert ses portes », se réjouit Hugues Cornière. En passant l’imposante porte du MOB Hôtel, on pourrait se croire à Brooklyn, le quartier new-yorkais à la mode. Sur la terrasse aux allures de jardin, entre le home cinema et le bar, des trentenaires sirotent un cocktail. L’établissement ne s’en cache pas et le revendique dans son nom : « Maimonide of Brooklyn ». Une amorce de gentrification dont se satisfait Hugues Cornière : « Cela attire du sang neuf donc de potentiels clients avec un pouvoir d’achat plus élevé. » Mais c’est loin de faire l’unanimité. « Certains commerçants n’en veulent pas. Même des touristes se désolent de la mondialisation et uniformisation des lieux touristiques », observe Nathalie Szymanski.

Ces inquiétudes sont balayées d’un revers de main par Hugues Cornière. « Si l’on reste à pleurnicher, dans deux-trois ans, encore plus de terrains seront abandonnés », assène-t-il. Le président du MAP place ces espoirs dans les galeries d’art contemporains qui se multiplient aux abords des marchés et projette les Puces comme « le pôle parisien du marché de l’art ».

Dorine Goth et Anaïs Robert

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