En Turquie, la disparition du journaliste saoudien suscite des interrogations

Lundi 8 octobre 2018, plusieurs personnes se sont rassemblées devant le Consulat d'Arabie saoudite à Istanbul, là où Jamal Khashoggi a disparu. ©OZAN KOSE / AFP
Lundi 8 octobre 2018, plusieurs personnes se sont rassemblées devant le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, là où Jamal Khashoggi a disparu.
©OZAN KOSE / AFP

Une semaine après sa visite au consulat saoudien d’Istanbul, la disparition de Jamal Khashoggi reste un mystère.

Enlèvement ou assassinat ? Voilà les deux hypothèses les plus crédibles à en croire les images de vidéosurveillance. Mardi 2 octobre, Jamal Khashoggi, un journaliste critique du pouvoir de Riyad, s’est rendu au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul pour des démarches administratives. Entré dans l’enceinte diplomatique, il n’en est jamais ressorti selon la police turque.

La thèse du commando

Les autorités turques ont révélé samedi 6 octobre qu’un groupe de quinze Saoudiens a fait l’aller et retour à Istanbul et au consulat le jour de la disparition du journaliste. Deux avions privés étaient arrivés d’Arabie saoudite à Istanbul ce jour-là et les personnes à leur bord avaient des chambres réservées dans des hôtels proches du consulat. Le quotidien turc Sabah a également publié les noms, l’âge et les photographies de quinze hommes présentés comme l' »équipe d’assassinat » dépêchée par Riyad. Les autorités turques ont obtenu mardi l’autorisation de fouiller le consulat saoudien, mais cette fouille n’a pas encore eu lieu.

Washington au courant

Le Washington Post, pour qui Jamal Khashoggi a plusieurs fois travaillé, affirme que les renseignements américains étaient au courant d’un projet de capture de son collaborateur. Le Saoudien s’était exilé en 2017 aux États-Unis, après être tombé en disgrâce à la cour du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. Le président Trump s’est dit « préoccupé » en début de semaine par le sort du journaliste saoudien. Il a promis de parler « le moment voulu » aux dirigeants saoudiens, tout en confirmant ne « rien » savoir de ce qui s’est passé. Dans une tribune publiée par le Washington Post, la fiancée de journaliste, Hatice Cengiz, « J’implore le président Trump […] d’aider à faire la lumière sur la disparition de Jamal ».

H.G.

Yémen : trois questions à l’avocat pénaliste auteur de la plainte déposée contre Mohammed Ben Salmane

A l’origine de la plainte déposée contre Mohammed Ben Salmane lundi soir, il y a un avocat pénaliste, Me Joseph Breham. En invoquant la Convention contre la torture, que la France a ratifiée en 1987, l’avocat accuse le prince héritier de complicité d’actes de torture.

Dans une interview accordée à "Celsalab", Me Joseph revient sur la plainte qu'il a déposée contre Mohamed Ben Salmane pour "complicité d'actes de torture" de l'Arabie Saoudite au Yémen.
Dans une interview accordée à « Celsalab », Me Joseph  Breham revient sur la plainte qu’il a déposée contre Mohamed Ben Salmane pour « complicité d’actes de torture » de l’Arabie Saoudite au Yémen.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Arrivé dimanche à Paris pour une visite officielle, le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed Ben Salmane pourrait bien garder un goût amer de son voyage. La cause ? Cette plainte déposée par l’avocat pénaliste Joseph Breham pour « complicité d’actes de torture », en raison de l’implication de l’Arabie Saoudite dans la guerre au Yémen. L’avocat pénaliste représente une association yéménite de défense des droits humains. Que peut-on attendre de cette plainte ? Nous avons posé la question à Me Joseph Breham.

Que contient la plainte que vous avez déposée contre Mohammed Ben Salmane ?

Nous avons porté plainte contre Mohammed Ben Salmane pour des faits de torture au Yémen. La coalition menée par l’Arabie saoudite a sciemment attaqué des populations civiles yéménites. Selon Amnesty International, la coalition s’est rendue responsable de 60% des crimes commis. Selon le comité contre la censure des Nations unies, ces attaques sont une violation de la Convention contre la torture.

On peut également parler de crimes de guerre, mais nous avons préféré parler de torture pour des raisons d’ordre procédural : le crime de guerre peut bénéficier en France de la notion de compétence universelle, mais selon quatre critères. Notamment, le parquet peut s’y opposer. La convention sur la torture nous permet d’attaquer légitimement Mohammed Ben Salmane, et même nous en donne l’obligation, dès lors qu’il pose le pied sur le sol français.

La France est soupçonnée de soutenir indirectement les exactions commises au Yémen en vendant des armes à l’Arabie saoudite… Votre plainte peut-elle avoir des répercussions sur la France ?

Non, il ne devrait pas y avoir de répercussions sur la France. Il n’y a pas, sauf si l’on retrouve un morceau d’arme française sur des documents qui vont servir l’instruction, de répercussions possibles pour la France. Quant à la question des répercussions sur les relations diplomatiques entre la France et l’Arabie saoudite, je ne m’en préoccupe pas. Je m’occupe du droit international, ce n’est donc pas mon problème. Cela dit, j’ai l’espoir qu’Emmanuel Macron évoque le sujet des exactions commises au Yémen avec le prince héritier. Je n’ai cependant pas pas la prétention de penser que c’est ma plainte qui le décidera à le faire.

Que risque Mohammed Ben Salmane ?

La procédure va prendre plusieurs années. Mohammed Ben Salmane encourt désormais des poursuites judiciaires, une mise en examen et un jugement devant les juridictions françaises. Nous espérons que la plainte sera instruite par le Tribunal de grande instance de Paris. En théorie, les peines peuvent aller jusqu’à 20 ans de prison.

Colin Gruel

 

 

Arabie Saoudite/France : un partenariat stratégique mais fragile

Après trois semaines aux États-Unis et un passage par l’Angleterre, le prince saoudien Mohammed Ben Salmane est arrivé dimanche à Paris, pour trois jours de visite officielle. Au programme, le conflit yéménite, l’embargo du Qatar mais également de possibles accords économiques.

Macron et MBS
Emmanuel Macron et MBS se retrouve ce mardi soir pour une réception à l’Elysée. ©Flickr

Les relations commerciales entre la France et l’Arabie Saoudite sont fragiles depuis quelques années, mais avec l’arrivée du jeune prince héritier, une ouverture est peut être envisageable. Emmanuel Macron souhaite relancer la coopération économique entre les deux pays. L’homme fort de Riyad, que l’on appelle MBS, a présenté sa vision pour 2030, un programme ambitieux à l’image des dernières réformes en faveur de la situation des femmes dans le royaume.

Un passé économique compliqué

Les relations entre Riyad et Paris sont solides depuis les années 1960 et le Général de Gaulle, mais elles se sont fragilisées sous le mandat de François Hollande. « L’Arabie saoudite était un des premier clients des entreprises d’armement françaises, mais depuis 2015 il ne s’est rien passé », assure Denis Bauchard, conseiller pour le Moyen-Orient à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Les signatures de contrats lors des précédentes rencontres entre les dirigeants saoudiens et les ministres français ont été fortement médiatisées mais finalement, aucun d’entre eux n’a été significatif. « Laurent Fabius a signé un accord de coopération de près de 11 milliards de dollars sur le nucléaire civil mais ce n’est pas conséquent, comparé aux 380 milliards signés avec Donald Trump », ajoute le chercheur.

Face à ce désenchantement dans les relations économiques, quelle est la vision de Mohammed Ben Salmane ? Lors de cette tournée internationale, le prince héritier a choisi de s’arrêter en France, ce qui laisse penser à un appel du pied de sa part. « La venue de Mohammed Ben Salmane signifie que la France reste un partenaire de choix, c’est une rencontre stratégique avec Emmanuel Macron » explique Denis Bauchard. MBS devrait donc signer des contrats, notamment dans le secteur de l’énergie. « Les prochaines signatures  ne semblent pas correspondre à des sommes considérables, la reprise de la coopération économique est encore une interrogation » analyse le conseiller de l’IFRI.

Vers un climat propice aux échanges commerciaux?

A 32 ans, entre tensions familiales et vision novatrice du pays, MBS essaye de se faire une place et de se différencier de son père. De nombreux dirigeants le voient déjà comme le nouvel homme fort du royaume, qui a réussi à imposer des réformes progressistes comme l’autorisation de conduire pour les femmes. Face à une forte opposition du clergé wahhabite ultra-conservateur et puissant, il tente de se rapprocher des puissances occidentales. Les trois semaines passées aux États-Unis et l’accueil chaleureux que Donald Trump lui a réservé reflètent sa volonté de développer des coopérations internationales. Il voit en Emmanuel Macron un espoir pour réchauffer ses relations avec Paris. Cependant, sur le plan économique rien n’est encore concrétisé. « Depuis quelques années les dirigeants saoudiens essayent de diversifier les secteurs d’activité, il n’y a donc rien de nouveau », précise Denis Bauchard.

La France peine à faire venir des fonds saoudiens, mais pour que les entrepreneurs français investissent en Arabie Saoudite le climat doit être propice. La péninsule arabique représente un marché important en terme d’armement ainsi quand dans le secteur du tourisme et de la construction, mais la situation est instable. « Le climat n’est pas encore très propice pour les investissements étranger. MBS est très déterminé mais également très impulsif, il prend des décisions controversées notamment en politique étrangère » observe Denis Bauchard. Avec la guerre au Yémen, l’embargo au Qatar et la crise au Liban, l’Arabie saoudite est au cœur des grandes perturbations de la région. « On dirait qu’il crée encore plus de chaos dans la région » ajoute le chercheur. Des chantiers sont en prévision notamment avec un grand parc de loisirs le long de la mer Rouge.

La Chine, premier client de l’Arabie Saoudite

Le pétrole reste la principale source de richesse du royaume et la Chine est devenue leur premier client. Les États-Unis, premier partenaire commercial historique, sont de plus en plus autosuffisants en énergie. Avec l’augmentation du prix du pétrole, les producteurs d’énergie limitent leur importation de fioul. « La Chine s’impose en Afrique et peu à peu au Moyen-Orient notamment en Arabie saoudite et en Iran » nous informe Denis Bauchard. Cependant, la relation que recherche la Chine avec ce pays de la péninsule arabique est purement commerciale, contrairement à la France. « Emmanuel Macron cherche certes une coopération économique mais également un dialogue politique » précise-t-il.

En tant que grande puissance internationale et membre du Conseil de Sécurité de l’ONU, la France souhaite pouvoir faire pression sur des questions de droit de l’Homme ou sur l’implication du prince MBS dans le conflit au Yémen. Mais la venue de Mohammed Ben Salmane reste controversée en France notamment à cause du caractère autoritaire du régime et l’implication du prince héritier dans le conflit au Yémen. Pour Denis Bauchard il faut rester attentif aux évolutions du jeune dirigeant saoudien et juger par ses actes plus que par ses promesses.

Zina Desmazes

Mohammed Ben Salmane visé par une plainte pour « complicité d’actes de torture »

En visite à Paris depuis dimanche dernier, le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed Ben Salmane fait désormais l’objet d’une plainte pour « complicité d’actes de torture » en raison de l’implication du royaume dans la guerre au Yémen.

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Les magistrats en charge des crimes de guerre au tribunal de grande instance de Paris ont reçu le 9 avril une plainte déposée par l’association yéménite de défense des Droits de l’homme.

Alors qu’il s’apprêtait à dîner au Louvre avec Emmanuel Macron à l’occasion d’une exposition sur Delacroix (« peintre connu notamment pour son célèbre tableau La liberté guidant le peuple« , précise l’Élysée dans un communiqué), le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed Ben Salmane a été visé par une plainte pour « complicité d’actes de torture », selon les informations de Franceinfo. Déposée par Me Joseph Breham, représentant l’association yéménite de défense des Droits de l’homme, la plainte a arrivé lundi soir sur les bureaux des magistrats en charge des crimes de guerre au tribunal de grande instance (TGI) de Paris.

Longue de quinze pages, la plainte accuse l’Arabie saoudite d’avoir sciemment pris pour cible des populations civiles yéménites. Marchés, camps de déplacés, hôpitaux et immeubles résidentiels auraient été visés. Sont également pointées du doigt des prisons secrètes et des disparitions forcées : « près de 2000 » depuis le 22 juin 2017 selon les avocats des familles concernées, rappelle la plainte.

La justice française dans l’obligation d’agir

Pour rendre sa plainte plus solide, Me Joseph Breham s’appuie sur la Convention sur la torture, signée par la France et entrée en vigueur en 1987, qui rend les poursuites obligatoires contre quiconque est soupçonné de complicité d’actes de torture :

CONVENTION DEF

En d’autres termes, la simple présence du prince héritier sur le sol français oblige la justice française à le poursuivre. L’avocat espère donc que sa plainte sera instruite par le pôle crime de guerre du TGI, juridiction également en charge d’enquêter sur les crimes de guerre perpétrés en Syrie.

La situation au Yémen est préoccupante. Selon l’ONU, 80% de la population (22 millions de personnes) a besoin d’aide humanitaire, et 60% est en insécurité alimentaire. Depuis 3 ans, le pays est le théâtre d’un conflit opposant des rebelles yéménites chiites Houtis et une coalition de pays arabes menée par l’Arabie saoudite. La guerre a fait 10 000 morts et 53 000 blessés.

Colin Gruel