Funéraire 2.0 : quand les start-up veulent réveiller les obsèques

Le marché du funéraire est en pleine diversification, et de nombreuses start-ups veulent leur part du gâteau. Cercueils en carton, cendres transformées en diamants ou QR codes qui permettent d’en savoir plus sur la vie du défunt, les innovations ne manquent pas.

Dimanche 27 mai, la foule se presse au cimetière du Père-Lachaise. Entre deux tombes de célébrités, la sépulture du photographe André Chabot détonne, avec son gigantesque appareil photo en marbre flanqué d’un QR code. Certains passants, intrigués, se prennent au jeu et scannent le code-barres avec leur smartphone. Ils sont aussitôt renvoyés sur un site web qui raconte la vie de l’artiste et présente ses travaux.

DSCF2996
« C’est la première fois que je vois un truc pareil », sourit une touriste devant le QR code apposé à la tombe du photographe André Chabot dans le cimetière du Père-Lachaise. Crédits photo : Samuel Kahn

Depuis quelques années, ce dispositif fleurit dans les cimetières. Développé par une multitude de start-up, il permet aux visiteurs curieux d’obtenir des informations sur le défunt qui occupe une tombe. Texte, vidéo, lettre d’amour et même parfois photographies intimes, toutes les fantaisies sont permises. Mais ce code-barres un peu particulier n’est pas la seule innovation à vouloir changer le paysage du funéraire français : cercueils en carton, urnes miniatures à porter autour du cou, compost ou encore diamant à base de cendres humaines, les start-up rivalisent d’idées pour capter ce marché en pleine explosion.

La ruée vers le funéraire

Le baby-boom de la seconde guerre mondiale va se transformer en papy-boom en 2020, avec 800 000 décès par an, contre 500 000 aujourd’hui ”, professe Manon Stundia, cofondatrice de Facilib, une société qui propose à ses clients de prendre en charge la gestion administrative des obsèques de leurs proches. Aujourd’hui, le marché français du funéraire pèse 2 milliards d’euros. Un chiffre amené à augmenter considérablement, ce qui donne des idées à plus d’un entrepreneur.

Brigitte Sabatier, par exemple, ne supportait plus de voir “ces beaux cercueils en bois laqué qui finissaient juste par être brûlés, et qui en plus ne brûlaient même pas très bien” et a donc cherché une alternative. En 2016, elle lance abCrémation, une start-up “française et 100% écologique” qui propose des cercueils et des urnes en carton. “C’est un produit qui est bon pour la planète. Les colles sont végétales, les encres sont aqueuses, le papier pour le carton est recyclé… L’écologie passe aussi par les funérailles !”. Un projet pour lequel elle a longtemps bataillé, jusqu’à la publication en 2016 d’un décret autorisant l’utilisation de cercueils en carton partout en France. Avant cela, une quarantaine de départements français refusaient net la présence de cercueils en carton pour des raisons d’hygiène et de sécurité.

La société Eco-Cerc propose des cercueils en cellulose recyclée depuis 2012. « Je n’imaginais pas que le secteur des pompes funèbres serait aussi hostile : ils ont tout fait pour me tenir à l’écart des crématoriums », confiait au Monde sa créatrice, Martine Saussol, en janvier 2014. Crédits photos : eco-cerc.fr
La société Eco-Cerc propose des cercueils en cellulose recyclée depuis 2012. « Je n’imaginais pas que le secteur des pompes funèbres serait aussi hostile : ils ont tout fait pour me tenir à l’écart des crématoriums », confiait au Monde sa créatrice, Martine Saussol, en janvier 2014. Crédits photos : eco-cerc.fr

L’alternative proposé par abCrémation et les autres vendeurs de cercueils en carton a le mérite de coûter moins cher aux consommateurs. Les prix débutent généralement autour de 100 € pour les cercueils en carton contre 800 € pour les modèles en bois. Problème : la baisse des prix entraîne souvent une chute de la qualité des produits. Si Brigitte Sabatier affirme que ses produits “remplissent les normes d’hygiène, de sécurité et d’épaisseur fixées par la loi, et sont écologiques”, ce n’est pas le cas pour tous les cercueils en cartons proposés à la vente. François Colliot, directeur des pompes funèbres Santilly Bigard à Levallois-Perret estime ainsi que bien souvent, la colle utilisée pour ces cercueils, devient “très polluante” une fois brûlée. “En plus, les nouvelles normes de résistance des cercueils rendent difficiles l’utilisation du carton” conclut-il, visiblement pas emballé par la tendance.

Il faut dire que pour les crémations, le cercueil en carton ne fait pas l’unanimité. Jean-Michel Saint-Julien, chef d’agence de l’entreprise de pompes funèbres Roc-Eclerc, dans le onzième arrondissement de Paris, l’explique : il y a 10 ans, une famille lui demande que leur proche soit incinéré dans un cercueil en carton, en raison de ses “convictions écologiques”. Il effectue donc des démarches auprès du crématorium de la ville qui refuse, “le cercueil risquant de brûler avant d’entrer dans le four”. Seule solution : présenter à la famille un cercueil en carton pour la cérémonie, puis “mettre le cercueil en carton dans un cercueil en bois” au moment de la crémation. Tant pis pour l’écologie.

Diamants, vinyles… Le devenir des cendres soumis à la législation

D’autres sociétés vont plus loin encore dans l’innovation. Pour 5.500 €, les entreprises Lonité et Algordanza, toutes deux basées en Suisse, proposent ainsi de faire des cendres d’un défunt un diamant de 0.4 carats. Un processus rendu possible par le composé constituant commun aux cendres et aux diamants, le carbone. Il suffit donc de soumettre les premières à de très fortes pressions pour obtenir les seconds. La start-up Andvinyly, basée en Grande-Bretagne, produit quant à elle des disques vinyle à partir de cendres. Le groupe Heavens above Fireworks promet d’en faire un feu d’artifice, le studio de design Estudimoline un engrais idéal pour faire pousser un arbre du souvenir,  et la start-up NadineJarvis les transforme en crayon à papier.

Mais là encore, ces initiatives se heurtent à la législation. Aujourd’hui la loi interdit ces pratiques. On n’a pas le droit de transformer des cendres en diamants ou d’en faire un arbre. Des cendres c’est un corps, dans un état transformé. Elles sont indivisibles”, explique François Colliot, responsable de pompes funèbres. Un principe instauré en 2008 par la loi Sueur. Mais les contrôles sont rares, et rien n’empêche les proches de disposer des cendres comme bon leur semble une fois ces dernières entre leurs mains. “Comment voulez-vous que le crématorium refuse? Il n’est pas inquisiteur. Son rôle s’arrête à remettre les cendres à la famille et d’informer cette dernière sur ce qu’elle a le droit de faire ou pas”, confirme François Colliot. Une collègue agente du leader de pompes funèbres français OGF abonde : “ Il n’y a aucune règle qui contrôle l’habitat des particuliers, donc même s’ils n’ont théoriquement pas le droit d’avoir des urnes chez eux, on sait très bien que beaucoup le font. Et si certains décident d’en faire des diamants ou que sais-je… Eh bien ce n’est pas dans notre intérêt de les contrarier. On préfère faire la sourde oreille”.

Des innovations qui ont du mal à convaincre les Français

Pas si facile, donc, de révolutionner les pratiques funéraires en France. Les start-up, en plus de faire face à une législation contraignante, doivent composer avec des familles respectueuses de la tradition.

Un QR code ? Mais c’est quoi ça ? Si les gens ont envie de me connaître, qu’ils viennent me voir de mon vivant, pas sur ma tombe !” s’emporte ainsi Annick, 82 ans. Cette retraitée fait partie de ces rares français qui ont déjà pris l’ensemble de leurs dispositions pour leurs obsèques. Quand j’étais plus jeune, se souvient Annick, j’avais imaginé mon mariage parfait, avec le gâteau, les bougies, la grande allée et la robe idéale. Mon enterrement c’est un peu pareil, sauf que je ne serai pas là pour le vivre”. De fait, elle a déjà acheté son cercueil, en “joli bois blanc, de forme tombeau”. Il lui a coûté 1 500 €. Et plutôt que de le laisser aux pompes funèbres, Annick le garde dans sa cave. “Comme ça, je suis sûre qu’il est bien à l’abri ! Les invités sont toujours curieux de le voir quand je leur en parle. Ils trouvent cela bizarre, mais moi, ça me fait rire”. Cette énergique octogénaire a également réservé sa place dans un cimetière de Nice, à côté de son époux, et a même prévu la tenue qu’elle souhaitait porter pour le grand jour. “J’ai aussi suggéré à mes proches des idées de restaurants où ils pourraient aller manger après la cérémonie, mais ça, je leur laisse la décision finale, sourit Annick. Je veux que mon enterrement soit comme une fête en mon honneur. Je ne peux pas empêcher les gens d’être triste. Mais je ne veux pas leur imposer de tout organiser, surtout que je veux que ça se passe comme j’en ai envie.

33607342_10211399578685463_7640541756370452480_n
Dimanche 27 mai, fête des mères, les visiteurs sont nombreux à se recueillir au cimetière de Meudon-la-Forêt. En 2017, 65% des Français ont choisi de se faire inhumer. Crédits photo : Axelle Bouschon

Pour Jean-Michel Saint-Julien, agent de pompes funèbres, Annick, quoique bien préparée, est avant tout “une originale”. Il faut dire que les Français sont généralement mal à l’aise avec ce sujet. Jean-Louis Duchêne, ancien militaire de 79 ans résidant à Meudon-la-forêt, est de ceux-là. “Des fois, le sujet vient dans la conversation avec des amis, mais on n’en parle jamais trop longtemps. Ce n’est pas bien joyeux, aussi, comme idée. On dit toujours à celui qui a commencé à en parlerArrête-toi ! On verra bien quand ça arrivera, on ne veut pas y penser !””. “La mort en France est escamotée”, confirme Jean-Michel Saint-Julien, on en parle très peu”.

L’incinération de plus en plus plébiscitée

Quant à ceux qui prennent leurs dispositions, ils se contentent souvent de mettre de l’argent de côté et laissent à leurs proches des instructions quant à la manière dont ils veulent que l’on dispose de leurs corps.

Au cours des dernières décennies, l’incinération a gagné en popularité : si en 1979, on ne comptait que 1% d’incinération en France, ce chiffre est passé à plus de 35% en 2017. Et cette progression ne semble pas s’arrêter de sitôt : selon un sondage IPSOS de 2018, 56% des français préfèrent une incinération à une inhumation.

DSCF2929
« C’est mon urne préférée », montre Estelle Godreau, employée des pompes funèbres de Santilly Defer. Dans cette boutique qui fait face au cimetière du Blanc-Mesnil, les vases funéraires sont plus nombreux que les pierres tombales. Crédits photo : Samuel Kahn

 

Après crémation du défunt, les proches peuvent décider de faire enterrer les cendres dans une concession funéraire, de façon  similaire à une inhumation. Il est également possible de conserver l’urne qui les recueille dans un columbarium – un bâtiment funéraire placé dans un cimetière et géré par la commune qui peut accueillir les cendres d’un ou plusieurs défunts -, ou encore de disperser les cendres soit dans un espace aménagé par la commune – appelé « jardin du souvenir » -, soit dans un lieu public. Il faut alors notifier le maire de la commune dans laquelle on effectue la dispersion.

L’incinération, c’est d’ailleurs la solution qu’ont choisi Pierrette et son mari Louis. Ce couple de retraités réserve depuis trois ans une concession trentenaire dans le columbarium du cimetière de Genay, dans la banlieue lyonnaise, où ils résident depuis plusieurs années. Une place qui pourra accueillir les deux urnes du couple : “Ça fait soixante ans que je suis avec mon mari, je n’ai pas envie d’être séparée de lui après la mort !” . L’inhumation, pas vraiment la tasse de Pierrette : “Être enterrée sous la terre avec les vers et tout…” grimace la retraitée, “je me disais qu’être incinérée c’était plus simple”. Et plus facile pour les proches aussi, qui n’auront plus qu’à choisir les urnes du couple au moment venu.

 

En 2017, 35% des défunts ont été incinéré. Dans 15% des cas, et comme le prévoient Pierrette et Louis, les cendres du défunt sont placées dans un columbarium. Un choix généralement moins onéreux qu’un caveau, mais dont le prix varie grandement d’une commune à une autre. Crédits infographie : Axelle Bouschon

La guerre des places dans les cimetières

Si Pierrette, Louis, et Annick ont pu réserver leur concession sans trop de problème, pour certains, trouver une place s’apparente parfois à un parcours du combattant. Les cimetières des grandes villes sont engorgés. Et les places restantes sont chères. Dans les cimetières de Paris intra-muros, une concession perpétuelle coûte 7 764 € le mètre carré. Les candidats au Père-Lachaise ou à Montparnasse n’ont aucune certitude d’y accéder, les deux cimetières étant pleins à craquer. Les places se libèrent au gré des reprises de concessions.

Un processus très long et très incertain”, selon le conservateur adjoint du cimetière de Montmartre, Frédéric Tempier. “Il faut envoyer des lettres recommandées à tous les ayants-droit et la moindre erreur peut faire capoter la procédure de tous les dossiers”, explique-t-il. Au cimetière de Clamart, le gardien regrette d’être “parfois obligé de remplacer le cercueil d’un défunt donc la concession n’a pas été renouvelée par un autre dans les jours qui suivent”. Au cimetière de Montmartre, il est impossible de réserver une concession : les milliers de personnes qui souhaitent y être enterrés n’ont d’autre choix qu’espérer la libération d’une concession le jour de leurs obsèques. En 2017, seulement 386 personnes ont pu y être accueillies.

Décennale, trentenaire, cinquantenaire ou perpétuelle : le prix d’une concession funéraire dépend en partie de la durée de location choisie par le défunt. La commune où ce dernier est inhumé est l’autre facteur qui détermine le prix final : ce prix peut être jusqu’à parfois 15 fois plus important d’une commune à une autre. Crédits infographie : Axelle Bouschon

Pour pallier ce problème, des solutions ont été envisagées dès les années 1980. Une pelouse cinéraire où il est possible de disperser des cendres et de venir se recueillir a ainsi été installée au cimetière du Père-Lachaise en 1985. Mais là encore, le lieu est victime de son succès : “On en est à 1300 dispersions par an, on est à saturation”, déclare la conservatrice du cimetière, Martine Lecuyer. Il y a trois ans, une borne électronique a été installée à l’entrée du cimetière. On peut y consulter les noms des défunts et la date de la dispersion de leurs cendres.

Guilherme Evangelista, restaurateur à la retraite, recherche le nom de son frère, dont les cendres ont été dispersées l'année dernière sur la pelouse funéraire du cimetière du Père-Lachaise
Guilherme Evangelista, restaurateur à la retraite, recherche le nom de son frère, dont les cendres ont été dispersées l’année dernière sur la pelouse cinéraire du cimetière du Père-Lachaise. Crédits photo : Samuel Kahn

Ces dispositifs innovants (électroniques ou non) rencontrent un certain succès. On devrait donc être amenés à voir des QR codes et des écrans se multiplier dans les cimetières français dans les prochaines années, même si Martine Lecuyer admet que “la ville de Paris a quelques années de retard”.

Si aujourd’hui, les innovations funéraires ne manquent pas, nombre de ces propositions ont du mal à convaincre. Clients comme vendeurs pointent du doigt le côté parfois fantaisiste de ces inventions qui, plutôt qu’apporter une réponse aux problèmes rencontrés par les familles et les municipalités – le manque de place, les prix encore trop élevés entre autres -, s’apparentent parfois bien plus à des gadgets.

Axelle Bouschon & Samuel Kahn

Boom des assurances de médecins

Maître Julien Damay n'encourage pas souvent les victimes à engager des procédures auprès des tribunaux (crédit photo : Solène Agnès)
Maître Julien Damay n’encourage pas souvent les victimes à engager des procédures auprès des tribunaux
(crédit photo : Solène Agnès)

Pour se protéger, les médecins ont recours à des assurances, obligatoires et dont les prix divergent en fonction des spécialités. Les prix des assurances des anesthésistes ou des gynécologues, notamment, ont explosé, atteignant en moyenne 30 à 50 000 € par an. “Les tribunaux ont de plus en plus tendance à faire payer les assurances des médecins, constate Julien Damay, avocat à la Cour. Elles se sont donc développées et ont augmenté leurs tarifs. Pour un gynécologue-obstétricien, le problème principal, c’est l’enfant qui meurt à la naissance. Ce sont des accidents qui sont maintenant rarissimes mais systématiquement aujourd’hui il y a un avocat et la famille engage des procédures. Et si jamais il y a une condamnation, ce sont des condamnations qui sont très lourdes, on parle de plusieurs centaines de milliers d’euros.”

Seuls les médecins travaillant dans des établissements publics échappent à ces assurances : ils bénéficient de la couverture des fonctionnaires. Une exception tout de même, lorsqu’ils commettent une faute lourde, volontairement ou non.

Pour les femmes, la pilule ne passe plus

Depuis 2012, 1,5 million de femmes en France ont arrêté de prendre ce contraceptif, selon l’Agence national de Santé. Scandale de la pilule 3ème génération, phobie des hormones, volonté de retour au naturel… la méfiance grandit autour de ce petit cachet, autrefois considéré comme un symbole de libération sexuelle pour les femmes. Enquête sur le désamour des Françaises pour la pilule.

Chaque jour, ce sont plus de 59.000 boîtes de pilules qui sont vendues et utilisées par les Françaises.
Chaque jour, ce sont plus de 59.000 boîtes de pilules qui sont vendues et utilisées par les Françaises.

« La meilleure contraception, c’est celle que l’on choisit ! », peut-on lire sur les prospectus rose bonbon disposés en cercle sur la table basse du Centre de Planification et d’Éducation familiale de la Goutte d’Or, un quartier populaire de Paris. Chaque jour, cet établissement accueille en moyenne une dizaine de femmes. La plupart sont mineures et dans une situation précaire. Ici, elles sont reçues en consultations ou pour trouver une méthode de contraception adéquate. Beaucoup s’y rendent également pour entamer les démarches pour une interruption volontaire de grossesse. Alors, quand Catherine Jouannet entend qu’il existe un « désamour » des femmes pour la pilule, cette sage-femme débordante d’énergie aux cheveux bouclés et grisonnants ne peut s’empêcher de faire la grimace. « Désamour, je n’aime pas tellement ce mot. Même s’il est vrai que les prescriptions de pilule ont diminué ces dernières années », lâche-t-elle avec regret.

En 2010, 50 % des Françaises avaient recours la pilule. Elles ne sont plus que 41% en 2013, selon l’enquête Fécond de l’Institut National d’études démographiques. 2013, une année marquée par le scandale provoqué par la pilule 3ème génération. En décembre 2012, Marion Larat, une étudiante bordelaise de 26 ans, porte plainte contre les laboratoires pharmaceutiques Bayer et contre les autorités sanitaires françaises. Six ans plus tôt, la jeune femme avait fait un AVC qui l’avait laissé paralysée à 65 %. Elle liait alors son accident à sa contraception. La commission régionale de conciliation et d’indemnisation (CRCI) des accidents médicaux de la région Aquitaine lui donne raison et impute son AVC à la pilule Méliane, commercialisée par le laboratoire allemand Bayer. Plus d’une centaine de plaintes de femmes victimes d’embolie, d’AVC ou de thrombose suivront. Utilisées par 4,7 millions de femmes en France, la pilule provoquerait 20 décès prématurés et 2.500 accidents similaires par an, selon un rapport diffusé par l’Agence du médicament, en mars 2013.

Crise de confiance

Les quelques cas médiatisés poussent alors certaines femmes à rejeter ce moyen de contraception, y compris les pilules de première et deuxième génération. Maëlle Lafond, journaliste de 24 ans, a arrêté sa pilule il y a deux ans. « Je ne supportais les effets secondaires, et j’ai perdu ma mère qui est décédée d’un cancer du sein ».  D’après une étude élaborée par des chercheurs écossais, la pilule augmenterait en effet les cancers du sein de 20%. « On ne m’a jamais prescrit un seul bilan sanguin pour ma pilule. Or, dans mon cas, une contraception hormonale est déconseillée puisque j’ai des antécédents familiaux de cancer ! », s’insurge Maëlle. Sur le site du ministère de la Santé, il est en effet indiqué que la pilule hormonale est « contre-indiquée  chez les femmes ayant une prédisposition héréditaire de cancer du sein, de thrombose veineuse ou artérielle et d’AVC ». Une évidence pour Agnès Pavard, gynécologue à Marignane (Bouches-du-Rhône), qui s’attache désormais à prévenir les femmes, des risques éventuels liés à la prise de pilule. « Les patientes ont eu très peur. En 2013, on avait l’impression qu’on découvrait qu’il y avait des risques avec la pilule, mais on le savait depuis longtemps déjà. Mais le grand public découvrait ces dangers-là », explique la quinquagénaire, qui reçoit de plus en plus de jeunes femmes cherchant des alternatives. La pilule contient des hormones de synthèse qui peuvent favoriser la formation de caillots dans le sang, pouvant boucher une artère du cou ou du cerveau et provoquer un AVC ou une phlébite. « Aujourd’hui, nous sommes beaucoup plus attentives sur les antécédents familiaux des patientes. En consultation, je prends plus le temps d’expliquer aux patientes les risques éventuels liés à chaque contraceptif. Il y a un vrai travail d’information et de prévention à faire auprès des femmes », ajoute la gynécologue.

« On ne m’a jamais prescrit un seul bilan sanguin pour ma pilule. Or, dans mon cas, une contraception hormonale est déconseillée puisque j’ai des antécédents familiaux de cancer» Maëlle, étudiante de 24 ans

Dans son cabinet cossu, situé dans le XVème arrondissement de Paris, la gynécologue Sadya Aissaoui ne décolère pas contre la presse. « Il y a eu une campagne médiatique d’une violence inouïe contre la pilule. On nous expliquait que c’était mortel et des pilules ont été retirées du marché, comme la Diane 35. On est passé de la ‘’pilule bonbon‘’, que les femmes prenaient sans se poser de questions, à la pilule ‘’danger mortel’’ ». Pourtant, pour ce médecin, la pilule reste un bon moyen de contraception. « Certaines patientes souffrent de problèmes gynécologiques, comme des kystes de l’ovaire ou des règles abondantes et douloureuses. La pilule leur a offert une très bonne qualité de vie ». En effet, la pilule régule les cycles menstruels et réduit les risques de kystes de l’ovaire en bloquant l’ovulation. Pour Alma N, 23 ans, prendre la pilule a été salvateur. La jeune femme raconte avec enthousiasme comment ce comprimé a changé son quotidien. A l’âge de quinze ans, elle commence à prendre la pilule pour apaiser ses règles douloureuses, dues à un dérèglement hormonal qui lui fait enfler les ovaires. L’ovulation engendre, en temps normal, un gonflement des ovaires. Les hormones libérées par la pilule empêchent ce gonflement. Depuis qu’elle prend ce contraceptif, Alma ne ressent plus aucune douleur, ou presque. « Aujourd’hui, je peux vivre normalement. Avant, c’était insupportable, je ne pouvais pas aller en cours pendant mes règles, je prenais de la codéine et je pleurais de douleur », se souvient l’étudiante, l’air grave.

 

« Certaines patientes souffrent de problèmes gynécologiques, comme des kystes de l’ovaire ou des règles abondantes et douloureuses. La pilule leur a offert une très bonne qualité de vie », Sadya Aissaoui, gynécologue

Comme souvent chez les femmes souffrant de kystes ovariens, la pathologie est héréditaire. « Ma grand-mère et ma mère ont vécu un calvaire à cause de cela. Ma grand-mère s’est fait enlever l’utérus après la naissance de ses enfants et ma mère a été malade pendant longtemps. Je suis plutôt chanceuse, en fin de compte », philosophe la jeune femme, désormais en paix avec son corps. « Diaboliser la pilule, ce n’est pas servir les femmes qui vont en bénéficier. Il y a des femmes à qui ça convient très bien et il faut les encourager à la prendre », relativise Alma. Au-delà des questions de santé, la pilule reste un symbole fort d’émancipation pour certaines femmes. L’adoption de la loi Neuwirth autorise la commercialisation de la pilule en 1967 et conforte les slogans féministes de l’époque, « un enfant si je veux, quand je veux ».  « La légalisation de la pilule se produit dans un contexte où l’avortement n’était pas encore légal. C’est un premier pas dans la libération sexuelle des femmes », explique Leslie Fonquerne, sociologue au Laboratoire CERTOP, à l’université de Toulouse.

Une volonté de « retour au naturel »

« Il n’y a pas de contraception miracle », explique Florence Boursier, sage-femme à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône). « Chaque femme a sa contraception, qui a des inconvénients et des avantages. Tant que les avantages sont supérieurs aux inconvénients, c’est une bonne contraception », explique cette professionnelle passionnée.  Certaines femmes ont profité du scandale de la pilule troisième génération pour arrêter la pilule et se tourner vers d’autres alternatives. C’est le cas de Marie HG, mère de famille de 40 ans. « J’avais des sautes d’humeur, des bouffés de chaleur, j’ai pris du poids. Ma libido a disparu, j’étais dans un état dépressif permanent, mes boutons ont réapparu. Rien n’allait depuis que j’étais sous pilule. » L’élégante quadragénaire se tourne alors vers le stérilet au cuivre, mais quelques mois plus tard, ses règles sont devenues plus abondantes et douloureuses. Depuis, cette adepte du bio utilise les méthodes dites « naturelles ». Cette appellation floue regroupe l’abstinence périodique, durant laquelle les femmes n’ont pas de relations sexuelles ; le « retrait », l’homme se retire avant l’éjaculation, ou encore la prise de température, méthode consiste à repérer la période d’ovulation en fonction de la chaleur du corps. Ces méthodes, utilisées avant la commercialisation des différents contraceptifs concernaient 1,2 % des femmes, en 2010, selon une étude de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), publiée en 2016. « C’est un archaïsme total en 2018 », s’insurge Sadya Aissaoui, qui voit de plus en plus de patientes utiliser ces méthodes. « Le retrait, c’est une catastrophe. Avant l’éjaculation, on peut trouver des spermatozoïdes dans le liquide séminal. Dès lors qu’il y a un contact sexuel, elles peuvent tomber enceinte », rappelle-t-elle, l’air sévère. Alma ironise sur cette méthode, qu’utilisait sa mère, «  la méthode du retrait a très bien marché, ça a donné ma sœur ».

Les femmes abandonnent de plus en plus la pilule, au profit du dispositif intra-utérin (DIU) ou stérilet
Les femmes abandonnent de plus en plus la pilule, au profit du dispositif intra-utérin (DIU) ou stérilet

 

« Chaque femme a sa contraception, qui a des inconvénients et des avantages. Tant que les avantages sont supérieurs aux inconvénients, c’est une bonne contraception », Florence Boursier, sage-femme

Les raisons qui poussent les femmes à abandonner la pilule dépassent parfois leur propre bien-être. Certaines sont convaincues que l’arrêt de leur pilule est un geste pour la planète. Pour le docteur Pedro José Maria Simon Castellvi, gynécologue et président de la Fédération internationale des associations de médecins catholiques, « la pilule contraceptive a depuis des années des effets dévastateurs sur l’environnement en relâchant des tonnes d’hormones dans la nature  à travers les urines des femmes.  » D’après une étude britannique, menée par la biologiste britannique, Susan Jobling de l’université Brunel à Londres, et diffusée dans la revue scientifique Environmental Health Perspectives, 20 % des poissons d’eau douce mâles seraient devenus hermaphrodites et se sont mis à pondre des œufs. En cause, les molécules présentes dans les pilules contraceptives qui sont rejetées dans les rivières. Arrêter la pilule, un geste écolo et militant ? C’est en tout cas l’une des raisons pour lesquelles Caroline Baudry, étudiante de 23 ans, a décidé d’abandonner ce contraceptif. « Il paraît que la pilule est vraiment dévastateur pour l’environnement, et je ne voulais pas participer à cette pollution. J’avais également entendu parler des risques d’AVC. Je ne voulais prendre aucun risque », explique la jeune femme, avec conviction.

new-piktochart_30627747

Abandonner sa pilule, un problème de riche ?

Au Centre de Planification et d’Education familiale de la Goutte d’Or, Catherine Jouannet voit principalement défiler des mineures, qui souhaitent cacher leur sexualité à leur parents, ou des femmes « vulnérables ». « La majorité ne peuvent pas nécessairement dépenser 20 euros par mois pour leur contraception, parce qu’elles ne sont pas toutes remboursées par la Sécurité sociale. Le coût est un facteur de discussion primordial dans notre centre », explique la sage-femme. Pour Leslie Fonquerne, sociologue au Laboratoire CERTOP de l’université de Toulouse, « pouvoir aller chez le gynécologue et avancer les frais n’est pas donné à tout le monde. » Un problème de coût, mais aussi d’éducation. « Une première consultation chez le gynécologue, pour une contraception, devrait durer une heure. Il faut prendre le temps d’expliquer comment cela fonctionne aux jeunes femmes, ce n’est pas évident pour toutes ! », raconte Marie-Françoise J, sage-femme au Centre de Planification et d’Education familiale de l’Hôpital Cochin-Port royal. Le rejet de la pilule concerne en majorité des femmes diplômées, selon l’étude Fécond, pour l’Ined. « Durant la consultation, il faut pouvoir avoir les armes verbales et les informations pour affronter le médecin en posant des questions. Les femmes ne sont pas toutes capables de remettre en question cette relation de pouvoir qu’il peut y avoir vis-à-vis du médecin », explique Leslie Fonquerne. Des femmes éduquées, mais aussi plus jeunes, « La baisse du recours à la pilule concerne les femmes de tous âges mais elle est particulièrement marquée chez les moins de 30 ans. », peut-on lire dans l’étude Fécond.

 « La légalisation de la pilule est un premier pas dans la libération sexuelle des femmes », Leslie Fonquerne, sociologue

A l’exception du préservatif, les contraceptions pour hommes sont très peu mises en valeur et adoptées. La responsabilité de la contraception repose donc exclusivement sur la femme.  « Avant, la méthode la plus utilisée en France était le retrait, les hommes étaient donc plus impliqués dans la contraception. La pilule a changé les rapports hommes–femmes dans ce domaine-là, elle a féminisé la contraception », explique la sociologue Leslie Fonquerne. Mais la pilule masculine pourrait bientôt devenir réalité. Un premier essai clinique a dévoilé des résultats prometteurs, d’après une étude américaine menée conjointement par le Centre médical de l’Université de Washington et le Centre médical de Harbor-UCLA, à Los Angeles. « Une très bonne idée, pour plus impliquer les hommes sur les problématiques de la contraception », pour Florence Boursier. Cette sage-femme reste pourtant dubitative sur l’éventuel succès de cette pilule masculine.  « En France, la vasectomie (stérilisation chirurgicale) reste taboue. C’est culturel, nous sommes un pays de latins, et l’appareil reproducteur est lié à la virilité. Aux Etats-Unis et dans les pays du Nord, la vasectomie est beaucoup plus répandue. » Aucune date de commercialisation d’une pilule masculine n’a été avancée pour le moment. Aujourd’hui, 4.7 millions de femmes avalent leur comprimé tous les jours, faisant de la pilule la contraception la plus utilisée en France.

                                                                                                                                                 Camille Bichler et Caroline Quevrain

Sur le même sujet :

La pilule masculine, c’est pour quand ?

Trois questions à Catherine Jouannet, sage-femme

La pilule masculine, c’est pour quand ?

Le premier essai clinique de la pilule masculine a dévoilé des résultats prometteurs d’après une étude américaine menée conjointement par le Centre médical de l’Université de Washington et le Centre médical de Harbor-UCLA, à Los Angeles. Mais les hommes sont-il prêts à l’utiliser ?

Le premier essai clinique de la pilule masculine a dévoilé des résultats prometteurs. Mais les hommes sont-il prêts à l’utiliser?
Le premier essai clinique de la pilule masculine a dévoilé des résultats prometteurs. Mais les hommes sont-il prêts à l’utiliser?

Composée d’hormones, la testostérone et d’une substance chimique appelée désogestrel, la pilule masculine empêcherait la maturation des spermatozoïdes et donc la fécondation de l’ovule. Encore dans sa phase clinique, ce contraceptif s’est révélé efficace à 96 %. Mais la pilule testée engendrerait des effets secondaires, acné, ilibido élevée, troubles de l’humeurs ou encore douleurs musculaires.

Si la vente du comprimé devient un jour réalité, Nicolas Forstman, étudiant en économie de 23 ans, se dit prêt à le prendre quotidiennement. « Si les effets secondaires sont limités et maîtrisés, pourquoi pas » explique-t-il. Le jeune homme regrette que la gente masculine se sente souvent déresponsabilisée en matière de contraception, « C’est une responsabilité commune, surtout lorsque cela s’inscrit dans une relation de couple ».

Pour Maëlle Lafond, 24 ans, l’usage d’une pilule masculine « délègue la responsabilité du risque de grossesse à l’homme », ce qu’elle ne semble pas être prête à faire pour l’instant. La date de sa mise sur le marché n’a pas encore été annoncée.

Camille Bichler et Caroline Quevrain