Travailleurs handicapés : pourquoi c’est toujours compliqué

Leticia Farine et Jeanne Bulant

Travailleurs handicapés : pourquoi c’est toujours compliqué

Travailleurs handicapés : pourquoi c’est toujours compliqué

Leticia Farine et Jeanne Bulant
Photos : Jeanne Bulant
21 mai 2017

Trouver un travail est deux fois plus compliqué pour les personnes en situation de handicap. De l’insertion professionnelle au maintien dans l’emploi, leur parcours est souvent fastidieux. Onze ans après la loi pour l’égalité des droits et des chances de 2005, qu’en est-il de la situation des personnes handicapées sur le marché du travail ? ENQUÊTE

A  deux pas de la butte de Montmartre, derrières les grandes vitres de la Halle Saint-Pierre, Joaquim Etienne s’active dans la petite librairie du musée. Son badge “stagiaire” au cou, le jeune homme de 27 ans s’arrête devant chaque table pour s’assurer que les livres exposés soient bien alignés. Le dos voûté sur les étalages, Joaquim ne jette pas un regard sur les clients de la librairie, il est concentré. Se focaliser sur une tâche en faisant abstraction du reste, c’est d’ailleurs l’une des caractéristiques du handicap de Joaquim, l’autisme asperger.

 

Il y a quelques mois de cela, Joaquim ne se serait pas imaginé être stagiaire dans un musée. “Je voulais faire quelque chose d’artistique et de manuel”, déclare-t-il. Titulaire d’un CAP arts et techniques du verre, Joaquim se serait bien vu “être vitrailliste ou bien dessinateur”. Mais trouver du travail en 2017, de surcroît quand on est handicapé, c’est compliqué. Pour l’aider dans sa recherche d’emploi, Joaquim est d’abord allé à Pôle emploi avant d’avoir été redirigé au mois de mars 2017 vers Pass Jeunes Emploi.

Un projet professionnel réaliste et réalisable

 

Pass Jeunes Emploi est un dispositif de l’association francilienne Vivre Emergence dont l’objectif est de favoriser l’insertion en milieu ordinaire de jeunes handicapés avec des déficiences intellectuelles légères ou des retards mentaux. Avant le stage en entreprise, la première étape du programme c’est d’établir un projet professionnel réaliste et réalisable. Et cela passe souvent par la déconstruction d’un projet fantasmé.

 

L’animalerie, la petite enfance, ou le service aux personnes âgées sont souvent plébiscités par les jeunes handicapés. Ce n’est pas un hasard, ce sont des métiers où ils ne seront pas confrontés au reflet de leur handicap. Mais la réalité du terrain, c’est que ces secteurs sont presques inaccessibles aux handicapés”, explique Didier Martin, responsable insertion au sein de Pass Jeunes Emploi.

 

Pour ré-orienter un jeune, sans le démoraliser, Didier Martin et son équipe essaient de lui trouver un travail avec un lien plus ou moins éloigné avec son rêve de départ. Pour quelqu’un intéressé par la petite enfance c’est un job dans une boutique de prêt-à-porter pour enfants ; pour Joaquim qui aime l’art, c’est un job dans un musée.

 

Le chômage massif  des handicapés

 

De fait en 2015, 21% des personnes handicapées étaient au chômage: deux fois plus que le taux de chômage national d’après l’Institut national de statistiques, la Dares. Leurs périodes de chômage sont plus longues, avec 78 % des chômeurs handicapés depuis au moins trois ans. Et lorsqu’elles sont en emploi, elles sont souvent en situation de précarité: contrats à temps partiels ou postes d’ouvriers non-qualifiés.

 

La loi de 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » a beau exiger des entreprises privées de plus de 20 salariés qu’elles emploient au moins 6% de travailleurs handicapés, seul un quart des établissement concernées par l’OETH (l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés) n’atteignait ce chiffre en 2013. En cas de non-respect de cette règle, les entreprises se voient contraintes de verser une contribution financière à l’Agefiph. Un organisme public chargé de reverser ce fond aux associations en faveur de l’insertion des personnes handicapées dans le monde professionnel.

 

Une méconnaissance généralisée du handicap

 

En 2012, un sondage de l’Agefiph révélait par exemple que 88 % des salariés considéraient un salarié handicapé comme une personne en fauteuil roulant, alors que le fauteuil roulant ne concerne en fait que 2% des cas. Et les têtes pensantes de ces entreprises ne sont pas épargnées par cette méconnaissance en matière de handicap.

 

Au delà des discours prônant l’ouverture et la diversité, François-Noël Tissot, regrette que les mentalités peinent à évoluer au sommet de certains groupes. Pour le responsable de la commission handicap à l’Association nationale des directeurs des ressources humaines de France (ANDRH): “Beaucoup de responsables d’entreprises, notamment dans les secteurs de la communication et de la vente sont encore, plus ou moins inconsciemment, dans l’idée que les clients n’aiment pas être reçus, ou recevoir de conseils de la part de personnes qui soient en situation de handicap.”

 

Karim Bakgdi, 37 ans, est un bon exemple de cette discrimination à l’embauche. En fauteuil roulant depuis toujours à cause d’une malformation à la colonne vertébrale, il raconter avoir fait l’effort de chercher du travail en milieu ordinaire mais garde un très mauvais souvenir des deux seuls entretiens d’embauche qu’il a passé. D’après lui dès le début de l’entretien, quand le recruteur aurait découvert son handicap, celui-ci aurait mis un terme à l’entretien, prétextant avoir déjà trouvé quelqu’un. Karim est désormais standardiste bénévole à l’Association des paralysés de France. Amer, il raconte: Quand il m’a vu arriver il m’a dit “bon c’est bon j’ai trouvé quelqu’un d’autre, c’est pas la peine. Dans sa tête il avait pris sa décision qu’il ne me prenait pas”.

 

Alors pour palier à cette méconnaissance du handicap, de plus en plus de sociétés font appel à des sociétés privées comme Atalan pour sensibiliser leurs employés à l’intégration des salariés handicapés. Pour Gérard Lefranc, responsable de la “Mission Handicap” du groupe Thalès, il faut miser sur la sensibilisation, “il faut donner un niveau de culture commune à l’entreprise, tout particulièrement au handicap psychique parce qu’il est invisible contrairement au handicap moteur.

 

Emmanuelle Fillion, enseignante chercheuse en sociologie à l’Ecole des hautes études en santé publique, insiste également: “Le handicap psychique est difficile à gérer en terme d’aménagements car ils sont immatériels: les aménagements d’horaires par exemple. L’insertion des handicapés fonctionne quand toute l’équipe de l’entreprise a été concernée.”

 

Retrouver du travail après la découverte du handicap

 

Le handicap peut apparaître dès la naissance ou survenir plus tard dans la vie. C’est ce qui est arrivé à Stella Orth, 37 ans. Les premiers signes de sa maladie ce sont déclenchés quand elle avait la vingtaine. A cette époque, elle travaille en alternance dans un service administratif de l’Education nationale. Après un séjour en hôpital psychiatrique, le diagnostic est finalement prononcé en 2007 : Stella est schizophrène. Quand son supérieur l’apprend, il met fin à son contrat.

 

 

Pendant cinq ans, Stella alterne les petits boulots tout en touchant l’allocation adultes handicapés (AAH). En 2012, elle reçoit l’aide de plusieurs associations spécialisées dans l’insertion professionnelle des handicapés psychiques. Elle apprend à redevenir indépendante et autonome avant d’être dirigée vers le secteur de travail protégé. Un secteur médico-social réservé aux personnes en situation de handicap. Il a fallu du temps à Stella pour accepter son statut de travailleur handicapé. “Au début, on ne se considère pas comme différent. On s’est connu de façon normale, donc on pense qu’on n’est pas malade. Pour accepter sa maladie au travail il faut s’adapter. En prenant beaucoup de notes et en travaillant chez soi par exemple”, confie-t-elle.

 

En 2013, Stella devient standardiste au Centre être et handicap de Siemens. Cette expérience l’aide à gagner en compétences et à reprendre confiance en elle. Près de trois ans et demi plus tard, elle décide de voler de ses propres ailes et de retrouver un emploi en milieu ordinaire. Dès les premiers entretiens, Stella se rend compte que son expérience dans le secteur protégé “effraie les recruteurs”. Elle décide alors de modifier son approche.“Je me suis présentée comme quelqu’un de normal. Après tout c’est ce que je suis depuis la stabilisation de ma maladie il y a quatre ans”, explique-t-elle.

 

Aujourd’hui, Stella est assistante de direction chez un prestataire de services en région parisienne. Dans son entreprise, seul le chargé de recrutement est au courant de son handicap. “Je ne cherche pas à le cacher mais à me consacrer à ma guérison totale. Aujourd’hui je me sens normale, je me sens dans la foule. Je rêve que mon handicap ne soit plus qu’un souvenir”, déclare Stella.

 

Mais le bilan n’est pas tout noir. L’augmentation du nombre de chômeurs handicapés suggère aussi que la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé progresse. L’Association des Paralysés de France a récemment salué certaines mesures prises sous le quinquennat Hollande, comme la mise en œuvre du Compte personnel de formation qui constitue une « amorce vers une meilleure prise en compte des besoins d’accompagnement vers l’emploi » des personnes handicapées. Reste à savoir quel impact aura la nomination de Sophie Cluzel au secrétariat d’Etat au handicap dans le nouveau gouvernement Philippe.

 

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