Dans les enclos des animaux sauvages, du bien-être et du business

Noémie Gobron et Domitille Lehman

Dans les enclos des animaux sauvages, du bien-être et du business

Dans les enclos des animaux sauvages, du bien-être et du business

Noémie Gobron et Domitille Lehman
Photos : Noémie Gobron
30 mai 2018

Traditionnellement, ils cherchaient à divertir. Aujourd’hui, les zoos endossent le rôle de protecteur de la biodiversité. Leur fréquentation ne cesse d’augmenter, alors que la contestation des associations de défense animale s’intensifie. Et si derrière le bien-être des espèces sauvages en captivité se cachait un business lucratif ?IMG_4565

“Le prix de votre ticket, c’est celui de ma liberté”, peut-on lire à côté d’une photographie de dauphins au milieu d’un océan. Les affiches de l’association Les Sans Voix Paca veulent frapper les esprits. Une nouvelle fois, le parc aquatique d’Antibes, Marineland, fait l’objet d’une mobilisation pour la fermeture des delphinariums. Ce 13 mai, une centaine de personnes se sont réunies pour manifester devant ce parc à l’appel du mouvement “Empty the tanks” [“vider les bassins”]. Pour Sandra Guyomard, présidente de l’association Réseaux Cétacés, “ce parc est totalement dans le show, il y a peu d’informations pédagogiques sur les animaux dans les delphinariums ou les cirques. Il y a de la musique, des applaudissements, on n’est pas du tout dans la philanthropie.”

En France, entre 60 000 et 100 000 animaux sauvages vivent en captivité dans des zoos, des cirques, et des parcs animaliers. Avec quelque 20 millions de visiteurs en 2016, la fréquentation des zoos augmente légèrement depuis 2010. Une hausse notamment due à la présence d’animaux rares, érigés en objets marketing. Au risque de les faire souffrir ? « Par exemple, exhiber la naissance de pandas qui ne seront jamais remis en liberté n’a aucun intérêt pour la préservation de l’espèce », s’indigne la Fondation Droit animal. Pourtant, la naissance du panda Yuan Meng au zoo de Beauval, l’année dernière, a fait venir 100 000 visiteurs de plus que les années précédentes.

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Le zoo de La Flèche dans la Sarthe propose quant à lui des nuits insolites au plus près des animaux, dans des « Safari Lodge », avec baies vitrées et vue sur les animaux sauvages. Une particularité lucrative : pour le Bali Lodge, il faut débourser 459,76€ pour passer une nuit avec des tigres blancs. Un coût qui ne rebute pas les clients, car il est impossible de réserver avant… janvier 2019.

IMG_5166Le tigre fait-il ici l’objet d’une simple attraction ? « Dans un zoo, l’animal est transformé en produit de consommation, et ça pose un vrai problème éthique parce que veut-on voir l’animal en tant qu’être sensible et respectable, ou veut-on le voir en tant que produit de consommation en mettant l’homme en haut de la pyramide ?, questionne Franck Schrafstetter, président de l’association Code animal. C’est une espèce, la nôtre, qui s’accorde le droit de disposer d’une autre espèce pour se divertir. L’animal n’est jamais mis au repos, on lui interdit sa distance de fuite. On voit que l’animal est uniquement un produit de consommation.»

Cette situation pose la question du bien-être de l’animal. Antoine Macquet, soigneur animalier à Thoiry (Yvelines) admet que « la captivité constitue quand même une contrainte de taille pour les animaux. Ils sont nés en captivité et n’ont connu que ça ». Il explique cependant que le bien-être de l’animal est “la priorité des soigneurs”. Pour autant, il n’est pas rare de voir des fauves haleter ou faire les mille pas dans leur enclos. Selon Sonia Chlebos, ancienne soigneuse animalière au Parc des Félins, en région parisienne, « des études sont en cours pour comprendre ce qui déclenche ce phénomène et comment y pallier ». Catherine Blois-Heulin, responsable du master d’éthologie à l’université Rennes-1, avance une explication à ces troubles comportementaux : «  Leur environnement est trop pauvre, il n’y a pas assez de recherche de nourriture, les animaux qui sont sociaux y sont élevés seuls, et l’animal a des difficultés pour se soustraire aux regards des visiteurs ».

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Pour éviter ces comportements, la ménagerie du Jardin des Plantes, à Paris, comme de très nombreux parcs animaliers, propose des enrichissements. « Ici, les soigneurs mettent dans les enclos des choses qui vont permettre à l’animal d’être occupé toute la journée. Par exemple, chez les orangs-outans, ils leur ont mis des cagettes en plastique avec des trous et ils doivent tirer une plaquette pour faire descendre la gourmandise », raconte Françoise Lenoir, présidente de la Société d’encouragement pour la conservation des animaux sauvages (SECAS) du Jardin des Plantes. Mais, pour Franck Schrafstetter, si les zoos « sont obligés de faire de l’enrichissement des milieux, c’est qu’il y a un problème, que le milieu est trop pauvre, et qu’on est déjà dans le mauvais traitement. » Il ajoute : « Dans le code rural, il est dit que l’animal doit être détenu dans des conditions compatibles avec sa physiologique, sauf qu’on ne détermine pas quelles sont-elles. Par exemple, un éléphant devrait au moins être dans un groupe matriarcal de douze individus, il devrait pouvoir marcher au moins 17 km par jour, et c’est impossible dans les zoos. » Tiphaine de la Rivière, attachée de presse du zoo-safari de Thoiry,  reconnaît que les conditions dans les zoos ne sont pas les mêmes que dans la nature, mais elle explique que les soigneurs du parc « aménagent l’espace en fonction des besoins de l’animal. Par exemple, les antilopes sont en quasi liberté dans le safari, elles peuvent marcher, courir et s’isoler. »

Un sondage Ifop réalisé en février 2018 pour la Fondation 30 Millions d’amis montre d’ailleurs la préoccupation des Français pour le bien-être animal. 67% des personnes interrogées considèrent que les animaux sont mal défendus par les politiques. 66% ont le sentiment que les peines prononcées pour mauvais traitements, abandons, sévices graves ou atteintes à la vie ou à l’intégrité de l’animal ne sont pas suffisamment appliquées. Ces chiffres prouvent que les Français se montrent plus concernés par la cause animale.

Face aux critiques, les parcs et zoos mettent en avant leurs actions in situ, tels que les financements accordés à leurs homologues locaux. «IMG_4484 Nous soutenons des associations dans le milieu naturel des animaux, précise Françoise Lenoir. Nous avons une action pour les bonobos en République démocratique du Congo, pour les lémuriens de Madagascar à Madagascar, et pour les girafes du Niger. Nous leur donnons à chacune en moyenne 3000 euros par an.” Car depuis la convention de Washington, en 1973, les zoos doivent agir pour l’éducation, le loisir et la conservation des animaux sauvages. Mais pour Franck Schrafstetter, « l’excuse des enfants qui veulent voir ces animaux, c’est idiot. Mes enfants veulent voir des aborigènes et des indiens d’Amérique, est-ce que pour autant on fait des zoos humains ? Si vraiment les zoos faisaient une action généreuse de sauvetage, qu’est ce qui poserait problème à faire pareil avec les aborigènes ? On va nous dire “Ah mais c’est des hommes”. On voit tout de suite que le problème vient de la différence entre l’homme et l’animal. »

Outre ces donations annuelles, les zoos appartiennent à des programmes européens ou internationaux de conservation in situ des espèces, tels que les Programmes d’élevages européens (EPP). Les animaux captifs deviennent alors de véritables ambassadeurs de leur espèce. Ils permettent également de sensibiliser le public à des problèmes environnementaux de plus grande envergure, tels que le braconnage ou la déforestation. Mais leur efficacité est limitée. Les échanges de spécimens entre zoos doivent respecter un certain brassage génétique pour éviter la consanguinité, au risque de devoir éteindre une lignée surreprésentée. C’est pourquoi certains zoos ont décidé d’effectuer des contrôles à la naissance. En 2014, le zoo de Copenhague a fait l’objet d’une vive polémique, après avoir euthanasié un girafon d’un an et demi, qui ne présentait pourtant aucune anomalie. Mais, il ne possédait pas un patrimoine génétique assez original. L’Association européenne des zoos et aquariums (EAZA) s’était alors défendue : “Les zoos de nos programmes ne peuvent pas garder les animaux qui ne contribueront pas à la survie de l’espèce.”  Pourtant, la solution de la contraception existe. A la ménagerie du Jardin des Plantes, pour éviter ces problèmes de surpopulation ou de consanguinité, les femelles se sont vu poser des implants contraceptifs.

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Autre enjeu de ces programmes : la réintroduction des animaux sauvages dans leur milieu naturel. “ Thoiry participe à un programme en Europe pour les bisons, et tous les deux ans, on fait de la réintroduction de bisons en Roumanie. Aussi, on a réintroduit 75 000 petits escargots dans leur milieu naturel dans les îles ”, raconte Tiphaine de la Rivière.

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Mais les réintroductions restent très rares, à cause de l’état actuel de la planète et des activités humaines qui lui sont défavorables. « Les gens qui me disent que les animaux seraient plus heureux dans leur milieu naturel, je leur demande s’ils pensent vraiment qu’aujourd’hui, on pourrait garantir survie et bien-être au tigre de Malaisie que l’on réintroduirait dans son milieu naturel, tout en sachant que le braconnage et la déforestation y sont légion », précise Sonia Chlebos.

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