Les oubliées de la rue

D’après le Samusocial, plus de 20% des sans-abri vivant à Paris sont des femmes. De l’étudiante en philosophie à l’institutrice mère de famille, les chemins qui les ont menées vers la rue sont divers.

Je suis bretonne et scorpion “, martèle fièrement Catherine, 55 ans, arrivée il y a quatre mois à la Cité des Dames. Sa teinture de jais contraste avec le rose de ses ongles et de sa doudoune. Ses bagues et ses boucles d’oreille argentés font ressortir sa peau mate. “Je travaillais dans l’hôtellerie et je m’y connais très bien en oenologie. Je sais reconnaître les vins et le cognac, et leurs années”.  

Cette quinquagénaire est dans la rue depuis sa sortie de prison, il y a presque un an. Après trente ans de mariage et deux enfants, Catherine est retournée vivre chez sa mère à Antony, dans les Hauts-de-Seine. “Elle a Alzheimer. Elle est tombée dans les escaliers et on m’a accusé de la taper. J’ai pris six mois de prison”, tente de justifier Catherine. À sa sortie, elle avait écopé d’une mesure d’éloignement de sa mère pendant trois ans et ne touchait plus le RSA car elle n’avait pas pu renouveler sa demande en prison. “Je suis courageuse”, affirme Catherine, qui raconte avoir perdu un bébé quatre jours après sa naissance. “Mais là j’en peux plus. ça va faire cinq jours que je n’ai pas de nouvelles de mon chéri. Il a disparu. “ Depuis plusieurs mois, Catherine partageait sa vie avec Steven, 32 ans, lui aussi sans domicile. “Il lui est arrivé quelque chose mais je ne sais pas quoi. C’est sûr qu’il m’aime, il ne m’aurait pas laissé. Je suis au bord du suicide mais heureusement je suis chrétienne.”

Devant le bâtiment, la frêle et pâle Léa fait peigner ses longs cheveux bruns par une copine. La jeune femme de 23 ans s’est retrouvée à la rue il y a deux semaines après avoir quitté son compagnon violent. “Le mot pervers narcissique est galvaudé mais je pense que c’en était un. Il me rabaissait tous les jours et voulait tout contrôler. Je voulais reprendre mes études. Il voulait que je travaille. Il m’a éloigné de ma famille et de mes amis.”, raconte Léa, qui révèle par ailleurs avoir subi un viol dans son adolescence. Originaire d’Auxerre, elle a déménagé à Paris après son bac pour étudier la philosophie à l’université de Tolbiac. L’ex-étudiante détentrice d’une licence rêvait également de se lancer dans la musique, sa passion. Léa renoue peu à peu avec sa mère mais refuse encore que celle-ci lui vienne en aide financièrement.

 

 

Un camouflage de protection

 

Les derniers chiffres de l’Observatoire du Samusocial indiquent que 5391 femmes ont composé  le 115 au moins une fois en 2016, soit 23% du total d’appels. Lors de la “Nuit de la solidarité” -grande maraude organisée par la mairie de Paris en février dernier- 10% de femmes sur 3622 personnes sans-abri ont été recensés. Si les femmes comptées sont moins nombreuses lors du recensement physique, c’est qu’elles développent différentes stratégies pour se rendre invisibles.

Un mot revient systématiquement dans la bouche des travailleurs sociaux et des membres d’associations : les femmes sans-abri sont des “proies”. D’après Mathieu Darnault, 95% des femmes qui fréquentent la Cité des Dames ont subi des violences conjugales, dans la rue ou pendant leur parcours migratoire et une grande majorité d’entre elles, des violences sexuelles. Ici on est plus tranquille car on est entre femmes mais quand il y a des hommes c’est beaucoup plus dangereux. On est violentée, harcelée, violée” confesse Mounia, 36 ans. Karine Boinot, psychologue clinicienne au CHU de Nantes qui travaille avec les femmes sans domicile, révèle avoir rencontré de nombreux cas de grossesses issues de viol chez les femmes non-domiciliées.

Sur la place de la République, tous les mardi à 20h, se déroule une grande distribution de repas à destination des sans-abris. Dans la foule, à peine une dizaine de femmes. Elles cachent leur visage sous des couches de vêtements et des capuches. Leur assiette à la main, elles s’écartent de la soupe populaire pour se rapprocher des animations, avant de s’empresser de partir, méfiantes. “Il y a des soirs où on ne voit pas du tout de femmes. Elles essayent de se rendre le moins visibles possibles, surtout dans les lieux où il y a beaucoup d’hommes”, explique Célia Allard, maraudeuse de La Croix- Rouge française.

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Une autre façon de se camoufler est de dissimuler sa situation. Comme Catherine et Léa, la plupart des femmes de la Cité des dames sont soignées sinon coquettes. Beaucoup sont maquillées, portent des bijoux, assortissent leurs vêtements. Des séances de tressage s’organisent entre les femmes d’origine africaine. “Bien habillées, elles passent inaperçues. Elle se fondent dans la masse. Avec leurs valises, on dirait des voyageuses”, explique Mathieu Darnault, coordinateur de la Cité des dames.

Les femmes développent d’autres techniques de protection : passer la nuit dans les gares, les stations de métro et surtout les aéroports où elles passent inaperçues, dormir le jour dans des lieux de passage et se déplacer dans les bus de nuit, simuler une relation de couple, trouver un compagnon, se cacher entre deux voitures dans des parkings ou derrière des poubelles…

 

Des histoires de violence

 

Chaque cas de femme sans-abri est singulier mais on retrouve de façon très récurrente des carences affectives pendant l’enfance et des violences intrafamiliales ”, explique Karine Boinot.

Un accident de parcours comme un licenciement ou une séparation ou un évènement violent sont souvent le point de bascule qui mène à la rue des femmes déjà fragilisées par un passif difficile et un milieu familial éclaté.

Je suis partie parce que c’était trop. Mon mec me battait, confie Mounia. J’ai choisi un homme brutal comme mon père. J’ai fait comme ma maman”. Un sourire timide ou des larmes ponctuent le récit de la femme aux cheveux bouclés. Depuis ses vingt-sept ans, moment où elle rencontre son ex-compagnon, Mounia s’est retrouvée plusieurs fois à la rue. “Ma mère a une maladie mentale et je n’ai plus de lien avec mon frère qui habite dans le 16e arrondissement” raconte-t-elle. Comme Catherine, Mounia est sortie de prison il y a trois mois sans logement ni RSA. Elle y est restée six mois pour violence contre une policière. “ Je dormais dans un hall d’immeuble et elle m’a soulevée par le col en me criant dessus pour que je me réveille. Elle ne voulait pas que je sois là. J’ai pris peur donc je l’ai frappée pour me défendre. ”

La non-domiciliation des femmes étrangères s’explique plutôt par une migration en urgence et une situation irrégulière. Mariama a quitté le Sénégal à cause de “problèmes familiaux”.  “J’ai voulu disparaître quelques temps pour me faire oublier” précise la quinquagénaire.

 

Les stigmates laissés par la survie

 

Les troubles psychologiques ou psychiatriques plus graves se développent souvent une fois qu’on est dans la rue. Bien sûr, à cause de fermetures de lits d’hôpitaux, il y une errance de personnes atteintes de maladie psychiatrique mais les troubles apparaissent principalement à cause de la violence et des conditions de survie. Les produits et l’alcool peuvent les majorer. Certains troubles ne seraient pas advenus chez des personnes avec une fragilité si le cadre affectif et matériel avait été apaisé” , précise Karine Boinot.

Selon la psychologue, les femmes développent une honte et perdent l’estime d’elles-même. “ Je peux pas demander de l’argent. J’ai peur que les gens aient pitié, qu’ils me prennent pour une clocharde. Los clopes, je peux. Tout le monde demande des clopes dans la rue ”, raconte Catherine.

Les enfants de Catherine connaissent sa situation. Ce n’est pas le cas des fils de Mariama, restés au Sénégal. L’un est journaliste et l’autre avocat. “Si je leur dis, je vais souffrir. Je ne veux pas les mêler à ça. Je vais leur causer du tort pour rien et les angoisser”, déclare cette ancienne institutrice. Avant de quitter le Sénégal, elle travaillait dans l’administration du prestigieux lycée pour filles Mariama-Bâ. “Ici, certains travailleurs sociaux ne nous respectent pas toujours et on est obligés de supporter ça. Ils croient qu’on ne connaît rien, qu’on n’a pas de manières. ”

L’estime de soi est affectée à cause du sentiment d’échec mais également d’un rapport au corps très compliqué, qui s’explique parfois par une prostitution contrainte. Les femmes sans-abri développent également une méfiance durable ”, précise Karine Boinot. Placée par le Samusocial dans un hôtel, Mounia s’est fait harceler par le gérant. “Maintenant je suis agressive d’emblée avec les hommes”, affirme-t-elle.

Les traces laissées par l’instabilité et le sentiment d’insécurité mettent du temps à s’effacer mais ne sont pas irréversibles. Plus on attend et plus c’est compliqué d’accéder à une résilience. Les femmes à la rue jeunes ont plus de risques de développer des troubles graves”, précise la psychologue clinicienne.

Elle estime qu’un accompagnement psychologique n’est possible que lorsque la situation d’une personne est stabilisée et non pas dans la phase de mise à l’abri. Les personnes atteintes de troubles psychiatriques sérieux sont mal suivies et placées dans de simples espaces d’hébergement, alors qu’elles devraient être hospitalisées.

D’après Mathieu Darnault, quasiment toutes les femmes du centre d’hébergement sont en état dépressif. “Lorsque quelqu’un est déprimé et saoul, il peut avoir un comportement qui laisse penser qu’il est fou alors qu’il s’agit d’un moment d’égarement.” Mounia et Catherine se disent profondément affectées par le mal-être et la situation des autres résidentes et confient avoir besoin de boire régulièrement pour oublier et dormir. Mariama et Fanny, ex-étudiante en psychologie venue du Gabon, s’efforcent de garder une routine. La première veille à ne pas manquer les séances de prière organisées dans le centre d’accueil de jour Halte aux femmes, dans le 12eme arrondissement. Quant à Fanny, elle se rend régulièrement à la bibliothèque, où elle étudie le droit administratif et juridique. “Il faut bien avoir les outils pour changer les choses et se défendre légalement.”  

 

Des mesures d’urgence pointées du doigt

 

Le nombre de femmes à la rue augmente drastiquement depuis une dizaine d’années. Selon Mathieu Darnault, l’arrivée de migrants explique en partie cette augmentation, mais c’est surtout la hausse de la précarité cumulée à la montée des prix de l’immobilier à Paris qui rend l’accès au logement de plus en plus difficile. “ Les critères pour obtenir un logement à Paris sont de plus en plus durs. C’est quasiment impossible quand on a un CDD, un temps partiel ou qu’on gagne le smic.

Fanny, gabonaise de 28 ans, est venue en France pour étudier la psychologie après son baccalauréat. Comme beaucoup d’étudiants étrangers non-européens, elle n’est pas éligible aux bourses du CROUS, ni prioritaire pour obtenir un logement étudiant. Sans garant pour un logement privé, elle est passée de colocation en colocation, parfois non-déclarées. Cette instabilité et son emploi à mi-temps pour payer ses études occupaient une place trop importante dans sa vie. Malgré l’obtention de sa licence, elle n’a pas pu poursuivre ses études en master. Deux redoublements ont conduit au non-renouvellement de son titre de séjour. “ En France, on a les moyens d’éradiquer l’exclusion du logement, d’intégrer les gens et de leur redonner la possibilité de redevenir autonomes. Les hébergements d’urgence sont un cache-misère. ”

Une enquête sur le droit au logement en France, mené par la rapporteuse de l’ONU Leilani Farha, met en cause les manquements du système français pour l’accès au logement. Dans le Monde, elle affirme que 40 % des appels n’aboutissent pas et que les centres d’hébergement sont saturés”. Alors que la plupart des séjours dans un centre d’hébergement ne durent que quelques jours -quatre à la Cité de dames- , les résidentes doivent appeler le 115 plusieurs fois par semaine. Il n’est pas rare qu’elles attendent des heures avant de pouvoir parler à un interlocuteur, sans aucune garantie d’avoir un lieu où dormir le soir.

Sur 20 000 places d’hébergement pour les personnes sans-domicile à Paris, 140 sont disponibles dans des centres réservés aux femmes seules. La Cité des dames est l’un de ces trois espaces. Il propose cinquante places d’hébergement par nuit : vingt-cinq sur des couchettes pour les femmes les plus vulnérables, le reste sur les canapés individuels de la salle d’accueil de jour. Il est le seul à proposer des consultations médicales et psychologiques. Le centre a ouvert en décembre 2018, comme celui de la mairie du 5ème arrondissement (15 places) et la Halte pour les femmes à l’Hôtel de ville (75 places).

Mounia réside depuis deux mois à la Cité des dames. Elle est l’une de rares à bénéficier d’un séjour plus long. “ Dès son arrivée, Mounia s’est lancée dans des démarches pour trouver un logement. On a fait une demande au Samusocial pour lui donner une stabilité qui lui permet de les poursuivre plus tranquillement”, explique Mathieu Darnault.

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Malgré l’incertitude, beaucoup continuent de se projeter. “ Si un jour je deviens PDG d’une grande entreprise, je raconterais mon histoire “, plaisante Fanny. De son côté, Mounia envisage de faire une formation pour devenir hôtesse d’accueil. Je ne pensais pas tomber aussi bas mais je ne me fais pas de souci. Je sais que je vais m’en sortir.

 

Eva Mbengue et Antonella Francini

L’hygiène : un combat de plus pour les femmes SDF

 

Souvent victimes d’agressions sexuelles, les femmes sans-abri fuient les lieux mixtes. Selon le Samusocial de Paris, seuls 10 % des usagers dans les bains-douches sont des femmes. Pour répondre à ce problème, le premier centre d’hygiène uniquement réservée aux femmes a ouvert rue de Charenton dans le 12eme arrondissement de Paris en mars 2019. Cet espace cherche à répondre aux besoins spécifiques d’hygiène féminine. Le lieu dispose de plusieurs douches, d’une bagagerie, d’un espace épilation et coiffure. Il est aussi doté d’un dispositif d’aide sociale et médico-psychologique. Les femmes peuvent y consulter des spécialistes comme un gynécologue. Des protections pour les menstruations y sont mises à dispositions.

Dans la rue, les règles sont un problème de plus à gérer pour les femmes. À l’automne 2018, Axelle de Sousa -une jeune femme sans domicile- lance une pétition pour que les protections hygiéniques soient remboursées par la Sécurité sociale, afin que le personnes en grande précarité puissent y avoir accès.

 

Eva Mbengue et Antonella Francini

L’église suédoise de Paris vient en aide aux migrants afghans

L’église suédoise de Paris accueille des migrants afghans déboutés du droit d’asile en Suède. C’est toute une communauté qui aide ces jeunes qui cherchent en France une seconde chance d’obtenir le statut de réfugié.

Église suédoise de Paris
Les paroissiens de l’église suédoise de Paris donnent des cours de français aux migrants afghans © Zina Desmazes

Assis sur une chaise bleue au milieu de la cour pavée, Nesar est souriant. Depuis trois mois, il est officiellement réfugié en France. Dans l’enceinte de l’église suédoise de Paris, ce jeune afghan de 25 ans vient déjeuner avec d’autres compatriotes. Ils sont entre 20 et 30 jeunes à venir chaque jour dans cette église aux murs de briques.

Ces jeunes migrants viennent tous de Suède, où ils ont été déboutés du droit d’asile. Ce pays scandinave a donné la priorité aux Syriens, arrivés pendant la grande vague migratoire de 2015, pour l’obtention du statut de réfugié.

Quelques mois plus tard, les réactions hostiles aux migrants sont apparues et se sont accrues. Le gouvernement conservateur suédois a fini par refuser les demandes d’asile des mineurs isolés afghans devenus majeurs.

Face à ces refus, plusieurs ont fait le choix de venir en France. C’est le cas de Nesar, arrivé à Paris en août 2017. « Je suis resté deux ans en Suède et ça a été très dur de décider de venir en France, mais ma demande d’asile a été refusé trois fois en Suède, c’est le maximum, » explique le jeune homme à la coiffure très soignée avec des mèches blonde sur les longueurs.

J’ai vu passé plus de 300 jeunes depuis un an

Pendant près de 9 mois, la Suédoise Sara Brachet a été employée par la paroisse pour aider les migrants afghans. Aujourd’hui simple bénévole, elle est toujours très impliquée.

Tout à commencé lorsqu’une amie d’enfance l’a contactée : « Elle travaille pour un organisme qui s’occupe des mineurs isolés en Suède et elle m’a demander d’aider un jeune homme qui arrivait à Paris, raconte-t-elle. C’est là que j’ai appris que l’église suédoise accueillait les migrants dans la journée. »

A l’église, tout se passe en suédois. Grâce à un français parfait, elle aide les jeunes afghans en traduisant des documents administratifs ou en donnant des cours de français. Depuis octobre 2017, Sara Brachet a tissé des liens avec certains des jeunes qui comptent sur elle. Mais difficile de rester en contact avec tous : « J’ai vu passer plus de 300 jeunes depuis un an donc je ne sais pas tous ce qu’ils deviennent. Certains viennent régulièrement et d’autres viennent pendant une semaine ou quelques mois seulement. »

L’église suédoise, plus qu’un lieu de rencontre

Le lieu est lumineux et très chaleureux. Les murs clairs côtoient le mobilier en bois, dans la pièce principale tout le monde se retrouve pour discuter, manger des sandwiches ou boire un café.

Ce point de rendez-vous pour les migrants venus de Suède est un repère pour ces jeunes qui ne parlent ni français ni anglais. Sans papiers, ils ne peuvent pas avoir de compte en banque ni recevoir de l’argent. Certains étaient logés par des familles d’accueil en Suède, « certains reçoivent de l’argent de ces familles et grâce à l’église ils ont une adresse de référence, » précise Sara Brachet, installée depuis 30 ans à Paris.

Principalement afghans, les migrants sont en majorité musulmans mais certains font le choix de se convertir au christianisme. « Nous avons organisé plusieurs baptêmes dans l’église, des cours de religion sont également dispensés pour ceux qui veulent se convertir. » Pour Sara Brachet, il est important d’inclure les migrants aux paroissiens pour que la cohabitation se passe au mieux : « Tout se passe bien, certains s’impliquent pour aider les garçons mais il était crucial que leur venue ne soit pas brutale et bien vécue par les habitué de l’église. »

L’église suédoise de Paris offre un accueil exclusivement de jour, la nuit les nouveaux arrivés dorment souvent dehors. « Le plus difficile à Paris c’est le logement, en ce moment je dors chez l’habitant grâce à une association mais je change de famille tous les mois, » raconte le jeune homme.

 

Aujourd’hui Nesar est heureux parce qu’il a trouvé un travail, non sans difficultés : « C’est très dur de trouver du travail parce que je ne parle pas bien français et je n’ai pas de diplôme. » A partir de la semaine prochaine, il sera vendeur dans une grande marque de prêt-à-porter.

Parti d’Afghanistan en 2010, Nesar a obtenu un parti de séjour de 10 ans en France. Il peut enfin travailler alors que le reste de sa famille est en Iran : « Je n’ai pas voulu rester en Iran parce que là-bas les afghans sont renvoyés dans leur pays s’ils sont arrêtés ou envoyé en Syrie pour combattre. »

Zina Desmazes

 

 

Pour les femmes, la pilule ne passe plus

Depuis 2012, 1,5 million de femmes en France ont arrêté de prendre ce contraceptif, selon l’Agence national de Santé. Scandale de la pilule 3ème génération, phobie des hormones, volonté de retour au naturel… la méfiance grandit autour de ce petit cachet, autrefois considéré comme un symbole de libération sexuelle pour les femmes. Enquête sur le désamour des Françaises pour la pilule.

Chaque jour, ce sont plus de 59.000 boîtes de pilules qui sont vendues et utilisées par les Françaises.
Chaque jour, ce sont plus de 59.000 boîtes de pilules qui sont vendues et utilisées par les Françaises.

« La meilleure contraception, c’est celle que l’on choisit ! », peut-on lire sur les prospectus rose bonbon disposés en cercle sur la table basse du Centre de Planification et d’Éducation familiale de la Goutte d’Or, un quartier populaire de Paris. Chaque jour, cet établissement accueille en moyenne une dizaine de femmes. La plupart sont mineures et dans une situation précaire. Ici, elles sont reçues en consultations ou pour trouver une méthode de contraception adéquate. Beaucoup s’y rendent également pour entamer les démarches pour une interruption volontaire de grossesse. Alors, quand Catherine Jouannet entend qu’il existe un « désamour » des femmes pour la pilule, cette sage-femme débordante d’énergie aux cheveux bouclés et grisonnants ne peut s’empêcher de faire la grimace. « Désamour, je n’aime pas tellement ce mot. Même s’il est vrai que les prescriptions de pilule ont diminué ces dernières années », lâche-t-elle avec regret.

En 2010, 50 % des Françaises avaient recours la pilule. Elles ne sont plus que 41% en 2013, selon l’enquête Fécond de l’Institut National d’études démographiques. 2013, une année marquée par le scandale provoqué par la pilule 3ème génération. En décembre 2012, Marion Larat, une étudiante bordelaise de 26 ans, porte plainte contre les laboratoires pharmaceutiques Bayer et contre les autorités sanitaires françaises. Six ans plus tôt, la jeune femme avait fait un AVC qui l’avait laissé paralysée à 65 %. Elle liait alors son accident à sa contraception. La commission régionale de conciliation et d’indemnisation (CRCI) des accidents médicaux de la région Aquitaine lui donne raison et impute son AVC à la pilule Méliane, commercialisée par le laboratoire allemand Bayer. Plus d’une centaine de plaintes de femmes victimes d’embolie, d’AVC ou de thrombose suivront. Utilisées par 4,7 millions de femmes en France, la pilule provoquerait 20 décès prématurés et 2.500 accidents similaires par an, selon un rapport diffusé par l’Agence du médicament, en mars 2013.

Crise de confiance

Les quelques cas médiatisés poussent alors certaines femmes à rejeter ce moyen de contraception, y compris les pilules de première et deuxième génération. Maëlle Lafond, journaliste de 24 ans, a arrêté sa pilule il y a deux ans. « Je ne supportais les effets secondaires, et j’ai perdu ma mère qui est décédée d’un cancer du sein ».  D’après une étude élaborée par des chercheurs écossais, la pilule augmenterait en effet les cancers du sein de 20%. « On ne m’a jamais prescrit un seul bilan sanguin pour ma pilule. Or, dans mon cas, une contraception hormonale est déconseillée puisque j’ai des antécédents familiaux de cancer ! », s’insurge Maëlle. Sur le site du ministère de la Santé, il est en effet indiqué que la pilule hormonale est « contre-indiquée  chez les femmes ayant une prédisposition héréditaire de cancer du sein, de thrombose veineuse ou artérielle et d’AVC ». Une évidence pour Agnès Pavard, gynécologue à Marignane (Bouches-du-Rhône), qui s’attache désormais à prévenir les femmes, des risques éventuels liés à la prise de pilule. « Les patientes ont eu très peur. En 2013, on avait l’impression qu’on découvrait qu’il y avait des risques avec la pilule, mais on le savait depuis longtemps déjà. Mais le grand public découvrait ces dangers-là », explique la quinquagénaire, qui reçoit de plus en plus de jeunes femmes cherchant des alternatives. La pilule contient des hormones de synthèse qui peuvent favoriser la formation de caillots dans le sang, pouvant boucher une artère du cou ou du cerveau et provoquer un AVC ou une phlébite. « Aujourd’hui, nous sommes beaucoup plus attentives sur les antécédents familiaux des patientes. En consultation, je prends plus le temps d’expliquer aux patientes les risques éventuels liés à chaque contraceptif. Il y a un vrai travail d’information et de prévention à faire auprès des femmes », ajoute la gynécologue.

« On ne m’a jamais prescrit un seul bilan sanguin pour ma pilule. Or, dans mon cas, une contraception hormonale est déconseillée puisque j’ai des antécédents familiaux de cancer» Maëlle, étudiante de 24 ans

Dans son cabinet cossu, situé dans le XVème arrondissement de Paris, la gynécologue Sadya Aissaoui ne décolère pas contre la presse. « Il y a eu une campagne médiatique d’une violence inouïe contre la pilule. On nous expliquait que c’était mortel et des pilules ont été retirées du marché, comme la Diane 35. On est passé de la ‘’pilule bonbon‘’, que les femmes prenaient sans se poser de questions, à la pilule ‘’danger mortel’’ ». Pourtant, pour ce médecin, la pilule reste un bon moyen de contraception. « Certaines patientes souffrent de problèmes gynécologiques, comme des kystes de l’ovaire ou des règles abondantes et douloureuses. La pilule leur a offert une très bonne qualité de vie ». En effet, la pilule régule les cycles menstruels et réduit les risques de kystes de l’ovaire en bloquant l’ovulation. Pour Alma N, 23 ans, prendre la pilule a été salvateur. La jeune femme raconte avec enthousiasme comment ce comprimé a changé son quotidien. A l’âge de quinze ans, elle commence à prendre la pilule pour apaiser ses règles douloureuses, dues à un dérèglement hormonal qui lui fait enfler les ovaires. L’ovulation engendre, en temps normal, un gonflement des ovaires. Les hormones libérées par la pilule empêchent ce gonflement. Depuis qu’elle prend ce contraceptif, Alma ne ressent plus aucune douleur, ou presque. « Aujourd’hui, je peux vivre normalement. Avant, c’était insupportable, je ne pouvais pas aller en cours pendant mes règles, je prenais de la codéine et je pleurais de douleur », se souvient l’étudiante, l’air grave.

 

« Certaines patientes souffrent de problèmes gynécologiques, comme des kystes de l’ovaire ou des règles abondantes et douloureuses. La pilule leur a offert une très bonne qualité de vie », Sadya Aissaoui, gynécologue

Comme souvent chez les femmes souffrant de kystes ovariens, la pathologie est héréditaire. « Ma grand-mère et ma mère ont vécu un calvaire à cause de cela. Ma grand-mère s’est fait enlever l’utérus après la naissance de ses enfants et ma mère a été malade pendant longtemps. Je suis plutôt chanceuse, en fin de compte », philosophe la jeune femme, désormais en paix avec son corps. « Diaboliser la pilule, ce n’est pas servir les femmes qui vont en bénéficier. Il y a des femmes à qui ça convient très bien et il faut les encourager à la prendre », relativise Alma. Au-delà des questions de santé, la pilule reste un symbole fort d’émancipation pour certaines femmes. L’adoption de la loi Neuwirth autorise la commercialisation de la pilule en 1967 et conforte les slogans féministes de l’époque, « un enfant si je veux, quand je veux ».  « La légalisation de la pilule se produit dans un contexte où l’avortement n’était pas encore légal. C’est un premier pas dans la libération sexuelle des femmes », explique Leslie Fonquerne, sociologue au Laboratoire CERTOP, à l’université de Toulouse.

Une volonté de « retour au naturel »

« Il n’y a pas de contraception miracle », explique Florence Boursier, sage-femme à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône). « Chaque femme a sa contraception, qui a des inconvénients et des avantages. Tant que les avantages sont supérieurs aux inconvénients, c’est une bonne contraception », explique cette professionnelle passionnée.  Certaines femmes ont profité du scandale de la pilule troisième génération pour arrêter la pilule et se tourner vers d’autres alternatives. C’est le cas de Marie HG, mère de famille de 40 ans. « J’avais des sautes d’humeur, des bouffés de chaleur, j’ai pris du poids. Ma libido a disparu, j’étais dans un état dépressif permanent, mes boutons ont réapparu. Rien n’allait depuis que j’étais sous pilule. » L’élégante quadragénaire se tourne alors vers le stérilet au cuivre, mais quelques mois plus tard, ses règles sont devenues plus abondantes et douloureuses. Depuis, cette adepte du bio utilise les méthodes dites « naturelles ». Cette appellation floue regroupe l’abstinence périodique, durant laquelle les femmes n’ont pas de relations sexuelles ; le « retrait », l’homme se retire avant l’éjaculation, ou encore la prise de température, méthode consiste à repérer la période d’ovulation en fonction de la chaleur du corps. Ces méthodes, utilisées avant la commercialisation des différents contraceptifs concernaient 1,2 % des femmes, en 2010, selon une étude de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), publiée en 2016. « C’est un archaïsme total en 2018 », s’insurge Sadya Aissaoui, qui voit de plus en plus de patientes utiliser ces méthodes. « Le retrait, c’est une catastrophe. Avant l’éjaculation, on peut trouver des spermatozoïdes dans le liquide séminal. Dès lors qu’il y a un contact sexuel, elles peuvent tomber enceinte », rappelle-t-elle, l’air sévère. Alma ironise sur cette méthode, qu’utilisait sa mère, «  la méthode du retrait a très bien marché, ça a donné ma sœur ».

Les femmes abandonnent de plus en plus la pilule, au profit du dispositif intra-utérin (DIU) ou stérilet
Les femmes abandonnent de plus en plus la pilule, au profit du dispositif intra-utérin (DIU) ou stérilet

 

« Chaque femme a sa contraception, qui a des inconvénients et des avantages. Tant que les avantages sont supérieurs aux inconvénients, c’est une bonne contraception », Florence Boursier, sage-femme

Les raisons qui poussent les femmes à abandonner la pilule dépassent parfois leur propre bien-être. Certaines sont convaincues que l’arrêt de leur pilule est un geste pour la planète. Pour le docteur Pedro José Maria Simon Castellvi, gynécologue et président de la Fédération internationale des associations de médecins catholiques, « la pilule contraceptive a depuis des années des effets dévastateurs sur l’environnement en relâchant des tonnes d’hormones dans la nature  à travers les urines des femmes.  » D’après une étude britannique, menée par la biologiste britannique, Susan Jobling de l’université Brunel à Londres, et diffusée dans la revue scientifique Environmental Health Perspectives, 20 % des poissons d’eau douce mâles seraient devenus hermaphrodites et se sont mis à pondre des œufs. En cause, les molécules présentes dans les pilules contraceptives qui sont rejetées dans les rivières. Arrêter la pilule, un geste écolo et militant ? C’est en tout cas l’une des raisons pour lesquelles Caroline Baudry, étudiante de 23 ans, a décidé d’abandonner ce contraceptif. « Il paraît que la pilule est vraiment dévastateur pour l’environnement, et je ne voulais pas participer à cette pollution. J’avais également entendu parler des risques d’AVC. Je ne voulais prendre aucun risque », explique la jeune femme, avec conviction.

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Abandonner sa pilule, un problème de riche ?

Au Centre de Planification et d’Education familiale de la Goutte d’Or, Catherine Jouannet voit principalement défiler des mineures, qui souhaitent cacher leur sexualité à leur parents, ou des femmes « vulnérables ». « La majorité ne peuvent pas nécessairement dépenser 20 euros par mois pour leur contraception, parce qu’elles ne sont pas toutes remboursées par la Sécurité sociale. Le coût est un facteur de discussion primordial dans notre centre », explique la sage-femme. Pour Leslie Fonquerne, sociologue au Laboratoire CERTOP de l’université de Toulouse, « pouvoir aller chez le gynécologue et avancer les frais n’est pas donné à tout le monde. » Un problème de coût, mais aussi d’éducation. « Une première consultation chez le gynécologue, pour une contraception, devrait durer une heure. Il faut prendre le temps d’expliquer comment cela fonctionne aux jeunes femmes, ce n’est pas évident pour toutes ! », raconte Marie-Françoise J, sage-femme au Centre de Planification et d’Education familiale de l’Hôpital Cochin-Port royal. Le rejet de la pilule concerne en majorité des femmes diplômées, selon l’étude Fécond, pour l’Ined. « Durant la consultation, il faut pouvoir avoir les armes verbales et les informations pour affronter le médecin en posant des questions. Les femmes ne sont pas toutes capables de remettre en question cette relation de pouvoir qu’il peut y avoir vis-à-vis du médecin », explique Leslie Fonquerne. Des femmes éduquées, mais aussi plus jeunes, « La baisse du recours à la pilule concerne les femmes de tous âges mais elle est particulièrement marquée chez les moins de 30 ans. », peut-on lire dans l’étude Fécond.

 « La légalisation de la pilule est un premier pas dans la libération sexuelle des femmes », Leslie Fonquerne, sociologue

A l’exception du préservatif, les contraceptions pour hommes sont très peu mises en valeur et adoptées. La responsabilité de la contraception repose donc exclusivement sur la femme.  « Avant, la méthode la plus utilisée en France était le retrait, les hommes étaient donc plus impliqués dans la contraception. La pilule a changé les rapports hommes–femmes dans ce domaine-là, elle a féminisé la contraception », explique la sociologue Leslie Fonquerne. Mais la pilule masculine pourrait bientôt devenir réalité. Un premier essai clinique a dévoilé des résultats prometteurs, d’après une étude américaine menée conjointement par le Centre médical de l’Université de Washington et le Centre médical de Harbor-UCLA, à Los Angeles. « Une très bonne idée, pour plus impliquer les hommes sur les problématiques de la contraception », pour Florence Boursier. Cette sage-femme reste pourtant dubitative sur l’éventuel succès de cette pilule masculine.  « En France, la vasectomie (stérilisation chirurgicale) reste taboue. C’est culturel, nous sommes un pays de latins, et l’appareil reproducteur est lié à la virilité. Aux Etats-Unis et dans les pays du Nord, la vasectomie est beaucoup plus répandue. » Aucune date de commercialisation d’une pilule masculine n’a été avancée pour le moment. Aujourd’hui, 4.7 millions de femmes avalent leur comprimé tous les jours, faisant de la pilule la contraception la plus utilisée en France.

                                                                                                                                                 Camille Bichler et Caroline Quevrain

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