Les puciers ou la tentation de la magouille

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Le marché aux Puces ne fait pas vivre que les antiquaires. Autour, c’est toute une économie, parfois souterraine, qui gravite. Les tours opérateurs, les entreprises de FRET mais aussi des petits intermédiaires chargés de guider les touristes fortunés vers certaines échoppes. « Quand j’étais guide pour les visiteurs russes, les marchands m’ont proposé, au noir, 10% de commission sur les ventes si j’emmenais les touristes dans leurs boutique , confie Vladimir T., guide retraité, personne ne dit rien mais tout le monde le sait. C’est une pratique courante », rajoute-t-il. Une entreprise lucrative pour ce Russe qui a pu, par exemple, toucher en une après-midi 5 000 euros sur une vente. Une position privilégiée qui lui permet d’observer les tours de passe-passe de certaines antiquaires. « Une fois, un antiquaire a vendu à mes touristes deux vases du XVIIe XVIIIe qu’il présentait comme unique. Six mois plus tard quand je suis revenu avec un autre groupe, il vendait de nouveau ces deux même vases », sourit-il. Si la contre-façon est chassée sur le marché de la porte de Clignancourt, elle l’est plus difficilement chez les antiquaires. « Ce n’est pas comme pour un sac de marque, les antiquaires ne sont pas contrôlés par les pouvoirs publics », se désole-t-il.

Dorine Goth et Anaïs Robert

La petite entreprise du rap français

Faire de la musique ne leur suffisait pas, les rappeurs français bâtissent leur propre empire. Entre vente de prêt-à-porter, labels musicaux ou encore sponsoring, les artistes se comportent comme de vrais chefs d’entreprise.

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Même en concert le rappeur Booba ne sort jamais sans sa panoplie Ünkut.

« Ma question préférée : Qu’est-ce que je vais faire de tout cet oseille ? » se demande Booba dans sa chanson Kalash. Beaucoup de choses sûrement avec un chiffre d’affaire de dix millions d’euros juste pour sa marque de vêtements Ünkut en 2013. Le rappeur français est le pionnier d’une nouvelle tendance qui a émergé dans le rap français ces dernières années: celle du rappeur-businessman. Pour ces artistes, il est devenu nécessaire, voire indispensable d’élargir leur champ d’activité en investissant dans d’autres domaines que la musique. Comment expliquer cette nouvelle tendance en France ? Pourquoi ces artistes éprouvent-ils le besoin de se transformer en entrepreneur ? Le sociologue Karim Hammou, chargé de recherches au CNRS, spécialisé dans les cultures et sociétés urbaines, et auteur du livre Une histoire du rap en France répond : « C’est lié à la logique de l’auto-production, qui se développe dans les années 1990 dans le rap français et impose une diversification des artistes pour investir la production, la promotion, voire la distribution. Des contraintes qui les oblige à diversifier aussi leurs sources de revenu ». Ainsi, ils s’inspirent du modèle américain où rappeurs et hommes d’affaires sont une seule et même personne. « Les carrières dans l’industrie musicale sont en général courtes, et la question de la diversification des activités se pose très vite pour les artistes » explique Karim Hammou.

Le plus souvent la première étape est le prêt-à-porter. « La vente de t-shirt est très rentable, à la fois parce qu’ils sont peu coûteux à produire, faciles à distribuer et c’est également une source de promotion efficace » affirme Karim Hammou.Dès le début des années 2000, le rap français envahit le « streetwear ». Cette mode importée des Etats-Unis qui allie à la fois des vêtements larges propres au hip-hop américain à un style européen plus classique et sobre. Ainsi, on assiste à l’émergence de nombreuses marques de vêtements associées à des rappeurs français : Ünkut et Booba, Distinct et Rohff, Swagg et La Fouine ou encore la marque éponyme du label Wati-B, producteur notamment de Maître Gims et Black M. Une activité qui se révèle être très lucrative pour certains d’entre eux. Les ventes génèrent plusieurs millions d’euros de revenus, la marque de Rohff a réalisé un chiffre d’affaire de deux millions et demi d’euros en 2012.

Wati-B est allé encore plus loin. Le label a décidé de devenir l’un des sponsors officiels de deux clubs de Ligue 1, Montpellier et Caen. En s’affichant sur les maillots de ces deux clubs, le label s’assure une visibilité chaque week-end sur les terrains de Ligue 1.

Loin de ces poids lourds, même les rappeurs moins médiatisés se sont lancés dans le business. C’est le cas de la Scred Connexion, groupe majeur fondé en 1995, qui a ouvert sa boutique en 2015.

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Dans la « Scred Boutique », DJ Diemone accueille les clients.

« Nous on veut promouvoir les artistes indépendants »

18e arrondissement de Paris, tout au bout de la rue Marcadet, où les Kebabs et les Cafés ont laissé la place aux immeubles. Enfin, pas seulement aux immeubles. Une boutique à la vitrine soignée et bien travaillée interpelle. Le grillage est légèrement baissé et laisse apparaître un joli graffiti. Derrière la vitrine, un vélo clinquant, des bombes de graffitis, des illustrations de murs tagués et des casquettes. Ecrit en grandes lettres rouges : Scred Connexion. Dj Diemone, membre du collectif nous accueille : « C’est moi qui m’occupe de la boutique et du site internet www.scredconnexion.fr. » C’est donc le groupe lui-même qui s’occupe de la distribution contrairement aux boutiques Wati-B ou Unküt où les artistes délèguent, logiquement, l’activité. Mais c’est également l’ambition qui est différente : « Nous on veut promouvoir les artistes indépendants, les aider en vendant leur CD, en parlant d’eux sur notre site internet. » Il faut dire que la Scred Connexion est experte en indépendance. Depuis leurs débuts, ils n’ont jamais signé dans une des grosses maisons de disques (Universal, Warner, Sony). « Cette boutique ce n’est que la suite logique de ce qu’on fait depuis le début. Pour rester indépendant, il faut diversifier ses activités et ses sources de revenus. Voilà pourquoi ce projet est né. » Mais pourquoi cette obsession pour l’indépendance ? « D’abord, parce que financièrement on gagne plus dans le cas où ça marche. Un artiste signé dans un label ne prend que quelques pourcents sur chaque disque vendu. En indé c’est 100%. Ensuite parce qu’on fait absolument ce qu’on veut. » Il n’y a qu’à descendre au premier étage pour le comprendre : vinyles de rappeurs indépendants, CD d’artistes underground (qui ne sont pas connus mais appréciés des connaisseurs), une caverne pour passionnés de Hip-Hop.

L’indépendance comme motivation donc. Mais la boutique reste confidentielle, bien caché dans le 18e arrondissement de Paris, lieu d’origine de la Scred Connexion. Les revenus existent-ils vraiment ? « Le site marche très bien ! On vend beaucoup sur le site depuis longtemps. » La boutique n’a ouvert qu’en 2015. Pourquoi ouvrir un magasin si le site se suffisait à lui-même ? « Pour cet esprit familial. C’est plus spontané, et comme c’est le groupe qui s’occupe de la boutique, les gens viennent aussi pour ça. On a beaucoup de provinciaux qui sont en visite à Paris et qui veulent absolument passer par la Scred Boutique. C’est comme la Tour Eiffel ! » Et le collectif n’a pas fini de se diversifier. Après le site internet, la boutique, c’est la Scred Radio qui va être lancé. Sans en dire plus, le Dj de 40 ans avoue tout de même : « on veut donner aux jeunes rappeurs indépendants ce que nous n’avons pas eu à notre époque. Une vraie vitrine, une radio qui les passe, un lieu d’exposition quoi. » Cela fait maintenant 8 ans que le groupe de rap n’a rien sorti. Et qu’il continue de vivre grâce à ses activités. Leur devise ? « Jamais dans la tendance, toujours dans la bonne direction. »

Créer son propre média, nouvelle tendance des rappeurs français

Les rappeurs français savent aussi innover. La création d’un média semble être la prochaine étape pour ces rappeurs-entrepreneurs. Encore une fois, c’est Booba qui a une longueur d’avance sur la concurrence. Le rappeur a décidé d’étendre son empire à l’univers médiatique en créant tout d’abord une plate-forme de diffusion Oklm.com qui s’est déclinée, à partir de 2015, en une radio en ligne nommée OKLM Radio. « Pour nous, par nous » est le slogan de ce média qui veut se placer en concurrence directe avec des radios traditionnelles comme Skyrock. Lui qui a souvent critiqué le traitement du rap français fait par certains médias veut sortir de ce cadre en proposant un contenu nouveau.

C’est dans la communication que l’entrepreneur Booba se démarque. Lorsqu’il lance sa radio, il a déjà tout anticipé en prenant soin de populariser l’expression « Oklm » à travers un single éponyme qu’il dévoile sur le plateau du Grand Journal de Canal +. L’influence musicale de Booba est donc devenue un moyen de promouvoir directement ses autres activités sans attendre d’être contacté par d’autres journalistes. Après le site et la radio, il enchaîne avec la création de la chaîne de télévision OKLM TV fin 2015. Un challenge de plus pour le rappeur qui s’écarte de la liberté de ton de la radio pour se tourner vers les contraintes imposées par la télévision. Des clips, des interviews, des reportages, une programmation presque identique à une chaîne de musique traditionnelle. Mais la chaîne OKLM devient un outil promotionnel unique pour certains jeunes rappeurs adoubés par le « DUC » et qui auront l’honneur d’être diffusé sur sa chaîne.

En plus de Booba, d’autres rappeurs français se sont lancés dans la création d’un média. Le très engagé Kery James vient de lancer, en avril dernier, son propre média alternatif appelé LeBanlieusard.fr. Il présente ce site comme une « plate-forme d’information indépendante et alternative ». Comme Booba, Kery James a créé ce média pour s’opposer aux médias traditionnels. Mais de son côté, il souhaite apporter un nouveau regard sur l’actualité, et en particulier celle des banlieues. Au programme, la diffusion de plusieurs émissions politiques, des débats sur les violences policières dans les banlieues, etc… Pour ce rappeur considéré comme le leader du « rap conscient », il était devenu nécessaire de créer un média avec une ambition plus sociétale que musicale. « C’est dans la lignée de ce que je défend depuis vingt dans ma musique » affirme-t-il. Lui qui déclarait dans son titre Vent d’Etat en 2012 : « J’accuse les médias d’être au service du pouvoir, de propager l’ignorance et de maquiller le savoir », veut apporter sa propre vérité à travers son site d’information. Pour le moment, Kery James finance entièrement son média.

Après les vêtements, les labels, les médias, quoi d’autre ? Pourquoi pas de l’alcool ? Ah ! Booba vient d’annoncer le lancement de sa nouvelle marque de whisky humblement nommée D.U.C.

Ryad Maouche & Clément Dubrul

Trois questions à Anne-Cécile Daniel, chercheuse à l’AgroParisTech

Anne-Cécile Daniel est ingénieur de recherche en agriculture urbaine à l’AgroParisTech et membre de l’AFAUP (l’Association Française d’Agriculture Urbaine Professionnelle).

 

Quand l’agriculture urbaine a-t-elle commencé à se développer ?

A l’échelle mondiale l’agriculture urbaine a commencé dans les pays du sud dans les années 1950. Il y a eu des migrations suite aux guerres civiles et les populations rurales ont fui en ville. Ils produisaient en ville pour se nourrir, c’était de l’autoproduction. Christine Aubry [ndlr: chercheuse à l’INRA spécialiste de l’agriculture urbaine] a étudié l’agriculture urbaine à Madagascar et elle a mis en évidence que plus de 90% du cresson consommé à Antananarivo était produit dans la ville. En France cela a commencé avec les circuits courts dans les années 1990-2000 puis les jardins collectifs. Ces derniers se sont redéveloppés après la crise des Trente Glorieuses. En 2012, à l’époque où la mairie de Paris a commencé à faire des conférences sur le sujet, le terme n’était pas encore très connu. Ce sont des projets phares qui ont fait parler d’eux comme la tour maraîchère à Romainville.

 

Quels sont les différents types d’agriculture urbaine ?

Il y a différentes formes d’agriculture urbaine : les jardins associatifs, les micro-fermes urbaines… Il y a une diversité des formes mais l’une ne doit pas dominer l’autre. Le risque réside dans la commande publique. Les jardins portent une autre fonction, celle de services et de sensibilisation. A l’AFAUP nous soutenons différents types d’agriculture urbaine comme Veni Verdi qui font plein de super projets et d’un autre côté d’autres projets à grande échelle. Il faut assumer le côté sensibilisation de l’agriculture urbaine en montrant qu’elle peut être source d’innovations pour mieux manger.

 

Est-ce que l’agriculture urbaine est rentable ?

On peut prendre le problème à l’envers : Pourquoi les villes veulent-elles un projet viable ? Elles veulent végétaliser la ville sans avoir à l’entretenir. L’agriculture urbaine anime un quartier, sensibilise les gens, c’est un outil sensationnel ! Mais cela peut vite s’éteindre si la mairie ne soutient pas les projets. Le modèle économique reste à trouver. L’agriculture urbaine se définit par sa multiactivité. Aujourd’hui certaines structures en vivent mais c’est un marché émergent donc c’est quasiment impossible de dire si cela va perdurer. Il faut attendre 5 ans pour savoir qui restera et surtout comment les collectivités soutiendront les projets. Le modèle économique pourrait être celui de la boîte à champignons. C’est un modèle hybride qui inclut de la formation et de l’expertise. C’est un projet émergent qui va évoluer.

Lou Portelli et Chloé Tixier

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Aquaponie, hydroponie, culture sur couche chaude… késako ?

Concernant les techniques, l’agriculture urbaine est aujourd’hui un laboratoire à ciel ouvert. Et elle a son propre jargon. Explications. 

  • L’aquaponie et l’hydroponie sont deux méthodes de production hors sol. Les techniques se ressemblent mais se distinguent sur certains points. Par exemple, en hydroponie, les plantes poussent grâce à un engrais riche en nutriments alors qu’en aquaponie ce sont les déjections des poissons qui servent d’engrais pour le végétal cultivé.
  • La permaculture est une méthode qui vise à concevoir notamment des jardins en fonction de ce que les habitants ont besoin et de ce que la nature peut offrir. Le but de la permaculture est d’apprendre aux jardiniers en herbe comment entretenir leur potager. C’est ce que met en avant l’association Pépins productions.
  • La culture sur couche chaude ne vous dit peut-être rien mais elle est plus connue sous le nom de fumier. C’est une méthode qui utilise l’énergie produite par la décomposition du fumier de vache ou de cheval pour réchauffer le sol. Le but: accélérer la levée des semis ou encore permettre de planter des légumes qui ont besoin de chaleur pour se développer. La Prairie du Canal à Bobigny compte utiliser cette technique, en plus de la paille, pour cultiver le melon et les tomates notamment.
  • Le maraichage est la culture de légumes, de quelques fruits et de fines herbes en plein air ou sous abri, qui seront consommés ensuite. Ce qui différencie le maraichage du jardinage, c’est que le but ici est d’en dégager un profit.

 

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